En cette rentrée 2022, les salariés, la population sont confrontés à une inflation forte qui risque de s’accentuer et de durer. Les salaires dans toutes les branches d’activité sont trop bas, non indexés sur l’inflation et le pouvoir d’achat de la population de dégrade, d’autant que la loi dite du pouvoir d’achat votée en ce début septembre non seulement ne résous pas la question, car en dernier ressort, ce sont les salariés par leurs impôts qui se financent leurs propres « augmentations de salaire ». La loi ne touche en rien la répartition de la plus-value entre capital et travail et n’indexe pas les salaires sur l’inflation. La question des revenus salariaux se trouve donc au cœur des préoccupations des salariés et beaucoup de luttes dans les entreprises portent sur les salaires.
Par ailleurs les conditions de travail ont été très fortement dégradées ces dernières années sous la pression patronale avec en particulier les nouvelles méthodes de management, l’uberisation des relations de travail ou le télétravail qui isolent les salariés et favorisent les contrôles managériaux. A part quelques fonctions ou travaux bien particuliers qui se prêtent à des formes de travail chez soi ou n’importe où, montés en épingle par les médias, les entreprises dans les secteurs les plus essentiels à la vie (tous les services publics sans exception, restauration, bâtiment, etc.…) ont des difficultés à recruter, alors que le chômage reste important et que « l’armée de réserve » du capital est toujours là. L’éternel débat sur « la valeur travail » s’en trouve ravivé, ce débat sur le travail (et non la valeur travail) est essentiel, ReSPUBLICA y reviendra dans les semaines qui viennent.
La période est aussi scandée par des appels à l’action (grèves et manifestations) d’organisations syndicales et associations les 22 septembre sur la santé et 29 septembre sur les salaires et le pouvoir d’achat et à manifester le dimanche 16 octobre par la France Insoumise, le Parti socialiste et Europe Ecologie Les Verts « contre la vie chère et l’inaction climatique ». Comment analyser ces appels, quels résultats ? favorisent-ils les actions pour une République sociale, laïque et écologique ?
L’action pour la santé du 22 septembre
Dès fin juin 2022, les fédérations CGT, CFE-CGC, CFTC, de la santé, l’AMUF, la Coordination nationale de défense des hôpitaux et maternités de proximité, les collectifs Inter-urgences et le Printemps de la Psychiatrie, lançaient un appel à grève et manifestations « pour dénoncer la casse orchestrée des services de soins et d’accompagnements sociaux ou médico-sociaux ».
Remarquons que l’unité syndicale est très incomplète sur un sujet qui concerne toute la profession et plus largement toute la population, surtout après la crise de la Covid-19, toujours présente. Des coordinations de collectifs locaux de lutte contre les fermetures de lits, de services hospitaliers ou même d’hôpitaux se sont jointes à cet appel. Ce sujet mobilise localement à chaque fermeture de lits ou de structures à l’image de la manifestation à Montluçon le 17 septembre, où 4 à 5 000 personnes ont défilé contre la fermeture du service de pédiatrie.
Si l’action du 22 septembre a bien eu lieu avec quelques rassemblements de quelques centaines de personnes au mieux à travers le pays, la presse n’en a quasiment pas parlé avant et n’a fait état d’aucun bilan. Même sur les sites des organisations appelantes, il n’y a aucun compte-rendu de l’action comme si elle n’avait pas existé, seuls subsistent les appels antérieurs et les appels au 29 septembre par une sorte de fuite en avant dans des actions désespérées.
Le 29 septembre 2022, journée interprofessionnelle de grèves et manifestations
Cette journée de grèves et manifestations pour les salaires, les conditions de travail, les embauches, à l’appel de la CGT, la FSU, Solidaires, UNSA et d’organisations étudiantes et lycéennes (Unef, FIDL, MNL et La Voix lycéenne) a connu un succès mitigé dans les manifestations, 200 cortèges rassemblant 250 000 personnes selon la CGT et 118 500 selon la police. La grève a été peu suivie.
Décidée des semaines en avance, cette journée d’action est apparue pour beaucoup, y compris des militants syndicalistes comme la journée rituelle de rentrée. Beaucoup se lassent de ces journées d’actions avec grève sans efficacité réelle, ni dans la mobilisation, ni dans les résultats. Certes « on est là », c’est important de ne pas céder, la lutte est toujours nécessaire, mais le débat sur la stratégie est toujours pauvre. Surtout quand ces journées programmées à l’avance ne sont pas unitaires, la CFDT et FO étaient absentes par exemple. Dans un pays où nous comptons quasiment une dizaine de confédérations ou quasi-confédérations syndicales de salariés, l’unité des principales organisations entraînant les autres est un facteur de confiance dans la lutte et facteur d’espérance de succès de l’action. Pour le moment nous n’y sommes pas. L’avenir nous dira si l’opposition unanime des syndicats à la réforme des retraites voulue à marche forcée par Emmanuel Macron permettra cette unité pour créer les conditions d’un rapport de force favorable.
Pourquoi cette cacophonie ?
Les échecs des appels des organisations nationales de plus en plus coupées du monde du travail et des entreprises ne disent pas tout sur l’état du mécontentement, dans la société en général ou dans les entreprises plus spécifiquement. De nombreuses luttes, longues parfois plusieurs semaines voire plusieurs mois, portant sur les salaires (c’est-à-dire sur la répartition de la plus-value entre capital et travail) et sur les conditions de travail et les embauches, avec des résultats certes partiels, mais bien réels, existent dans tout le pays. Elles sont peu ou pas médiatisées dans la « grande presse » comme si elles n’existaient pas. Ce n’est pas étonnant, elles contredisent frontalement la propagande gouvernementale — selon laquelle le gouvernement défend le pouvoir d’achat des Français — et démontrent l’inconsistance des dispositions prises qui ménagent ou sont en faveur des actionnaires.
