Au 31 décembre 2017, quelque 8005 mineurs non accompagnés supplémentaires ont été confiés aux départements, par décision de justice, au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance, car étant reconnus officiellement comme mineurs. C’est une augmentation imprévue qui a été de nature à justifier un financement exceptionnel de l’État à hauteur de 96 millions d’euros. Mais le compte n’y est pas !Un petit département comme le Tarn (340 000 habitants) a vu ses dépenses concernant les mineurs isolés étrangers augmenter de 1 800 000 € pour l’année 2018. S’en est suivie une politique au rabais d’aide sociale aux mineurs isolés étrangers dans chaque département. Ceux-ci se sont alignés pour la plupart sur les indications financières proposées par l’État. Mais il faut ajouter que l’Association des Maires de France, l’Assemblée des Départements de France et des Régions de France se sont pour la première fois constitués en une association nouvelle dénommée « les Territoires Unis» sous le prétexte que l’État n’honorait pas ses engagements, en particulier en matière de prise en charge des mineurs isolés étrangers et ne reversait que 10 % des sommes engagées par les départements. « Les liberté locales, c’est le respect par l’État de ses engagements contractuels et de sa signature : la remise en cause du contrat de plan État-Régions, le transfert de charges sur le département de près de 11 milliards d’euros sur les allocations individuelles de solidarité et les mineurs non accompagnés, […] doivent cesser. » (appel signé par François Baroin, Dominique Bussereau, Hervé Morin). Même l’ex-ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a reconnu ses erreurs en matière de prise en charge des mineurs isolés étrangers, avant de partir sous d’autres cieux lyonnais. Qu’en est-il réellement de ses transferts de charges ? Pour répondre à cette question j’ai donc été amené à regarder de plus près un document édité par le Ministère des affaires sociales, daté de janvier 2018, dénommé : « Mission bipartite de réflexion sur les Mineurs Non Accompagnés ». Ce document est signé par l’Inspection Générale de l’Administration (IGA), l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), l’Inspection Générale de la Justice (IGJ) et l’Association des Département De France (ADF). L’étude de ce document permet de comprendre dans quelle perspective va être organisée, par l’État, la reprise en main du dispositif d’aide et d’accompagnement aux mineurs isolés étrangers, actuellement sous la responsabilité des présidents de départements. Ce document reprend les engagements énoncés par Emmanuel Macron, à Calais le 16 janvier 2018 : « Nous faisons face à l’arrivée croissante, sur l’ensemble du territoire, de mineurs isolés étrangers, prés de 25 000 en 2017, principalement en provenance d’Afrique. […] Nous avons évidemment, une réponse appropriée que nous apporterons.[…] C’est un dispositif complet, d’accueil et de prise en charge qui est mis en place, qui est organisé et non plus subi, et sur lequel nous tiendrons. » L’étude, eIle, évoque des perspectives de reprises de responsabilité de l’État par rapport aux départements sous forme de deux scénarios différents.
1-Premier scénario : Compétences inchangées du département avec remboursement « accru » de l’État. La répartition des compétences en matière de recueil provisoire d’urgence et d’évaluation reste inchangée. Le soutien de l’État se traduit par une augmentation significative de sa participation financière pendant la période de mise à l’abri et d’évaluation.
2-Deuxième scénario : Transfert de compétences à l’État. L’État devient responsable de l’accueil provisoire d’urgence des mineurs non accompagnés, et–ou de l’évaluation de la situation. En conséquence, les deux scénarios seront envisagées et discutés avec chaque président de département. Le scénario 2, transfert de compétences à l’État, ne sera arrêté que sur la base du principe de volontariat avec les départements. Compte-tenu des difficultés nombreuses que soulève la mise en place de dispositifs adaptés et les incertitudes quant au financement, il est fort à parier que ce soit le scénario de transfert de compétences à l’État qui va l’emporter.
