Le prochain congrès du NPA en novembre portera notamment sur trois questions : la crise et nos réponses ; les perspectives politiques et nos politiques d’alliance ; la question des religions et de l’émancipation. Le texte qui suit est une contribution du regroupement « féminisme et laïcité » (RFL) sur le dernier thème. Le regroupement RFL est né au sein du NPA dans la foulée des débats ouverts par la candidature, dans le Vaucluse, d’une militante portant un foulard musulman lors des élections régionales 2010. Cette candidature a révélé une conception du féminisme, de la laïcité et de l’intervention dans les quartiers populaires, de l’internationalisme et de la démocratie au sein du NPA, avec la quelle nous étions en désaccord. C’est, d’une certaine manière, le profil politique du NPA et son projet d’émancipation qui est en jeu dans cette discussion. Ce texte est le fruit d’un échange entre militant.e.s, membres ou non de la direction nationale du NPA.
Divisions et solidarités à l’heure de la crise capitaliste
Le renforcement, en Europe, de courants xénophobes, de nationalismes identitaires et de mesures discriminatoires est à prendre très au sérieux. Avec l’aggravation prévisible de la crise sociale, il peut conduire à des pogromes où les populations dites musulmanes (mais aussi les « ROMS »), désignées comme boucs émissaires, seront les premières visées. Ce n’est pas un cliché que de dire et redire que nos gouvernants veulent à tout prix diviser les exploités en opposants entre eux les victimes du racisme (arabes, noirs, juifs, chinois…), travailleurs « nationaux » et immigrés, employés stables et précaires, fonctionnaires et salariés du privé, salariés et chômeurs, hommes et femmes, anciennes et nouvelle générations … C’est une donnée majeure de la situation.
En effet, même si cette volonté de diviser pour régner est l’heure de la crise capitaliste vieille comme la lutte des classes, il n’y a ici rien de routinier. La question prend une importance toute particulière à l’heure où la mondialisation capitaliste vide de son contenu la démocratie politique (fût-elle bourgeoise) et dissout les espaces de citoyennetés. A l’heure où le néolibéralisme s’attaque aux solidarités conquises dans les combats d’hier, aux droits collectifs que sont les retraites, la sécurité sociale, la santé ou l’enseignement publics … A l’heure d’un grand tournant historique où les bourgeoisies européennes veulent véritablement démanteler les acquis sociaux de l’après-guerre.
Il est vital, dans ce contexte délétère, de consolider les solidarités croisées ; en étant, par exemple, tout à la fois antiraciste, féministe et laïque.
Le féminisme n’est pas seulement un acquis, c’est un combat et un projet d’émancipation
Depuis 30 ans, on assiste à une contre-offensive systématique des courants religieux les plus réactionnaires contre les acquis féministes. Cela s’est traduit par une alliance ouverte entre les conservateurs protestants anglosaxons, le Vatican et les représentants des pays musulmans dans les conférences internationales sur les femmes ou la démographie, contre le droit à l’avortement, contre le libre choix de sa sexualité, etc., dans le contexte de l’offensive néolibérale.
En France, cette vague de fond réactionnaire a pris toute son ampleur au tournant du siècle. En tant que partisan.e.s d’un féminisme « luttes de classe », nous sommes donc amené.e.s à défendre une orientation qui tout à la fois s’inscrit dans une perspective féministe anticapitaliste, antiraciste et internationaliste. Nous luttons non seulement pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines (travail professionnel, répartition des tâches domestiques et parentales, vie politique, sexualité etc.) mais également contre toute éducation sexiste qui construit et reproduit la division sociale et sexuée du travail dans toutes les sphères de la société et produit des normes morales et sexuelles différenciées pour les individu.e.s en fonction de leur genre ou leur sexualité. Cette lutte en faveur de la mixité va de pair avec la reconnaissance du droit à l’auto-organisation des femmes mobilisées pour leur émancipation, avec la lutte pour l’égalité entre hétéros et homos et contre les discriminations contre les minorités sexuelles.
