Sur le front social, provoquées par une inflation galopante, par les annonces insupportables de hausses des profits et de prélèvements scandaleux de la part des grands actionnaires — scandaleux, mais dans la logique du système économique libéral et ultralibéral —, les actions, souvent organisées par la base, se développent, prennent de l’ampleur.
Il est difficile de prévoir la tournure que prendront ces différentes actions et manifestations, annoncées ou mises en œuvre concrètement, dont nous pouvons en citer quelques-unes sans être exhaustifs :
- 19 septembre à Renne : grève annoncée sur le réseau de bus pour le démarrage de la ligne B du métro (SNTU-CFDT) ;
- 5 octobre à Dijon : grève dans les transports ;
- 4 et 6 octobre à Beauvais : grève à l’aéroport ;
- 6 octobre : grève nationale dans la fonction publique territoriale ;
- 6 octobre : grève dans le secteur de la petite enfance ;
- 7 octobre à Metz : grève des bus ;
- 8 octobre à Dijon : grève dans les transports ;
- 14 octobre à Pau : en grève depuis le 1er septembre, chez Idélis, a annoncé « Plus un seul bus dans l’agglo de Pau dès vendredi » (CGT-Stap) ;
- 14 octobre : grève des internes en médecine ;
- 17 au 23 octobre : grève nationale dans les transports (FO) ;
- 18 octobre : grève dans les lycées professionnels ;
- 18 octobre : grève nationale dans les cliniques et EHPAD privés ;
- …
À ces grèves annoncées ou effectives et d’autres à venir s’ajoutent les manifestations nationales interprofessionnelles, syndicales dont celle 29 septembre.
Le 16 octobre, la manifestation politique contre la vie chère et l’inaction climatique organisée par la NUPES ne fut pas un échec sans être une réussite sans pareil. Sans doute, une estimation à 60 000 est-elle plus proche de la réalité que le chiffre de 30 000 manifestants de la part du préfet, estimation annoncée avant le jour J en tenant compte du nombre de bus et de trains affrétés sans évaluer la mobilisation parisienne. Cette mobilisation a bénéficié sans doute d’un climat d’insatisfaction montante dans l’ensemble de la société.
En complément à l’élan initié par la manifestation politique de la NUPES et les multiples mouvements énoncés plus haut, un appel à une journée de mobilisation interprofessionnelle, le 18 octobre, a été lancé à l’appel des syndicats CGT, FO, Solidaires, FSU. Les motifs principaux de cet appel concernent l’augmentation des salaires, des pensions et des minima sociaux, l’amélioration des conditions de vie et d’études, la défense du droit de grève et la question de la réforme des retraites.
Vers une grève générale ? Rôles respectifs des mouvements politiques et syndicaux…
Une grève générale, voire massive, serait un prolongement utile pour mettre en cohérence tous ces mouvements. La principale difficulté réside dans le fait qu’une grève générale ne se décrète pas. L’autre paramètre important pour favoriser l’émergence d’une lutte globale sont les relais politiques, notamment de l’opposition organisée autour de la NUPES tout en ayant conscience des contradictions internes entre ses composantes partisanes. L’action politique et les luttes sociales devraient s’épauler l’une l’autre. Depuis la Charte d’Amiens, les syndicats et les partis politiques devraient œuvrer à la double besogne : revendications immédiates et transformation de la société. Des liens se révèlent nécessaires entre les deux secteurs syndicaux et politiques tout en évitant une subordination de l’un à l’autre, car ils travaillent sur deux champs ou registres différents : luttes sociales et activités parlementaires et électorales. Les déclarations de certains élus de LFI frisant une position condescendante, euphémisme, à l’égard des syndicats voulant les cantonner dans le seul champ de la revendication immédiate sont contre-productives en ce sens qu’elles pourraient déboucher sur un conflit inutile et mortifère pour le mouvement social entre partis politiques de transformation de la société et syndicats qui ont à jouer un rôle, également important, dans ce domaine. Les syndicats n’ont pas à jouer le rôle de courroie de transmission des partis. Que ce soit dans les démocraties occidentales notamment en Allemagne et au Royaume-Uni ou dans l’ex-URSS et les pays satellites, les syndicats étaient plus ou moins liés, voire soumis aux partis SPD, Labour Party (Parti travailliste), partis communistes. Cet aspect concernant les rôles respectifs des politiques et des syndicats fera l’objet d’un article dans un prochain numéro qui prolongera ce que ReSPUBLICA a déjà publié. Voici un lien qui permettra de se rappeler l’esprit de la Charte d’Amiens avec la notion de « double besogne » : https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/ce-ne-sera-pas-pour-demain-matin-8h-30/7401557
