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L’investissement éducatif au cœur des contre-réformes libérales

Commentaire de la Rédaction
1. L’auteur donne à croire que la libéralisation date de Sarkozy, que du temps de Savary et Jospin c’était mieux. Or elle remonte aux années 1970, pour ne pas dire plus haut. Il parle de « SMIC culturel ». Or c’est ce qu’on reprochait déjà à la réforme Haby : limiter le savoir dispensé aux enfants. Car en vérité, la volonté bourgeoise de limiter les effets émancipateurs de l’école publique date de l’école publique elle-même : voyez la suppression des moniteurs dès la monarchie de Juillet, parce que les enfants apprenaient trop vite à lire.
2. L’auteur parle des savoirs sans préciser leur fonction. Il donne à croire qu’ils ont pour but de permettre aux élèves de réussir leur carrière. Or le caractère de l’école publique est de dispenser des savoirs émancipateurs, indépendamment de leur utilité professionnelle. Il a donc raison de dire que la financiarisation de l’éducation accroît les inégalités, mais il oublie surtout de dire qu’il s’agit d’abord de la démolition d’une institution essentielle de la république (et non d’un simple service public). Peut-être est-ce un relent d’un marxisme mécaniste purement économiste, comme on a pu l’entendre dans la mouvance du PCF, qui refusait d’admettre la fonction émancipatrice de l’école.

Francis Daspe est co-auteur avec Paul Vannier du livre Manifeste pour l’école de la sixième République (éditions du Croquant, août 2016). Il est également responsable de la commission nationale éducation du Parti de Gauche et secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée.

En matière d’éducation, les contresens idéologiques et les renoncements politiques ont caractérisé le quinquennat qui s’achèvera l’an prochain. Un verdict identique serait valable pour le précédent quinquennat. Un dénominateur commun solidarise en effet les politiques menées par Nicolas Sarkozy et François Hollande : le concept d’investissement éducatif. C’est un véritable venin qui catalyse les dernières réformes éducatives.

Le principe de base est fort simple. Pour les libéraux, le rôle de la puissance publique doit se limiter à la transmission de connaissances de base aux élèves. Celles-ci correspondent grosso modo aux apprentissages fondamentaux déclinés dans la version minimaliste et utilitariste du socle commun de compétences de la fin de la scolarité obligatoire au collège. Toute acquisition de savoirs au-delà de ce « smic culturel » est susceptible de permettre à celui qui en est le bénéficiaire d’accéder à un métier lui permettant des gains financiers dans sa future vie professionnelle d’adulte. Par conséquent, les libéraux considèrent que l’opération doit relever d’un investissement de la part des familles, et non pas être une dépense de la puissance publique. Un investissement d’ordre éducatif en somme.

Cette logique trouve sa traduction concrète dans certaines réalités et certains projets. La très contestée réforme du collège l’illustre parfaitement, par le rabougrissement organisé des savoirs transmis. C’est le cas aussi de la floraison des officines de soutien scolaire censées compenser, pour ceux qui en ont les moyens, les insuffisances d’une transmission de savoirs ainsi volontairement rabougris. Cela va de pair avec les exonérations fiscales dont bénéficient les cours particuliers financés par les familles à leurs rejetons. Et au final, Acadomia prospère… Il est vrai que ces dépenses génèrent des flux financiers en circuit fermé : l’argent ne sort pas réellement de l’entre-soi de l’oligarchie. Il faut bien fluidifier le système, tout en écartant les autres dont la promotion pourrait troubler cette élite déjà installée…

La logique du chèque éducation s’inscrit pareillement pleinement dans le cadre de l’investissement éducatif. Chaque famille doit être responsable de ses choix en matière de scolarité de ses enfants. Il convient alors de faire jouer la concurrence en évoluant dans le labyrinthe d’un système éducatif transformé en marché. Le triptyque infernal des libéraux peut donc se mettre en route pour produire ses effets dévastateurs : individualiser, responsabiliser, culpabiliser. L’absurde de cette logique conduit à l’endettement des familles les plus modestes pour financer les études des enfants. Et c’est ainsi que l’on crée le scandale de la dette étudiante, explosif dans les pays anglo-saxons, en passe de le devenir de manière semblable en France. Ou celui des étudiants salariés, principale cause de l’échec au niveau du supérieur.

Pour l’école de la République, la menace porte un nom : la financiarisation de son fonctionnement et la marchandisation des savoirs. Il y a un danger mortifère à concevoir l’organisation de l’école comme un marché. L’idéologie dominante n’a pas épargné l’école, octroyant une place considérable aux concepts liés à l’économie de marché. Ces concepts agissent, en toute circonstance, comme une vérité révélée. Le dogme de la main invisible et les autres arguments métaphysiques du libéralisme ont été introduits dans le système éducatif. Ils y sont à l’œuvre et y impriment puissamment leur marque. Il y a bien urgence à contrecarrer la notion d’investissement éducatif si l’on veut éviter que ce venin ne paralyse l’école de la République.

 

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