Cette compréhension de la lutte féministe est contradictoire avec les « dogmes » religieux monothéistes qui défendent un modèle « complémentaire » des sexes fondé sur l’assignation prioritaire des femmes à la maternité, le rejet de l’homosexualité comme « contre-nature » et pour lesquels seule la sexualité dans le cadre du mariage est « licite ». Cette prescription est une source permanente d’inégalités entre les garçons et les filles et d’une hypocrisie sans nom. En effet, qui va contrôler (et comment) la « virginité » des jeunes hommes ? La transgression de ces normes a de plus lourdes conséquences pour les filles au point que certaines attendent le dernier moment pour parler d’une grossesse non désirée ou sont conduites à recourir à la chirurgie pour reconstituer leur hymen et leur réputation ! Il ne s’agit pas ici de préconiser un modèle sexuel qui ferait obligation à tout jeune d’avoir des rapports sexuels à tel ou tel âge. Chacun, chacune, doit pouvoir faire sa propre expérience, en fonction de ses choix personnels. Cela implique pour nous une dénonciation en profondeur des préjugés religieux qui corsètent la vie des jeunes et des jeunes femmes en particulier.
De même, le port du foulard ou du voile musulman ne peut être banalisé. Sur le plan individuel, le port du foulard peut prendre des sens multiples. Certaines ont choisi de le porter en signe de résistance ou par adhésion politico-religieuse tandis que d’autres sont contraintes de le faire sous la pression de leur famille ou de leur quartier, etc. Mais quelles que soient les motivations individuelles (très diverses), le foulard (et bien plus encore le voile intégral) n’est pas un vêtement comme un autre. Cacher la chevelure et le corps des femmes a le même sens dans toutes les religions monothéistes : le corps des femmes doit être caché à tous, sauf au mari, car il est censé susciter des désirs incontrôlables de la part des hommes. Dans cette vision de la sexualité, les femmes sont présentées soit comme de dangereuses séductrices, soit comme totalement asexuées, les hommes étant toujours assimilés à des êtres faibles incapables de résister à leurs « instincts ». Dans un pays où le droit à l’avortement est sans cesse remis en cause, où la victoire contre l’ordre moral catholique date d’une génération à peine et n’est toujours pas stabilisée en Europe, cela ne peut être ressenti que comme une « régression » par de très nombreuses et nombreux féministes.
C’est pourquoi le choix d’une candidate portant un foulard musulman était une grossière erreur.
Ce refus de banaliser le voile s’accompagne d’un rejet tout aussi clair de notre part de cette nouvelle loi contre la « burqa », loi de circonstance destinée à faire diversion par rapport aux remises en cause sans précédent des droits sociaux des travailleurs et chômeurs des deux sexes, qui constitue une atteinte à la liberté religieuse et à celle de circuler librement dans l’espace public. Nous sommes résolument contre mais ce n’est pas par ce type de loi qu’on peut garantir la dignité des femmes. Ici, comme à chaque fois, il s’agit de lutter contre la ségrégation des sexes dont est porteur le voile intégral, de nous opposer aux attaques gouvernementales et de mener de front notre combat féministe.
Défendre la laïcité
S’il est vrai que les lois sur la laïcité ont été votées par une majorité républicaine… colonialiste et hostile au droit de vote des femmes, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ces lois représentent pour nous un acquis fondamental : la reconnaissance de la liberté de conscience, l’égalité de principe entre tous les citoyens quelles que soient leurs croyances et convictions, la gratuité de l’enseignement (primaire à l’époque) ; la scolarisation des garçons… et des filles ; la séparation des Eglises et de l’Etat (arrêt du contrôle étatique sur le fonctionnement des religions et fin de leur financement par l’Etat ; les religions n’ayant plus non plus le droit d’interférer sur le fonctionnement de l’Etat). Toutes ces lois ont eu le mérite de porter atteinte aux privilèges de l’Eglise catholique et de définir un espace de citoyenneté indépendamment des appartenances religieuses des un.e.s et des autres.