Par ailleurs, la société elle-même est travaillée par une recherche de solutions locales répondant à d’autres modes de vie par la création de formes nouvelles d’organisation de solidarité locale (coopératives, associations de l’économie sociale et solidaire, syndicats d’habitants, etc.). Ces formes sont encore le fait essentiellement de la petite bourgeoisie et des couches moyennes et sont éparpillées, mais elles ont une signification et une portée qui pourraient être plus larges si les classes populaires s’en mêlent.
Globaliser la lutte contre le capitalisme
Ce devrait être un des objectifs des organisations syndicales de relier l’entreprise au territoire, de faire ressortir les intérêts communs. Certaines Unions locales et Unions départementales, moins coupées de la réalité et moins préoccupées par les jeux d’appareils s’en préoccupent, mais c’est très loin des enjeux d’aujourd’hui tant sur le plan du travail, des enjeux de classe que des enjeux climatiques et environnementaux qui tous ne peuvent être traités qu’ensemble. (Nous disons bien ensemble, et non pas articulés, ce qui laisserait entendre qu’ils sont séparés.) Chaque disposition pour y répondre, dans sa conception comme dans sa mise en œuvre doit être globale, il ne peut pas y avoir différentiation au risque d’échouer. C’est pourquoi les premières mesures à prendre sont des mesures de justice sociale, de réduction des inégalités, de toutes les inégalités à la fois, en même temps, pas les unes après les autres, comme si certaines étaient plus prioritaires et importantes que les autres. Le capitalisme est un système global, c’est globalement qu’il doit être analysé dans sa phase actuelle et globalement combattu et affronté.
Or nous assistons, dans les forces syndicales et associatives, à des différentiations dangereuses pour la lutte : non seulement le communautarisme, le trotskisme, l’intersectionnalité, les racisés ou toute autre forme de séparation, mis en avant par une « gauche » qui se dit radicale et qui divise, mais aussi à une séparation du mouvement syndical lui-même. Les appareils se polarisent en effet autour de deux axes, un premier qui se veut « de combat » avec l’ensemble « Plus jamais ça » autour de la CGT et Greenpeace, et un autre plus « dialoguant » autour de la CFDT et les organisations chrétiennes avec « Le pouvoir de vivre ». Bien entendu, dans la vie, les choses sont plus mouvantes, il y a des interférences, souvent dans la confusion d’ailleurs, mais ces deux axes deviennent idéologiquement et organisationnellement de plus en plus structurant à gauche, même si la Nupes essaie d’en cacher les effets.
Affaiblissement et bureaucratisation des syndicats
Un autre phénomène, résultat d’un long processus commencé à la fin des années 1970, est apparu, qui rend les superstructures (les appareils) de plus en plus extérieures au monde du travail. La décennie 1980 a connu un affaiblissement important des organisations syndicales qui virent le nombre de leurs adhérents diminuer de plus de la moitié alors que l’institutionnalisation du syndicalisme s’accentuait. Paradoxalement cet affaiblissement en nombre d’adhérents a eu lieu avec la gauche au pouvoir, alors que les périodes précédentes de la gauche au gouvernement (Front populaire, Libération) avaient connu une forte augmentation des effectifs des syndicats, notamment de la CGT. Cette période fut marquée par le début d’une forte désindustrialisation, y compris dans les « bastions » syndicaux, ce qui se conjugue souvent avec une répression syndicale qui n’a jamais faibli. Il s’en suivit un affaiblissement du paritarisme, enclenchant une spirale de recul des syndicats et des mouvements revendicatifs, y compris la grève.
La modification des règles de représentativité (lois du 20 août 2008 pour le privé et du 5 juillet 2010 pour la fonction publique) a accentué la concurrence entre organisations syndicales et leur dépendance au patronat qu’il soit privé ou public. Le mode de subvention et d’aide aux structures syndicales nationales (confédérations et fédérations) déconnecte encore plus ces structures des organisations de base dans les entreprises. Les jeux d’appareils au sommet et la préservation des structures de sommet et leur renouvellement deviennent une de leurs préoccupations premières, d’autant qu’elles n’ont plus besoin d’adhérents nombreux pour survivre(1)Voir notamment Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, Anatomie du syndicalisme, Presses universitaires de Grenoble, Juin 2021.. La bureaucratisation devient inévitable.
Rôle des luttes
Mais comme toujours sur les questions humaines rien n’est définitivement figé jusqu’à la mort. Les luttes dans les entreprises demeurent nombreuses, souvent dans l’unité, souvent avec des succès. Les défaites ou les échecs n’empêchent pas ces luttes pour la dignité, une vie décente avec des salaires décents et l’espérance dans l’action collective pour l’obtenir. Les structures locales (Unions locales, Unions départementales) ont un rôle essentiel à jouer face à la dégénérescence des syndicats en raison de leur proximité du « terrain ». Un rapport de force pour gagner est chose complexe parce qu’il ne peut être que collectif, se construisant tous les jours. Pour cela le syndicat doit redevenir l’outil des salariés pour la défense de leurs conditions matérielles et morales. En fait c’est toujours dans les luttes que les prises de conscience se font le plus vite et le plus nettement ; c’est pourquoi, c’est dans ces mouvements qu’apparaissent les revendications les plus radicales et novatrices, parce que le collectif est alors réellement collectif et en mouvement.
Notes de bas de page
↑1 | Voir notamment Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, Anatomie du syndicalisme, Presses universitaires de Grenoble, Juin 2021. |
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