Conclusion sibylline du rapporteur : « l’augmentation de jeunes accueillis à l’aide sociale à l’enfance doit amener à une réflexion conjointe de l’État et des départements sur les conséquences à en tirer en terme d’adaptation de la prise en charge. Au regard de la motivation de ces jeunes à l’éducation et à la formation professionnelle, la consolidation de leur parcours d’intégration au-delà de la majorité, devrait faire l’objet d’une attention toute particulière. » Pour continuer de les accompagner comme il se doit ou pour les renvoyer à la case départ ? Ces différentes perspectives, exposées dans le rapport, ne sont pas étudiées dans le cadre de besoins ou de demandes repérées par des professionnels de l’aide sociale ou par des bénévoles associatifs. Il n’est qu’un plan prospectif fondé sur une argumentation purement financière. Au-delà de ce constat chiffré se pose la question de la qualité de l’accueil. Ces jeunes, qui pour une bonne partie, ne parlent pas la langue française, sont souvent plus âgés que ceux dont s’occupent habituellement les professionnels. Ils ont des besoins d’accompagnements particuliers liés a leur situation personnelle. Ils sont difficilement intégrables dans des structures traditionnelles de le protection de l’enfance. Dans le chapitre 1-7, intitulé, « Mise en œuvre d’un bilan de santé systématique », il est dit : « La prise en charge sanitaire des jeunes en cours d’évaluation, est aujourd’hui, selon les départements, très aléatoire. La mission recommande de mettre à profit la période d’évaluation pour organiser systématiquement un bilan de santé qui devrait inclure, outre les soins urgents, un examen clinique et un accompagnement éventuel par un professionnel de santé, en cas de syndrome de stress post traumatique. » Or le coût total de cette accompagnement sanitaire est évalué à 81,09 €, dont un accompagnement particulier par un psychologue qui est estimé à un quart d’heure par jeune, pour la somme de 8,75 €, ce qui est tout simplement dérisoire sinon ridicule quand on se targue de vouloir soigner des symptômes aussi complexes… Pour les entretiens dits « d’évaluation », ils seraient codifiés sur la base de 2 h 30 effectuées par des travailleurs sociaux, et pour 50 % seulement des mineurs (!), et sur la base d’une heure d’entretien psychologique. Pourquoi seulement 50 % ? Parce que, il est à noter que 50 % de ces mineurs sont dés le départ non concernés par les évaluations puisque considérés d’emblée (à vue!) comme majeurs. Médecins sans frontières, présent sur tous les lieux d’accueil importants révèle que, « nos équipes ont constaté que le tri entre mineur et majeur effectué et par les services de l’État était réalisé de manière expéditive, exclusivement de visu. » Dans le cas fort probable où la responsabilité, de la « mise à l’abri » et de l’évaluation serait confiée à l’État, ce sont les préfets qui en assureraient la responsabilité et la mise en œuvre. Ces opérations associées se dérouleraient dans 30 plate-formes interdépartementales adossées aux guichets des demandeurs d’asile, créés en 2015. Ce scénario ne peut être envisagé que dans un délai qui ne pourra être inférieur à un an. Pendant cette période d’attente de mise en place du dispositif, ce sont les départements qui continueront d’assurer leur mission de protection, les mises à l’abri, les évaluations et les accompagnements, c’est-à-dire, probablement jusqu’en janvier 2020. En conclusion, ce texte est d’abord et avant tout un outil de gestion pour envisager les conséquences en matière juridique, financière et organisationnel de la mise en place d’un nouveau dispositif transféré à l’État et avec l’accord des départements volontaires. Il nous rassure pas, bien au contraire, sur l’exclusion rapide de ceux qui seraient d’emblée considérés comme majeur et sur la validité des dites « évaluations » réalisées. Il s’inscrit dans une logique politique se référant au méthodologies purement gestionnaires des « Contrats d’Impact social » que nous vous avions dénoncés dans un précédent numéro deRES PUBLICA. Ces mineurs isolés étrangers, qui au nom de la loi sont des « enfants en danger », à protéger, ne peuvent relever de l’hébergement d’urgence de droit commun prévu pour les migrants majeurs. Le