A l’heure où Sarkozy porte atteinte à la laïcité en réaffirmant le primat du prêtre sur l’instituteur, en augmentant les financements des écoles privées etc., nous devons réaffirmer le plus clairement possible notre volonté d’unifier les exploités et opprimés des deux sexes, indépendamment de leurs appartenances religieuses. Or, présenter un ou une candidat.e (quelle que soit sa religion) affichant de manière ostensible son appartenance religieuse ne peut qu’obscurcir ce message. Nous pensons que les croyant.e.s ont toute leur place au NPA à trois conditions : qu’ils et elles prennent leur distance avec les pouvoirs religieux et s’opposent aux courants réactionnaires ; qu’ils mettent en cause ouvertement les discours officiels de leur religion sur la sexualité, les rapports femmes-hommes, l’homosexualité, le droit à l’avortement, l’apartheid sexuel, etc. ; que tous et toutes admettent qu’on ne fait pas de prosélytisme religieux dans les rangs du NPA et que ce n’est pas la religion qui nous réunit mais la volonté de lutter, ici et maintenant contre l’injustice sociale, le capitalisme et la volonté de promouvoir une autre société débarrassée de la loi du profit et de toutes les oppressions.
Cela signifie que l’on ne peut pas constituer des courants politico-religieux au sein du NPA.
Notre intervention dans les quartiers populaires
Cette conception solidaire et laïque du combat politique doit animer également notre intervention dans les quartiers populaires.
Les multiples formes d’insécurité sociale auxquelles sont confrontés les habitants des quartiers populaires sont aggravées par la répression systématique et la stigmatisation grandissante de certaines population (de culture musulmane notamment ou les « ROMS ») désignées comme boucs émissaires. Il est impératif et urgent d’en finir avec le racisme et son lot de contrôles au faciès, les occupations quasi militaires de certains quartiers populaires, les arrestations arbitraires, les discriminations à l’embauche ou au logement.
Ces quartiers ont besoin de services publics développés, dans les domaines notamment d’éducation, de santé, de logement, de la petite enfance, de transport et de culture ; d’avoir un travail pour chaque adulte ; d’avoir les conditions sociales, matérielles et pédagogiques d’une réelle égalité scolaire (rétablissement de la carte scolaire, augmentation des moyens pour l’Education nationale, fin des inégalités entre écoles de communes plus ou moins riches). Les jeunes ont besoin des conditions matérielles leur permettant d’étudier et de se former sans travailler à côté. Il faut construire des logements sociaux (1 million manquants), notamment dans les communes riches pour en finir avec la ghettoïsation des travailleurs ; rapprocher les personnes de leur lieu de travail ; mettre en place la gratuité des transports en commun et les développer ; (ré)implanter des centres de santé de proximité qui permettent l’accès aux soins pour tous et toutes ; mettre les formations qualifiantes et diplômantes au cœur de la lutte pour l’emploi ; interdire les licenciements et créer les emplois nécessaires à l’amélioration et à l’extension des services publics, contribuant à en finir avec le chômage dans des quartiers où il atteint le double du chiffre national et est aggravé pour les jeunes, les immigrés et tout particulièrement les femmes ; développer les lieux d’accueil pour les jeunes, leur permettre l’accès aux diverses activités culturelles ; rétablir et augmenter les subventions aux associations de terrain, favorisant leur intervention notamment dans les établissements scolaires sur des questions diverses, y compris : sexualité, contraception, avortement mais aussi violences faites aux femmes, sexisme, discriminations contre les LGBTI, etc.
Les militant.e.s du NPA sont présent.e.s dans de nombreux collectifs et associations intervenant dans les quartiers populaires. Nous devons y développer encore plus notre intervention et apporter notre soutien actif aux luttes pour l’emploi, la santé, le logement, l’accès à la culture, le partage des richesses. Le combat contre l’exclusion, le racisme et la propagande anti-musulmane fait aussi partie des urgences dans ces quartiers. Mais ce combat ne doit en aucun cas reléguer au second plan la question de l’oppression des femmes et les violences que subissent certaines d’entre elles ni le combat que de nombreuses habitantes mènent pour leur émancipation. Nous devons être aux côtés de toutes celles qui luttent contre l’oppression patriarcale sous toutes ses formes, y compris l’imposition du voile, aux côtés de tous ceux et de toutes celles qui luttent contre les conservatismes religieux.
