McKinsey, surnommée « la Firme »(1)La Firme (The Firm) est un film américain de Sydney Pollack , adapté du roman du même nom de John Grisham. Le film raconte l’histoire de Mitch McDeere, un jeune avocat prometteur qui emménage dans le Tennessee après avoir été recruté par un petit cabinet juridique de Memphis. Peu à peu, Mitch découvre l’envers du décor et la véritable nature des clients de sa firme, liée à la mafia. : un scandale et un hold-up sur la démocratie aux dépens de la souveraineté du peuple ou une affaire de liens incestueux entre l’État et les cabinets de conseil privés ?
Cette affaire est révélatrice d’un système organisé au plus haut niveau de l’État avec l’aide de sociétés privées telles que McKinsey pour compenser la réduction du nombre de fonctionnaires en sous-traitant au privé ce que l’État, mais aussi les collectivités territoriales à tous les niveaux, ne sont plus en capacité de réaliser en régie. Au passage, ces sociétés privées se sucrent sur le dos de l’État et donc de nous tous et toutes en tant que contribuables. Cela participe d’une logique ultralibérale dont l’axiome est de considérer les recettes de l’État, les cotisations sociales comme des charges alors qu’elles reviennent en services concrets dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la Sécurité sociale branches maladie et vieillesse, services publics accessibles quelle que soit sa situation financière : « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ».
Les pratiques de McKinsey semblent légales – encore faut-il attendre les conclusions du Parquet national financier (PNF) – si toutefois une mission en ce sens lui est confiée. En effet, le PNF pourrait, suite au rapport du Sénat publié le 16 mars 2022(2)Le rapport porte sur « l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques »., se saisir de l’affaire pour procéder à des investigations financières du fait que McKinsey ne paye pas d’impôt en France depuis dix ans. L’obstacle principal pourrait venir du ministère des Finances qui a la capacité de verrouiller toute velléité de transparence, étant le seul à pouvoir décider d’engager des poursuites fiscales. Bercy aura-t-il la volonté d’investiguer en période de campagne du candidat Macron et mettre en cause le sommet de l’État(3)Deux poids deux mesures : le PNF et le ministère des finances n’avaient pas tergiversé pour lancer une enquête sur le candidat Fillon en 2017. ? Aux dernières nouvelles, il semblerait que le PNF ait décidé d’ouvrir une enquête pour blanchiment aggravé de fraude fiscale(4)Source Le Monde : « Après les controverses politiques, la polémique sur les cabinets de conseil prend une tournure judiciaire. Le Parquet national financier (PNF) a annoncé mercredi 6 avril l’ouverture d’une enquête préliminaire pour blanchiment aggravé de fraude fiscale, déclenchée par le récent rapport du Sénat sur les cabinets de conseil, publié le 17 mars. Si le PNF n’a pas détaillé les contours de son enquête, ni les suspects visés, le motif invoqué laisse supposer que les investigations portent sur les pratiques fiscales de McKinsey. Le Sénat avait en effet révélé dans son rapport que le cabinet américain n’avait pas payé d’impôt sur les sociétés entre 2011 et 2020, alors qu’elle réalise en France un chiffre d’affaires de plusieurs centaines de millions d’euros (329 millions en 2020). Un miracle rendu possible par un mécanisme d’optimisation fiscale dit de « prix de transfert », classiques pour les multinationales, et dont le caractère légal ou frauduleux est toujours difficile à établir. ».
La réalité des « prestations » en conseil fournies par le cabinet américain
La volonté politique pour faire toute la clarté sur ce détournement de l’argent public à des fins de profits privés avec la complicité active du gouvernement risque donc, dans la période, de ne pas être au rendez-vous. En effet, cette réalité met en cause la haute administration publique, en tout cas en partie, le président de la République et les différents ministères :
- les cadres de McKinsey ont travaillé pour la campagne du candidat Macron en 2017,
- un système de copinage avec renvoi d’ascenseur : une vingtaine de membres de McKinsey, dont Karim Tadjeddine, responsable du secteur public chez McKinsey France, ont œuvré « gratuitement » à la campagne de 2017 du candidat Macron. D’anciens membres de McKinsey occupent aujourd’hui des postes-clés de la macronie,
- les prestations de ce cabinet à la demande de l’État, chiffrées en milliards, ont explosé sous le quinquennat du président Macron. Ce faisant, il est fort à craindre que des « données sensibles » traversent l’Atlantique…
- la gestion de la crise sanitaire due au Covid et au manque de moyens des hôpitaux pour faire face est concernée : 26 contrats ont été signés avec des cabinets privés (12,3 millions d’€ rien que pour McKinsey, soit une grande part des dépenses de l’État pendant la pandémie), autant de contrats qui sèment le doute sur la maîtrise des choix des pouvoirs publics quant au confinement, quant à l’obligation vaccinale alors que McKinsey est intéressé aux résultats financiers du géant pharmaceutique Pfizer !