premier ministre dans un communiqué du 20 octobre 2017 ne disait-il pas lui-même qu’il faudrait, les concernant, « mettre en place des dispositifs d’accueil et un processus de prise en charge spécifique et adapter les dispositions législatives. » Comme le disait Corinne Torre, responsable de mission France de Médecins sans frontières, le danger qui les menace, et surtout concernant les filles, est patent : « En l’occurrence les mineurs non accompagnés se retrouvent souvent dans des réseaux de passeurs ou de prostitution. Si l’État ne fait pas son travail en les protégeant c’est notre rôle d’alerter. Le seul moyen est de mettre en œuvre un programme qui nous permet d’établir des données consolidées, de faire un plaidoyer très fort et de démontrer que l’État est défaillant. » (revue Lien Social n°1220, p. 31). Visiblement on ne pourrait lui donner tort quand on entend, par exemple, les déclarations approximatives de Julien Denormandie, secrétaire d’État auprès du ministre de la cohésion des territoires qui, le 30 janvier, affirmait avec certitude, au micro de France Inter, que « c’est à peu près une cinquantaine d’hommes isolés en île de France qui dorment dehors, pour être très précis ». Toutes les associations impliquées à Paris savent que chaque nuit, au moins, 128 mineurs isolés sont dans une situation très préoccupante et en situation de « danger » dans la capitale. Ainsi ils sont « en pleine vague de froid et, livrés à eux-mêmes dans les rues de Paris, sans-abri, par des températures négatives, et de ce fait exposés à un danger grave immédiat pour leur santé physique et psychique » se sont inquiété plusieurs avocats qui ont adressé, jeudi 8 février un signalement au procureur de Paris et au parquet chargé des mineurs.(voir article du Monde du lundi 12/02/2018). Les avocats ont joint, pour être un peu plus précis, au secrétaire d’État Julien Denormandie, une liste nominative de ces 128 mineur de 13 à 17 ans, la plupart, des garçons. « Mais ce n’est qu’une partie de l’iceberg », comme le précise, Emmanuel Daoud, membres du conseil de l’ordre de Paris… Tout commentaire est inutile. Les faits sont suffisamment éloquents… et pourtant il existe des modalités d’action qui ont donné leurs preuves, comme les dispositifs expérimentés dans le département de la Mayenne, soutenus par la sénatrice Elisabeth Doineau, vice-présidente de la commission de Affaires sociales, co-rapporteuse avec Jean-Pierre Godefroy du rapport sénatorial, « Mineurs non accompagnés : répondre à l’urgence qui s’installe », de juin 2017. Elle concluait comme suit, (Journal des Acteurs Sociaux n°222, décembre 2017, p. 29): « les départements doivent faire preuve de pédagogie et sans doute associer les populations à l’intégration de ces jeunes. Il y a donc nécessité aussi à former des évaluateurs et à faciliter les échanges avec des organismes plus habitués à ce genre de démarche comme l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ( et sur le plan sanitaire avec des organismes comme Médecin du monde et Médecins sans frontières). La question des MNA s’inscrit dans le contexte d’une intensification des flux migratoires. Il revient à l’État d’assumer sa part de responsabilité. Par ailleurs, la première de nos 30 propositions est de « renforcer la lutte contre les filières de passeurs, en coopération avec les états d’origine. » Car la question des MNA est aussi, sinon d’abord, une question d’immigration. Ces jeunes, mineurs ou pas sont très souvent les victimes de traites humaines font l’objet de menaces, de chantage sur eux ou leurs familles. » Évidemment tout ce qui concerne l’administratif reste et restera du ressort du Conseil départemental et de l’État, les associations volontaires assurant, elles, l’accompagnement en matière de santé, d’hygiène, de formation, d’éducation.Mais comme le soulignait récemment dans le journal Le Monde Pierre Monzani, directeur général de l’Assemblée des départements de France, « nous avons peut-être une ASE datée et cette crise est l’occasion de la redessiner ».
À suivre…
P.S. : Et les jeunes filles mineures isolées étrangères, sont toujours les « invisibles » de ces histoires pitoyables , ces lamentables contes, de PETITES POUCETTES toujours et encore plus en danger… !