Poursuite du mouvement : des annonces notamment de la CGT pour les 27 octobre et 10 novembre
Après un essoufflement qui se fait sentir dans et autour des raffineries, une mobilisation, le 18 octobre, qui ne fut pas à la hauteur des espérances des organisateurs et de celles et ceux qui souhaitent un retournement du rapport des forces en faveur des travailleurs, sont lancés des appels à de nouvelles mobilisations interprofessionnelles dans les entreprises et les services contre, entre autres, le tassement des grilles salariales vers le bas, l’affaiblissement du financement de notre système de sécurité sociale (75 milliards d’€ d’exonérations de cotisations offerts aux entreprises) alors que, 2021 s’est soldé par un record des dividendes versés aux actionnaires du CAC 40 soit 70 milliards d’€.
Les péripéties autour du « harcèlement » moral de la part de Julien Bayou et la gifle dont a été victime l’épouse d’Adrien Quatennens de la part de ce dernier, acte inadmissible, ont eu pour effet d’occulter dans les médias dominants et de passer par pertes et profits les luttes actuelles et leur nécessaire amplification. La dénonciation est certes indispensable et bienvenue, mais cela ne doit pas être le prétexte à masquer les mouvements sociaux.
Le mouvement qui est le plus traité par les médias est celui du blocage des raffineries(1)17 octobre : annonce par coordinateur de la CGT de la reconduction de la grève sur cinq sites en Normandie, à Donges, La Mède, Feyzin et à Flandres. pour lequel les antiennes habituelles sont véhiculées clairement ou en filigrane : prise en otage des clients ou usagers, des « bandes de voyous avinés qui s’agitent », asphyxie de l’économie, irresponsabilité… Warren Buffet, milliardaire, affirmait : « Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ». Tous ces mouvements sociaux montrent qu’il y a plus que des velléités d’entrer dans le rapport de force avec les détenteurs de capitaux. Les salariés et les syndicats auraient tort de ne pas se saisir de ce moment favorable pour influer sur la situation en faveur des travailleurs.
En plus du blocage des raffineries, la vedette est donnée également aux grèves dans le secteur du nucléaire(2)Les sites de Tricastin (Drôme), Cruas (Ardèche), Bugey (Ain), Cattenom (Moselle) et de Gravelines (Nord) sont notamment touchés/ où des travaux de maintenance(3)Travaux de maintenance rendus indispensables par le phénomène de corrosion sous contrainte. Définition selon Wikipédia : « La corrosion sous contrainte d’un métal ou d’un alliage résulte de l’action conjuguée d’une contrainte mécanique en tension et d’un milieu environnant agressif vis-à-vis d’un matériau sensible au phénomène. » sont en cours et où les tests préalables à leur remise en réseau sont retardés faisant passer les prévisions gouvernementales de remise en route des centrales arrêtées, grève ou pas, pour de l’optimisme béat. Là également, les revendications portent sur la revalorisation des salaires.
De l’usage de la réquisition
L’article L.2215 prévoit que l’on peut requérir les salariés d’une entreprise privée lorsque son activité présente une importance particulière. La réquisition peut se justifier lorsque les perturbations dues à la grève créent une menace pour l’ordre public, ou bien encore lorsque le maintien de l’activité est essentiel pour le fonctionnement des services publics. En plus précis, l’article L2215-1 4 du Code des collectivités territoriales confirme que : « En cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publique l’exige [le représentant de l’État] peut, par arrêté motivé, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ».