- l’Éducation nationale est également éclaboussée : une mission a été commandée à McKinsey pour 480 000 € pour réfléchir à l’avenir du métier pour conclure sans doute qu’il y a trop d’enseignants alors que l’évidence et l’expertise des enseignants montrent que le nombre d’élèves par classe ne devrait pas aller au-delà de 20 pour assurer une véritable démocratisation (réussite scolaire) et former des citoyens conscients et éclairés, des esprits libres en même temps que des individus capables d’intégrer le monde du travail ;
- l’optimisation fiscale, autre nom de la fraude fiscale, semble évidente. McKinsey a son siège social situé dans le « paradis fiscal » de l’État du Delaware aux USA, et, profitant de ce statut, n’a pas payé en France d’impôts sur les sociétés. Pourtant McKinsey est assujetti à l’impôt sur les sociétés en France. Son chiffre d’affaires sur le territoire national s’élève à 329 millions d’euros en 2020, dont environ 5 % dans le secteur public. 600 salariés sont employés en France par ce cabinet. La commission d’enquête du Sénat, devant les mensonges de son directeur à ce sujet, a conduit le Sénat à saisir la justice pour « faux témoignage ».
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Le recours à des cabinets privés, au nom d’une supposée efficacité, se révèle à l’inverse contre-productif
Le « dégraissage » des effectifs de fonctionnaires, non seulement correspond à des pertes de compétences, mais de plus se révèle négatif pour l’État en termes de recettes fiscales qui pourraient servir à soutenir les services publics dont nous avons tous et toutes besoin. Voici quelques exemples :
- Les contrôleurs fiscaux : entre 2015 et 2019, l’équivalent de 1 073 postes à temps plein ont été supprimés. Cela correspond à la volonté politique de limiter les contrôles fiscaux dans le monde de l’entreprise, diminuant d’autant les pénalités réclamées soit plus de 5 milliards, officiellement, sur la même période.
- Les inspecteurs des Agences régionales de santé : entre 2013 et 2019, a été constaté une baisse de 24 % des effectifs. C’est ainsi que les ARS privilégient une mission d’accompagnement et de répartition des ressources délaissant les missions de contrôle et de coercition par manque de moyens humains. Le scandale des maisons de retraite Orpea en témoigne(5)Voir l’article de Respublica à ce sujet.. Ainsi, en Île-de-France, n’ont été contrôlés qu’une vingtaine d’établissements pour personnes âgées sur 700 existants.
- Les douaniers : une baisse de 16 % a été constatée depuis 2013. L’argument invoqué est l’entrée en vigueur des accords de Maastricht. Les 440 millions d’€ de redressements fiscaux effectués pourraient aller bien au-delà avec le nombre voulu de douaniers.
- Les informaticiens : l’État ne se donne pas les moyens de développer des logiciels dont il a besoin(6)Rapport de la Cour des comptes de 2020.. Cela a pour conséquence une trop forte dépendance à des prestataires privés qui se révèlent plus onéreux que l’embauche de nouveaux fonctionnaires. Ainsi, pour ne citer que cet exemple de gabegie et d’inefficacité du recours au privé, l’Éducation nationale a investi 345 millions d’€, pour un coût initial prévu de 60 millions d’€, dans un logiciel de gestion du personnel abandonné en 2018 pour inadaptation à la réalité.
- La gestion de la pandémie a quasiment été déléguée à Deloitte(7)Deloitte est une firme multinationale britannique, premier cabinet des quatre plus importants réseaux de cabinets d’audit et de conseil mondiaux (Big Four) avec un chiffre d’affaires mondial de 47,6 milliards de dollars en 2020. C’est le plus grand cabinet d’audit au monde en effectifs avec 330 000 employés. qui s’est chargé de tout, des plates-formes de dépôt des dossiers au versement des aides.
