À travers son « programme de travail » adressé le 6 juin aux partenaires sociaux, le gouvernement a confirmé sa volonté d’aller vers une généralisation de la fusion des institutions représentatives du personnel. Olivier Sévéon, formateur auprès des élus du personnel, défend dans cette chronique la spécialisation des différentes IRP et plus particulièrement l’autonomie du CHSCT.
La nouvelle ministre du Travail, Muriel Pénicaud, annonce la fusion des instances représentatives du personnel car, selon elle, « les salariés ne peuvent pas être représentés de quatre manières différentes, cela n’a aucun sens ». Ainsi, depuis des décennies, le législateur se serait fourvoyé en décidant de spécialiser les IRP… Mais ne faudrait-il pas mieux s’interroger sur les raisons qui ont conduit au modèle hexagonal de représentation du personnel avant d’affirmer qu’il est dépourvu de sens et d’intérêt ?
Les instances, aujourd’hui composées du CE, du CHSCT, des délégués du personnel et des délégués syndicaux, ont toutes été exclusivement créées pour la défense des intérêts des salariés et représentent des contre-pouvoirs face à la toute puissance patronale, objet que Madame Pénicaud se garde bien de rappeler. Leur spécialisation a été voulue par le législateur, pour que chacune d’entre elles gagne en expérience et en efficacité sur des champs de compétences spécifiques.
Considérer qu’un élu du personnel a obligatoirement vocation à s’investir tout à la fois dans l’analyse financière et les enjeux de santé au travail est aussi peu réaliste que d’exiger d’un étudiant qu’il détienne un diplôme de masseur-kinésithérapeute pour pouvoir intégrer une école de commerce. La spécialisation répond donc à une logique de bon sens (à chacun sa vocation !), mais pas seulement.
Penchons-nous sur le cas particulier du CHSCT puisque ce comité est clairement la principale cible du futur dispositif. Sa création en 1982 a été mûrement réfléchie et tenait compte des problématiques particulières à la santé professionnelle, ainsi qu’à la nécessité de disposer d’une instance régie par des règles de fonctionnement distinctes de celle du comité d’entreprise :
Possibilité d’élire au CHSCT des salariés non candidats aux élections professionnelles ;
– Droit pour les représentants de l’assurance maladie (CARSAT et CRAMIF) et l’inspection du travail de s’auto-inviter aux réunions ;
– Statut de « membre de droit » dévolu à la médecine du travail ;
– Règles de réunions extraordinaires moins rigides que celles applicables au CE (NB : une demande émanant de deux titulaires est suffisante) ;
– Aucune limitation budgétaire à l’action du CHSCT : l’employeur doit couvrir l’intégralité de ses besoins (article L4614-9 du Code du travail).
La spécialisation du CHSCT s’est révélée payante : ses élus ont su développer une véritable culture de la prévention et ont pris l’habitude de se documenter, de s’informer sur les pratiques des autres entreprises et de débattre de leurs expériences.
Grâce à leur connaissance du travail réel et à leurs liens privilégiés avec les salariés, ils ont contribué à la mise en place du document unique d’évaluation des risques (DUER) dans les entreprises, obligation dont l’employeur ne peut s’acquitter sans leur concours actif, sauf à se contenter d’un document formel et inopérant. Au fil des ans, les CHSCT se sont imposés comme un maillon incontournable de la politique de santé professionnelle, en particulier dans le domaine de la santé mentale (notion introduite dans le Code du travail en 2002) et des risques psychosociaux. Sans l’intervention des CHSCT de France Télécom, son président-directeur général – Didier Lombard – n’aurait jamais été mis en examen pour « harcèlement moral », suite aux 35 suicides de salariés constatés entre 2008 et 2009.
Avec une instance unique supprimant l’autonomie du CHSCT, les impératifs de sécurité et de prévention des risques seront inéluctablement relégués au second plan. Comment pourrait-il en être autrement dans un contexte de crise économique où le risque premier pour un salarié est de perdre son emploi ? Face à cette éventualité redoutable, la santé et la sécurité sont vécus comme des enjeux différés, et non de court terme. Pour illustrer notre propos, rappelons que les cas d’épuisement professionnel se multiplient, à un point tel que le mot « burn out » s’est imposé pour en rendre compte.
A partir du moment où le personnel privilégie spontanément le terrain économique et social, le centre de gravité d’une instance unique emboitera forcément le pas et tendra à délaisser les prérogatives usuelles du CHSCT. Ce danger est d’autant moins négligeable que, d’une part, les élus seront en moins grand nombre dans cette nouvelle instance (diminuer les coûts patronaux reste plus que jamais à l’ordre du jour !) et, d’autre part, ceux de « culture CHSCT » y seront très minoritaires.
Fusion des instances signifie donc marginalisation de la fonction traditionnelle du CHSCT et affaiblissement de la politique de prévention des risques dans l’entreprise, évolution qui ne répond en rien à l’intérêt général, mais aux seuls vœux du Medef.
A l’heure où se dessine une remise en cause des prérogatives du CHSCT, il est en dernier lieu utile de rappeler que le droit européen fixe des limites aux actionnaires : « L’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations économiques » (préambule de la directive-cadre européenne du 12 juin 1989).
source : www.actuel-ce.fr