Un internationalisme multidimensionnel
Dans nos combats politiques, il nous faut pleinement tenir compte de situations concrètes qui diffèrent suivant les pays ou les régions – mais aussi de tout ce qu’il y a de commun. Qu’elles prennent la forme du racisme, de la xénophobie ou du sectarisme religieux, les persécutions contre les minorités ne sont pas l’apanage des métropoles « post-coloniales », tant s’en faut : selon les lieux, ce sont des communautés chrétiennes ou musulmanes, chiites ou sunnites, les peuples indigènes ou les immigrés qui en sont les victimes. De même, les attaques contre les droits des femmes ont aujourd’hui un caractère quasi universel et le renforcement du sexisme est (presque ?) partout sensible.
Nous ne sommes malheureusement plus dans les années 1970, quand se développaient les courants de la théologie de la libération. Aujourd’hui, la montée des extrêmes droites et de la réaction religieuse se manifeste dans le catholicisme, le protestantisme, l’hindouisme, le bouddhisme… et non seulement dans l’islam. Elle est à l’œuvre aux Etats-Unis comme en Inde, au Proche-Orient comme en Europe. Elle nourrit de graves offensives contre le droit à l’avortement allant jusqu’à son interdiction totale (Nicaragua !). Elle pousse dans le monde musulman de plus en plus de femmes à porter le voile, ou le voile intégral.
De même, les attaques en cours contre la laïcité ont une dimension proprement internationale, ciblant son fondement même – la séparation des Eglises et de l’Etat – et non les aspects particuliers qu’elle prend dans tel ou tel pays. A l’initiative du Pakistan, la commission des droits de l’Homme de l’ONU condamne le blasphème au même titre que le racisme alors qu’une telle décision s’oppose à la liberté de conscience ou d’expression et que sa mise en œuvre conduit aux pires violences. Des tribunaux communautaires commencent à opérer dans des pays comme la Grande-Bretagne, ce qui (dans le cas de la charia en particulier) remet de fait en cause les protections et les droits dont bénéficient les femmes concernées. La laïcité est bien l’une des conditions – nécessaire bien que pas suffisante – d’une citoyenneté partagée, d’une loi commune et d’une démocratie politique.
Anti-impérialistes, nous luttons contre la mondialisation capitaliste, la politique de guerre menée par Washington, les visées dominatrices de l’Union européenne – contre notre propre impérialisme français. Nous refusons d’introduire une hiérarchie en les oppressions ou de jouer le jeu de la division en ne soutenant que certaines victimes au nom d’un « ennemi principal ». En Afghanistan, par exemple, nous défendons les femmes qu’elles soient victimes des armées de l’OTAN, des alliés de Washington ou des talibans. L’internationalisme exige que nous soutenions les luttes de toutes et de tous les opprimé.e.s et exploité.e.s dans le monde, non seulement contre l’impérialisme américain mais également contre les régimes réactionnaires locaux.
Développer la démocratie au sein du NPA
Pour le prochain congrès, il faudra voter sur 5 questions notamment :
- Sur notre conception de la démocratie au sein du NPA pour éviter que ne se reproduise le coup de force opéré à l’occasion des régionales. La candidature dans le Vaucluse d’une militante voilée a été décidée sans aucun débat collectif national, choix qui avait pourtant une portée nationale ; le NPA a été sommé d’assumer cette décision, comme si la discussion était close avant même d’avoir commencé, alors que chacun.e savait que la question divisait profondément le NPA. Ce n’est pas comme cela qu’un parti démocratique doit fonctionner. La règle communément admise jusque là, c’est que le débat précède toujours la décision. Dans le cas présent, ce fut l’inverse. Nous savons que bon nombre de militant.e.s ont été consterné.e.s que soit imposée à toute l’organisation une candidate affichant un signe religieux, devenue pour certain.e.s un porte-drapeau ;
- Sur la manière de sélectionner nos candidat.e.s aux élections ou à des postes de responsabilités qui les mettent en contact direct avec les médias ;
- Sur le fait de ne pas banaliser le foulard islamique, etc. ;
- Sur la possibilité ou non d’accepter l’adhésion de militant.e.s qui affichent de manière ostensible leur religion et portent un signe discriminatoire à l’égard des femmes ;
- Sur notre conception de la laïcité.
Nous sommes nombreuses et nombreux à considérer que toutes ces questions ne doivent pas passer sous la table à l’occasion du prochain congrès, qu’il doit donc y avoir des votes clairs.