- La préparation de la réforme-régression des retraites semble avoir été pilotée par McKinsey qui aurait perçu un million d’€ pour travailler sur ce sujet(8)Le groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) au Sénat compte bien s’investir pour que les commissions d’enquête aillent jusqu’au bout et pour participer pleinement à l’élaboration d’une loi transpartisane et donner force de loi aux recommandations édictées dans le rapport sénatorial.
- D’autres réformes ont été conseillées par divers cabinets privées et facturées 3,88 millions d’€ par McKinsey pour les APL, 2,16 millions d’€ par Roland Berger pour la réforme de la formation professionnelle, 592 380 € par EY pour instaurer un bonus-malus sur les cotisations patronales…
Ce scandale n’est pas le fruit du hasard
Il est la suite logique de la volonté de transformer, voire de détruire la fonction publique, d’en réduire la voilure en cassant les métiers et statut des fonctionnaires (voir le dossier Services publics ou Barbarie de Respublica). La régression programmée par le gouvernement d’extrême-centre macronien avec le projet « Cap 2022 » l’indique clairement :
- Il est proposé au chapitre « Changer de modèle » de définir un « nouveau contrat social entre l’administration et ses collaborateurs », avec un élargissement du recours au contrat de droit privé comme « voie normale d’accès à certaines fonctions du service public » sous prétexte d’appliquer les mêmes règles que dans le privé passant à la trappe les missions d’intérêt général des services publics.
- Il est proposé dans ce même document une externalisation des missions du service public aux entreprises et aux start-up chères au président et candidat Macron, au prétexte de « favoriser l’innovation » et d’augmenter « l’offre ».
- Les « experts économiques »(9)Laurent Bigorgne et Jean Pisani-Ferry, des proches d’Emmanuel Macron, respectivement directeur du lobby libéral Institut Montaigne et ex-commissaire général à France Stratégie., à la manœuvre dans la rédaction de ce rapport, veulent « associer plus étroitement » le privé à la gestion des politiques publiques. Pour ces libéraux, le service public est un marché où doit régner la libre concurrence : les acteurs privés « peuvent également être encouragés à proposer des offres complémentaires à celles du secteur public ». C’est la confirmation d’un retournement de situation par rapport à l’esprit des réformateurs et reconstructeurs au lendemain de la Seconde guerre mondiale qui voulaient que les services publics et la fonction publique s’émancipent des logiques de marché pour mieux servir l’intérêt général.
- Le rapport préconise une sorte d’ubérisation des services publics en demandant aux usagers de donner leur avis pour améliorer les « performances » et « évaluer » des services publics. La proposition vise à capitaliser sur le mécontentement des citoyens envers les services publics pour justifier une baisse des crédits. Preuve en est, le rapport préconise de conditionner « une partie » des moyens alloués aux hôpitaux en fonction des avis des usagers.
Tout cela montre que le scandale McKinsey résulte d’un état d’esprit macronien partagé par la droite et l’extrême droite de décrédibiliser l’État et ses agents. Il n’y a que les naïfs pour s’étonner que la « firme » ait pu s’engouffrer dans les rouages de l’État. La stratégie est claire : il s’agit de réduire les moyens des services publics pour alimenter le mécontentement des usagers qui, d’un attachement au principe de la gestion publique passent à l’acceptation d’un transfert au privé. Il y a un véritable conflit d’intérêt car ces mêmes cabinets de conseil qui invitent à réduire le nombre de fonctionnaires vont, sans vergogne et avec l’appui actif du gouvernement, se proposer pour réaliser les tâches publiques et empocher de substantielles royalties au passage. Il est bon de rappeler que cette tendance a débuté sous le quinquennat de M. Sarkozy qui avait édicté en principe intangible de ne pas remplacer la moitié des fonctionnaires faisant valoir leurs droits à la retraite !
Que des pays équivalents au nôtre en Europe dont l’Allemagne recourent plus que la France à des cabinets de conseil privés ne justifie pas la situation scandaleuse et antidémocratique révélée par la commission d’enquête du Sénat – qui remplit son rôle de contrepouvoir conforme à l’Esprit des lois de Montesquieu.
