Un terrible paradoxe : les institutions aidantes ou maltraitantes
Alors que les citoyens les plus pauvres sollicitent des institutions, organismes privés ou publics, des associations pour être aidés, ils ne parviennent pas toujours à accéder à leurs droits, débouchant sur des insatisfactions, de l’incompréhension et de la maltraitance.
Parfois de la condescendance et du mépris de professionnels. Mais surtout une maltraitance institutionnalisée par des procédures, voire des dysfonctionnements issus de lois et réglementations inadaptées et d’un manque de moyen humain. Ainsi ce rapport d’ATD Quart Monde s’adresse clairement aux institutionnels et aux politiques, tout autant qu’à l’opinion publique afin que les regards changent.
Maltraitance institutionnelle : de quoi parle-t-on ?
La loi de 2022 définit la maltraitance : tout geste, parole, action ou défaut d’action envers une personne vulnérable, compromettant son développement, ses droits, ses besoins fondamentaux et/ou sa santé. Ces situations pouvant être ponctuelles, durables, intentionnelles ou non. Et leur origine pouvant être individuelle, collective ou institutionnelle.
Cette définition est issue de la Commission nationale de lutte contre la maltraitance et de promotion de la bientraitance mise en place le 19 février 2018 par le Ministère des Solidarités et de la Santé. Explicitement, cette commission réaffirme le droit pour tout citoyen en situation de vulnérabilité d’être protégé des négligences et des violences […] ainsi que le devoir de notre société et de nos institutions envers celles et ceux qui se trouvent ponctuellement ou durablement vulnérabilisés […] de ne pas laisser les situations de maltraitance être ignorées.
Quelques exemples de vécus
« Moi dans ma famille, on a peur parce qu’on sait qu’on ne peut pas demander de l’aide sans être jugé. On a peur qu’ils nous enlèvent nos enfants et c’est ce qui se passe. On ne demande plus rien en fait, c’est plus simple on se débrouille ».
« Avant à la CAF, on faisait la queue, on allait dans le bureau et les gens n’entendaient pas ce qu’on disait ».
« Je fais des messages à ma tutelle qui ne rappelle pas car elle a trop de travail. Elle suit 80 personnes au lieu de 40 avant. Les retraités ne sont pas remplacés ».
« Mon grand au collège il est harcelé. Il est étranger. Ce n’est pas normal que les profs ne disent rien. Mon fils ne m’a jamais rien dit. Il ne voulait plus aller à l’école ».
« Les rendez-vous sont comptés, mais la qualité non. Ce comptage nous pousse à oublier la personne pour penser aux chiffres. Alors que le critère devrait être : en quoi avez-vous amélioré la qualité de vie des gens ? Après dix ans de lutte contre ce truc quantitatif, une responsable me dit : on ne regarde pas ces éléments, le logiciel n’est pas fiable. On passait donc notre temps à entrer des informations qui n’étaient pas utilisées ».
Quelques chiffres proposés par le rapport, extraits de l’enquête de novembre 2022 du CREDOC
70 % des personnes sont inquiètes pour elles ou leurs proches au sujet du risque de maltraitance, second risque le plus élevé après la maladie grave(1)Source : rapport du CREDOC disponible ici : https://www.credoc.fr/download/pdf/Sou/Sou2023-4872.pdf..
42 % des personnes craignent d’être personnellement concernées un jour par une forme de maltraitance.
65 % des personnes jugent que les pouvoirs publics ne font pas assez pour lutter contre les formes de maltraitance envers les personnes vulnérables.
17 % des Français en 2022 n’ont pas recours aux aides et dispositifs sociaux par crainte de conséquences négatives contre 8 % en 2016.
Nous nous joignons à ATD Quart Monde pour faire cesser la maltraitance institutionnelle
Nous faisons donc ici un cruel constat des résistances internes de l’État Français à vouloir détruire la misère malgré le discours de Victor Hugo en 1849. Presque deux siècles d’un aveuglement chronique à oublier ces mots qui résonnèrent pourtant dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale :
Je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière.
Quand le plaidoyer propose donc de lutter contre les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, il convient d’admettre qu’un regard juste doit être posé. Ainsi, un unique bidonville déclaré « définitivement fermé » sur Google Map n’est pas ce que l’on peut appeler une bonne vision du réel quand un rapport d’analyse (lu par qui ?) en détecte 124. Fermer les yeux ou regarder ailleurs, désinformer ou tout simplement s’en remettre à des croyances et des stéréotypes est confortable pour qui n’est pas dans la misère.
Mais cette attitude est-elle moralement acceptable si elle génère une souffrance systématique chez l’autre ?
Aussi, lorsque ce même plaidoyer insiste sur la nécessité d’améliorer la qualité des services de l’État, financés par l’impôt et les cotisations sociales de façon équitable, ReSPUBLICA ne peut que s’associer à cette proposition : la casse des services publics que nous dénonçons régulièrement a des effets des plus toxiques, et d’autant plus violents qu’ils sont invisibles.
La maltraitance institutionnelle est ainsi une violence symbolique d’État, telle qu’elle fut proposée par Pierre Bourdieu dès les années 70 : l’expression du maintien d’un ordre social inégalitaire, présenté par les dominants et acceptés par les dominés, comme étant légitime.
Ainsi, la maltraitance maintient dans la misère celui qui s’y trouve, le rendant responsable (coupable ?) de sa propre situation et digne du mépris des institutions dirigées par les dominants « qui ont réussi ».
De là à déduire que cette maltraitance est belle et bien le signe explicite que la lutte des classes est une réalité manifeste : nous franchissons ce pas sans hésiter.
Et de comprendre alors que les dominants qui nous gouvernent depuis des dizaines d’années sont bien au service du capital, qu’ils ne sont que les gardiens d’un ordre social établi et qu’ils ne feront rien pour changer quoi que ce soit.
On m’a dit tes idées ne sont plus à la mode
Quand on veut gouverner ce n’est pas si commode
Il faut évidemment s’adapter au terrain
Mettre jour après jour un peu d’eau dans son vin
On m’a dit dans la jungle il faut qu’on se débrouille
On est bien obligé d’avaler des magouilles
De laisser dans un coin les projets trop coûteux
On va pas tout rater pour des canards boiteuxLa porte du bonheur est une porte étroite
On m’affirme aujourd’hui que c’est la porte à droite
Qu’il ne faut plus rêver et qu’il est opportun
D’oublier nos folies d’avant quatre-vingt-un[…]
La porte à droite – Jean Ferrat – 1985
Notes de bas de page
↑1 | Source : rapport du CREDOC disponible ici : https://www.credoc.fr/download/pdf/Sou/Sou2023-4872.pdf. |
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