Entamé début mars, le mouvement d’occupation des lieux culturels a essaimé à travers la France et ne semble pas faiblir. Alors que les professionnels de la culture sont toujours dans l’attente de perspectives pour le secteur, la mobilisation continue et cherche à tendre vers la convergence des luttes.
La culture malmenée
Rappelons pour commencer que si, à l’instar de la France, d’autres pays européens ont fermé complètement leurs lieux culturels (Pays-Bas, Grèce), plusieurs pays ont choisi de redémarrer des activités culturelles : les musées ont par exemple réouvert au Luxembourg, en Pologne, en Autriche et en Italie dans certaines régions, tandis qu’en Espagne on peut même aller au cinéma. La question de leur réouverture est devenue de plus en plus pressante alors que le secteur culturel souffre particulièrement et que ces lieux se semblent pas présenter de risque important pour les contaminations. Une étude allemande a notamment conclu que les théâtres, salles de concert et musées respectant les consignes sanitaires habituelles apparaissent comme les lieux les plus sûrs par rapport à une liste incluant les supermarchés, les bureaux en open space ou les écoles. En outre, on peut pointer l’incohérence de leurs fermetures alors que jusqu’à très récemment en France, le public était très nombreux dans les galeries qui avaient le droit d’ouvrir parce que les œuvres d’art exposées étaient à vendre.
Ainsi, le 4 mars dernier, c’est à la suite d’une manifestation pour demander la réouverture des lieux culturels que l’occupation du théâtre de l’Odéon a débuté, à l’appel de la CGT-Spectacle, du Syndicat des cirques et compagnies de création et de la Société des réalisateurs de films. Les occupants ont choisi ce théâtre du Ve arrondissement pour sa valeur symbolique : le théâtre a déjà occupé lors de luttes, notamment en Mai 68 et plus récemment au moment de Nuit debout.
Des revendications contre la précarité
Dès le début de l’occupation, les revendications concernant le secteur ont été élargies à une lutte globale contre la précarisation, puisque les professionnels demandent (voir le communiqué) :
– un retrait pur et simple de la réforme de l’assurance-chômage ;
– une prolongation de l’année (l’année blanche est une prolongation des droits d’un an au chômage, obtenue par les intermittents du spectacle — artistes et techniciens du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel — au début de la crise sanitaire. La fin de cette année est fixée au 31 août 2020, or à cette date, très peu de personnes auront pu travailler assez pour renouveler leurs droits au chômage : elles se retrouveront donc en grande difficulté), son élargissement à tous les travailleurs précaires, extras et saisonniers entre autres, qui subissent les effets, à la fois de la crise et des politiques patronales, ainsi qu’une baisse du seuil d’heures minimum d’accès à l’indemnisation chômage pour les primo-entrants ou intermittents en rupture de droits ;
– de toute urgence, des mesures pour garantir l’accès à toutes les travailleuses et travailleurs à l’emploi discontinu et autrices et auteurs aux congés maternité et maladie indemnisés ;
– un financement du secteur culturel passant par un plan massif de soutien à l’emploi en concertation avec les organisations représentatives des salariés de la culture ;
– des moyens pour garantir les droits sociaux – retraite, formation, médecine du travail, congés payés, etc. – dont les caisses sont menacées par l’arrêt des cotisations.
Dans le même ordre d’idée, les occupants de l’Odéon ont lancé depuis le 16 mars les « vendredis de la colère » et ont appelé à une « mobilisation générale contre le projet de réforme de l’assurance chômage » (60 théâtres ont signé cet appel) ; une agora participative, avec prises de parole et performances artistiques, se tient également tous les jours à 14 h (elles sont filmées et retransmises en ligne). Une collecte a été lancée pour aider à la poursuite de l’occupation : https://www.helloasso.com/associations/fnsac/collectes/occupationodeon
De nombreux lieux mobilisés en France avec une stratégie de convergence des luttes
Actuellement, 90 salles seraient occupées en France et aussi à La Réunion. Les occupations ont lieu dans plusieurs types de salles : des centres dramatiques nationaux (Lille, Montluçon, Rouen, Limoges), des scènes nationales (Brest, Châteauroux, Périgueux), des salles de concert (Bourg-en-Bresse, Nîmes), des théâtres indépendants (Noyon ou Avignon) et même une agence Pôle emploi (Alès)… Dans certains cas, les directions sont plutôt favorables au mouvement (les occupants respectent des consignes sanitaires strictes), mais dans deux lieux (la Manufacture d’Arts, ancienne école des Beaux-Arts de Saint-Étienne et Bordeaux), les occupants ont été délogés par les forces de l’ordre.
Dans sa dernière allocution du 31 mars, Emmanuel Macron a annoncé la réouverture de certains lieux de culture pour la mi-mai, alors que la ministre de la culture Roselyne Bachelot est toujours hospitalisée des suies de la Covid-19 et n’a donc pas pu rencontrer les représentants du secteur. En revanche, une première réunion a eu lieu jeudi 25 mars entre des membres du cabinet de la ministre et six étudiantes du mouvement d’occupation. Ces dernières – non affiliées aux structures syndicales – ont demandé de meilleures mesures d’accompagnement pour la création théâtrale et ont fait part de leurs idées alors qu’un embouteillage s’annonce pour les événements culturels. Elles ont notamment proposé que tous les thtéâtre subventionnés créent des mini-troupes composées de jeunes sortis d’école et que l’accès au régime de l’intermittence soit facilité pour les étudiants.
Dans tous les cas, alors que le pays est pour le moment toujours privé de culture, ces occupations, que l’on espère de plus en plus nombreuses et revendicatives, sont l’occasion pour les artistes de trouver une manière de s’exprimer à nouveau et de tisser aussi des liens de solidarité, avec d’autres groupes et notamment des gilets jaunes mais aussi entre artistes, ce qu’il n’est pas toujours aisé de faire dans ce secteur assez concurrentiel.