Face aux réquisitions, les syndicats seraient légitimes à invoquer la défense du droit de grève garanti par la Constitution.
Encore faut-il s’entendre sur la notion d’« ordre public ». L’expression « ordre public » désigne l’ensemble des règles obligatoires qui permettent la vie en société, l’organisation de la nation. Sans ces règles édictées dans l’intérêt général, les sociétés humaines ne sauraient survivre. L’ordre public couvre des notions générales comme la sécurité, la morale (terme pour le moins vague et évolutif), la salubrité, la tranquillité, la paix publique. Le trouble à l’ordre public peut être envisagé comme une atteinte significative à la paix publique telle que le tapage, les attroupements, les émeutes, l’exhibitionnisme… Dans les circonstances actuelles de grève dans les raffineries, il n’est guère avéré que le blocage des raffineries menace l’ordre public. Si c’était le cas, il serait légitime, dans un esprit spinoziste ou nietzschéen, d’analyser les causes :
– Sont-ce les grévistes les fauteurs de trouble ou les dirigeants de Total et Exxon qui refusent d’authentiques négociations salariales ?
– Dans ce dernier cas, le gouvernement serait tout autant fondé à réquisitionner les dirigeants de Total et Exxon pour analyser sérieusement les propositions des représentants des salariés au lieu de chercher à casser le mouvement social revendicatif.
Cela pourrait amener plus loin sur une réflexion approfondie quant au partage du pouvoir dans la gestion des entreprises entre les détenteurs de capitaux, les salariés, les cadres, mais aussi les usagers. Une participation effective des salariés à la gestion des entreprises pourrait éviter les situations de blocage. Une telle évolution dans le cadre d’une économie libérale ou ultralibérale ne semble guère envisageable et crédible. Cela confirme la nécessité d’un débouché politique alternatif à tous les mouvements sociaux en cours et à venir.
Ces mouvements sont révélateurs de la fracture sociale, territoriale et politique qui traverse notre pays
Il serait naïf de penser, comme feint de le croire le gouvernement libéral macroniste, que les dirigeants des grandes entreprises, par bonté d’âme, vont accorder des hausses de salaire en rapport avec les superprofits engrangés et les dividendes indécents distribués (19 milliards engrangés par chacun Total et Exxon, plus de 2 milliards distribués aux actionnaires, et la hausse de 10 % revendiquée par les syndicats ne représenteraient que 150 millions d’€). Seule la lutte peut permettre de déplacer le curseur de la répartition de la valeur ajoutée en faveur des travailleurs. Ces mouvements permettent de mettre en exergue que les macronistes de Renaissance et l’extrême-droite du RN sont sur la même longueur d’onde : il ne faut pas gêner les usagers et cesser la grève sans pour autant mettre la pression sur les dirigeants de Total et Exxon pour discuter sérieusement avec les représentants syndicaux des salariés.
La fracture territoriale entre France périphérique et France urbaine apparaît avec l’approvisionnement erratique des stations-service du fait du conflit russo-ukrainien et des sanctions européennes(4)Ces sanctions interpellent pour le moins et souligne la politique de gribouille de l’Union européenne sous la houlette de l’atlantiste Ursula von der Leyen, chiffres cités par Emmanuel Todd, Marianne numéro 1335 : la Russie engrange plus de recettes depuis ces sanctions, les prix augmentent, l’inflation galope — plus 17 % en Pologne, plus 15 % en Estonie, Bulgarie, Tchéquie, Hongrie comparés au plus 14 % en Russie — le dollar a baissé de 29 % par rapport au rouble, l’euro de 13 % par rapport au dollar et de 38 % face au rouble. En outre, les États-Unis nous vendent au prix fort plus que sur son marché son gaz de schiste très polluant. pour la hausse des prix et des grèves pour l’approvisionnement. Les métropoles bien desservies en transports en commun publics, où les déplacements pédestres et cyclistes sont possibles, sont moins perturbées que la périphérie où l’usage de la voiture et pour les plus pauvres de la voiture à moteur thermique(5)La voiture électrique qui n’est pas forcément la panacée pour préserver l’environnement (voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-combat-ecologique/les-dessous-de-la-voiture-electrique/7427631) est inaccessible pour le portefeuille des classes populaires est indispensable.
