Article paru dans le quotidien Le Progrès social
Les Social impact bonds (SIB) débarquent en France. Ce dispositif très libéral, né au Royaume-Uni en 2010, et qui a déjà essaimé dans les pays anglo-saxons, consiste à faire financer par une entreprise privée, des actions sociales relevant normalement de financements publics. Qui aurait imaginé des banques s’engageant dans la lutte contre la récidive de jeunes sortant de prison ou l’insertion professionnelle d’habitants de banlieues défavorisées ? Afin d’assurer la réussite du projet, un objectif précis est assigné au financeur qui doit trouver l’art et la méthode de l’atteindre. Si ça marche, l’État rembourse l’intégralité de la dépense engagée et si le succès est vraiment au rendez-vous s’y ajoutent des intérêts plus ou moins juteux. Histoire de rémunérer le risque pris!
Le 15 mars, la secrétaire d’État chargée de l’Économie solidaire, Martine Pinville, a lancé un appel à projets pour sélectionner, d’ici le 31 janvier 2017, des candidats susceptibles de bénéficier de ce nouveau financement. Il faudra attendre cet automne pour savoir si cet appel à projets a rencontré le succès. Jusqu’ici, peu de personnes ont entendu parler de ce dispositif de financement pour le moins atypique dans le secteur du social. Et il y a fort à parier que grâce à lui, les participants à la Nuit debout auront encore de bonnes raisons de ne pas aller se coucher.
Une mise doublée en 7 ans
Le terme « bond » qui signifie obligation en anglais n’est pas vraiment correct dans ce cas précis. La traduction française de ce dispositif serait plutôt, comme le définit l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) : un « contrat à terme sur résultats sociaux ». L’organisation a rédigé une note établissant que les SIB « ont constitué des instruments coûteux » et insiste sur le fait que les décideurs devraient évaluer la plus-value du choix d’un SIB « par rapport à une approche traditionnelle ». D’autant, poursuit l’étude, que si ce nouveau mode de financement vise à transférer le risque porté sur le gouvernement et les prestataires de services sociaux sur les investisseurs, « les mécanismes de protection du capital et de garantie,comme l’existence de clauses de résiliation anticipée dans le contrat de SIB, peuvent diluer le risque couru par les investisseurs ». D’après les calculs du Collectif des associations citoyennes (CAC), les investisseurs recevront un retour sur investissement payé par l’autorité publique « à deux chiffres, jusqu à 13 % voire 15 % par an selon les contrats ». Ce qui signifie qu’« en moins de sept ans, la somme qui devra être remboursé par le secteur public aura doublée ». Révolté, le collectif invite à co-signer et diffuser l’appel « Quand le social finance les banques et les multinationales ». La banque Goldman Sachs, très impliquée dans ce dispositif nous en donne un exemple criant. En 2014, dans le Massachusetts, elle cofinance le plus important SIB jamais mis en œuvre. Le projet, doté de 27 millions de dollars, s’étale sur sept ans et est destiné à lutter contre la récidive d’environ mille jeunes délinquants. La banque a apporté 9 millions de dollars. Si la prise en charge atteint son but et réduit de 40 % le nombre de jours d’incarcération, les bailleurs de fonds seront remboursés avec un rendement annuel de 5 %. Si le nombre de jours d’incarcération diminue dans des proportions plus importantes, Goldman Sachs empochera 1 million de dollars.
Bombes à retardement
On comprend aisément pourquoi le collectif appelle à la vigilance. En effet, les SIB représentent une forme de partenariat public-privé « dont les conséquences désastreuses ont été soulignées à maintes reprises » notamment par la Commission des lois du Sénat qui les qualifient de « bombes à retardement pour les finances publiques ».
Saisi par la secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire, le Haut conseil à la vie associative (HCVA) vient de rendre un avis sur les SIB. « Nous aurions souhaité, regrette Chantal Bruneau, secrétaire générale du HCVA, qu’il y ait une phase d’expérimentation. Au lieu de cela, nous avons un appel à projets tous azimuts. Il aurait fallu auparavant connaître les économies réelles que ce dispositif aura sur les financements publics. Car cela risque de coûter plus cher qu’un investissement classique. »
Il est un peu tôt pour faire le point sur ce dispositif encore jeune. Une des premières opérations qui porte également sur la réduction du taux de récidive en prison et qui a été mise en œuvre en Angleterre n’a pas donné des résultats significatifs. « Le taux de récidive a baissé, reconnaît Chantal Bruneau, mais dans des proportions insignifiantes ».
Une éthique bafouée
Certaines associations craignent, qu’attirées par le profit, les entreprises privées ne financent que des opérations rentables ; ce qui écarterait les publics les plus précaires et les plus vulnérables des dispositifs sociaux. Et soulèverait un véritable problème éthique. Par ailleurs, comment évaluera-t-on ces projets ? Comment fixera-t-on les critères de réussite ? « Ces indicateurs auront-ils du sens pour toutes les parties? On pense par exemple à l’indicateur de remise à l’emploi de personnes peu qualifiées, s’inquiète Véronique Huens coordinatrice à la Fédération d’économie sociale belge, dans une étude intitulée SIB : win-win [gagnant-gagnant] ou marché de dupe ? Mais de quel type d’emploi parle-t-on ? Est-ce-que trouver un intérim de trois semaines peut-être considéré comme un emploi ? »
Cette marchandisation de l’action sociale remet en cause les fondamentaux du travail social. En effet, accompagner une personne, c’est travailler avec elle pour faire émerger une solution à ses problèmes, trouver une réponse qu’elle aura co-construite avec l’éducateur. Le travail social, c’est le tâtonnement, le sur-mesure, sûrement pas le protocole fixé d’avance que l’on suit à marche forcée en cochant les cases. « Des tas d’initiatives existent, notamment dans le fonds d’expérimentation pour la jeunesse, rappelle Chantal Bruneau. Elles fonctionnent depuis des années » Et ne demandent qu’à être développées, appliquées à un plus grand nombre. « Je ne crois pas à ces appels à projets nationaux, ajoute-t-elle. On ne traite pas forcément les problèmes de la même manière dans le nord et dans le sud de la France, elles dépendent du contexte. Je crois aux expériences locales, elles sont la politique de demain. »