Le texte ci-dessous est la synthèse d’un texte initialement paru en août 2016. Le texte complet est disponible sur le site du Groupe de Recherche sur la Démocratisation Scolaire
L’administration de l’éducation nationale met l’accent sur les discriminations. Plusieurs initiatives en témoignent : la mise en place par exemple d’un réseau de lutte contre les discriminations au sein de l’Institut Français d’Education (IFI) en 2013 ou bien la publication en février 2016 d’un rapport sur les discriminations dans l’académie de Créteil. Dans le même temps, certains réseaux militants considèrent que les discriminations ethno-raciales sont le problème principal de l’École.
Il faut en premier lieu définir ce que l’on entend par discrimination car il n’y a pas de débat sérieux quand on ne précise pas avec rigueur le sens des mots que l’on utilise. En France, les comportements discriminatoires sont sanctionnés par la loi (article 225-1 du Code Pénal). Une discrimination est un traitement défavorable infligé à un individu sur la base d’un critère illégal. Si l’on verse des salaires inégaux à deux individus en fonction de leurs différences de qualification, il ne s’agit pas d’une discrimination. Mais si l’inégalité de salaire repose sur des différences ethniques ou de genre, elle en devient une.
Pour démontrer qu’il y a discriminations ethniques au sein de l’école, il faut donc prouver que des élèves obtiennent de moins bons résultats et des orientations moins favorables, en raison de leur origine ethnique.
Or tous les travaux scientifiques, depuis le texte de J.P. Caille et L.-A. Vallet (1996) jusqu’à la récente enquête « Trajectoires et origines » conduite par l’INSEE et l’INED (2016), démontrent que toute choses égales par ailleurs (le revenu de la famille, le diplôme des parents, le lieu de résidence, etc.) les résultats des élèves issus de l’immigration sont identiques à ceux des élèves issus de la population majoritaire. Pour certains d’entre eux, notamment les enfants issus d’Asie, les résultats des élèves issus de l’immigration sont même meilleurs. Il n’y a donc pas discrimination dans l’école française. Les travaux qualitatifs (souvent ethnographiques) confirment par d’autres méthodes, cette conclusion. F. Lorcerie, sociologue pourtant sensible à la question des discriminations, déclare à partir de la définition juridique des discriminations : « Dans ce sens-là, il n’y a pas de discrimination dans l’École française à raison de l’origine des élèves. Du moins les données d’enquête disponibles n’y concluent pas ». De même, dans un ouvrage consacré aux discriminations, F. Dubet et ses co-auteurs écrivent : « Il n’est guère possible d’affirmer que l’école discrimine, au sens où elle traiterait différemment et de manière systématique telle catégorie d’élève du fait de son origine ethnique» (Dubet et alii, 2013, p. 221).
Il y a bien d’importantes inégalités au sein du système scolaire, mais leur origine se trouve d’une part dans les inégalités sociales et économiques entre les familles et d’autre part dans la pratique très répandue dans l’école d’une « pédagogie invisible » avantageant les élèves culturellement favorisés et défavorisant les autres.
Si l’on veut lutter contre les inégalités de réussite scolaire, il faut donc lutter contre les inégalités sociales (quartiers ghettos, emplois précaires, niveau très élevé du chômage, etc.), mais il faut aussi changer de paradigme pédagogique et proposer à tous les élèves une école de l’exigence intellectuelle (Terrail, 2016).
Il faut rappeler que la mise en avant du thème des discriminations trouve son origine dans la pensée économique libérale (Gary Becker notamment). Pour ces penseurs libéraux, les inégalités qui découlent de discriminations sont injustes et doivent être combattues, mais que les autres inégalités qui résultent du fonctionnement « normal » du marché sont justes et doivent être acceptées. En affirmant que le problème primordial de l’école est la discrimination ethno-raciale, on passe délibérément ou pas, à côté du problème essentiel. Il ne s’agit pas de lutter contre le « racisme » inconscient des enseignants « blancs », mais de faire en sorte que l’école contribue dans toute la mesure de ses moyens qui sont grands, à faire une école qui soit au service des élèves qui n’ont que l’école pour apprendre. Des solutions existent, elles reposent sur des analyses robustes (celles du GRDS ou celle du groupe ESCOL de Paris VIII).
S’il y a des pratiques discriminatoires au sein de l’école, il faut les dénoncer au procureur de la République qui doit les poursuivre. Pour le reste, il faut exiger pour l’école les moyens qui lui permettraient de mettre en œuvre une égalité des apprentissages. Car les élèves sont tous capables d’apprendre pour peu qu’on leur propose de vrais enjeux cognitifs et une pédagogie explicite leur permettant de s’approprier les savoirs leur permettant de penser le monde de façon autonome.
Références bibliographiques
Beauchemin C., Hamel C., Simon P. (2016), Trajectoires et origines, Editions de l’INED.
Caille J.P. et Vallet L.-A. (1996), Les élèves étrangers ou issus de l’immigration dans l’école et le collège français. Une étude d’ensemble, Les dossiers d’éducation et formation, n°67.
Dubet F., Cousin O., Macé E., Rui S. (2013), Pourquoi moi ? L’expérience des discriminations, Seuil.
Lorcerie F. (2009), Dans l’école les classements ethniques sont en usage, Entretien avec F. Jarraud, Le Café pédagogique, 15 janvier 2009.
Terrail J.-P. (2016), Pour une école de l’exigence intellectuelle. Changer de paradigme pédagogique, La dispute.