Une faible inflation n’est pas forcément le signe d’une meilleure situation des salariés
La fracture sociale face à l’inflation galopante, la hausse des prix de l’alimentation et de l’essence se rappellent à notre conscience. En effet, l’impact n’est pas le même selon que l’on se situe dans les classes populaires, les classes moyennes « inférieures », les classes les plus modestes d’un côté ou les classes aisées riches et ultrariches de l’autre. La moyenne qui, en statistique, déforme la réalité, indique que le panier alimentaire prélève 15 % du budget des ménages. Or, pour les plus riches, ce panier alimentaire descend à moins de 10 % et, pour les plus modestes, monte jusqu’à 20 % et plus. Cela montre bien qu’ajuster au minimum la hausse des salaires au niveau de l’inflation est un préalable et justifie des revendications allant bien au-delà compte tenu du fait que l’impact est plus fort pour les plus modestes et que les pertes de pouvoir d’achat se font sentir depuis de nombreuses années.
Les salariés français, malgré une inflation plus faible en France, voient les salaires réels baissés, selon l’OCDE, de 1,9 % (employés : – 2,3 %, ouvriers : — 2,7 %, professions intermédiaires, cadres : – 3,7 %, — 3,6 %) alors qu’en Italie les salaires réels ont augmenté de + 0,3 % malgré une inflation plus forte.
C’est dans la lutte que se forme une conscience de classe que la majorité des médias sur une ligne libérale et appointée par les milliardaires tentent d’effacer ou de nier. Tout le débat devrait porter sur ce point nodal : quelle perspective sociale et politique alternative apporter au système libéral qui domine, sans frein, régulation et limitation, depuis le Traité de Maastricht sur le plan économique, traité qui prolonge, conforte, amplifie les politiques des années 1980 avec Reagan et Thatcher et l’Acte Unique de 1987 ?
Notes de bas de page
↑1 | 17 octobre : annonce par coordinateur de la CGT de la reconduction de la grève sur cinq sites en Normandie, à Donges, La Mède, Feyzin et à Flandres. |
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↑2 | Les sites de Tricastin (Drôme), Cruas (Ardèche), Bugey (Ain), Cattenom (Moselle) et de Gravelines (Nord) sont notamment touchés/ |
↑3 | Travaux de maintenance rendus indispensables par le phénomène de corrosion sous contrainte. Définition selon Wikipédia : « La corrosion sous contrainte d’un métal ou d’un alliage résulte de l’action conjuguée d’une contrainte mécanique en tension et d’un milieu environnant agressif vis-à-vis d’un matériau sensible au phénomène. » |
↑4 | Ces sanctions interpellent pour le moins et souligne la politique de gribouille de l’Union européenne sous la houlette de l’atlantiste Ursula von der Leyen, chiffres cités par Emmanuel Todd, Marianne numéro 1335 : la Russie engrange plus de recettes depuis ces sanctions, les prix augmentent, l’inflation galope — plus 17 % en Pologne, plus 15 % en Estonie, Bulgarie, Tchéquie, Hongrie comparés au plus 14 % en Russie — le dollar a baissé de 29 % par rapport au rouble, l’euro de 13 % par rapport au dollar et de 38 % face au rouble. En outre, les États-Unis nous vendent au prix fort plus que sur son marché son gaz de schiste très polluant. |
↑5 | La voiture électrique qui n’est pas forcément la panacée pour préserver l’environnement (voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-combat-ecologique/les-dessous-de-la-voiture-electrique/7427631) est inaccessible pour le portefeuille des classes populaires |