Le dindon de la farce est l’intérêt général
La pandémie due au virus Sars-cov-2 révèle aussi une collusion qui est en contradiction avec la recherche de l’intérêt général et au bénéfice d’intérêts strictement privés qui se nourrissent sur « le dos de la bête », à savoir l’État et nous toutes et tous contribuables. Le bien commun ou l’intérêt général, expression moins théologique utilisée par Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat social, représente l’hôpital, l’école publique qui accueille tous les enfants sans distinction d’option spirituelle des familles, les services des secours comme les pompiers et le SAMU, les services de police tels que la Police nationale, la Gendarmerie nationale, les Polices municipales en charge de la tranquillité publique, les services juridiques qui veille à l’égalité dans l’application des lois, la gestion publique de l’eau, de l’énergie, des déchets, des transports collectifs, la préservation de l’air…
Ce bien commun relève en priorité de la délibération collective, délibération qui, dans les choix, peut être éclairée par des experts. Ces experts ne doivent en aucun cas, dans une démocratie digne de ce nom, se substituer au peuple ou à ses représentants élus. Or, le recours à des cabinets privés de conseil se révèle être un véritable hold-up de la démocratie, un déni des principes républicains. C’est là l’élément essentiel de ce scandale amplifié depuis l’arrivée de M. Macron à l’Élysée..
Séparer les puissances d’argent de l’État
Des mesures pour combattre l’influence des lobbys dans les décisions des élus au parlement et au gouvernement, pour durcir les règles contre les conflits d’intérêts et pour interdire le pantouflage s’avèrent plus que jamais d’une urgence absolue. McKinsey est plus qu’un lobby qui défend des intérêts strictement privés. Ce cabinet est, au travers de la pratique de pantouflage qui permet à des hauts fonctionnaires de réaliser des allers et retours entre privé et public, intégré dans les rouages de l’État contre l’intérêt général. C’est un système avéré de conflit d’intérêts. En effet, ces cabinets privés élaborent des scénarios imprégnés de l’idéologie néolibérale, dans la lignée des préconisations du Comité Cap 2022 citées plus haut, pour réduire le nombre de fonctionnaires et ensuite venir, la bouche en cœur et prêts à satisfaire leurs actionnaires, s’approprier toujours plus de missions… qui se concluent par des surcoûts par rapport aux mêmes missions si elles étaient confiées à l’administration. La ligne directrice est bien d’intégrer de plus en plus les services publics dans la sphère de la logique de marché, qui n’a pas pour objectif de remplir ses missions dans l’intérêt général mais pour réaliser des profits. Tout cela n’est pas pour favoriser le consentement à l’impôt, pourtant indispensable pour donner les moyens à la puissance publique de soutenir les services publics.
Notes de bas de page
↑1 | La Firme (The Firm) est un film américain de Sydney Pollack , adapté du roman du même nom de John Grisham. Le film raconte l’histoire de Mitch McDeere, un jeune avocat prometteur qui emménage dans le Tennessee après avoir été recruté par un petit cabinet juridique de Memphis. Peu à peu, Mitch découvre l’envers du décor et la véritable nature des clients de sa firme, liée à la mafia. |
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↑2 | Le rapport porte sur « l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques ». |
↑3 | Deux poids deux mesures : le PNF et le ministère des finances n’avaient pas tergiversé pour lancer une enquête sur le candidat Fillon en 2017. |
↑4 | Source Le Monde : « Après les controverses politiques, la polémique sur les cabinets de conseil prend une tournure judiciaire. Le Parquet national financier (PNF) a annoncé mercredi 6 avril l’ouverture d’une enquête préliminaire pour blanchiment aggravé de fraude fiscale, déclenchée par le récent rapport du Sénat sur les cabinets de conseil, publié le 17 mars. Si le PNF n’a pas détaillé les contours de son enquête, ni les suspects visés, le motif invoqué laisse supposer que les investigations portent sur les pratiques fiscales de McKinsey. Le Sénat avait en effet révélé dans son rapport que le cabinet américain n’avait pas payé d’impôt sur les sociétés entre 2011 et 2020, alors qu’elle réalise en France un chiffre d’affaires de plusieurs centaines de millions d’euros (329 millions en 2020). Un miracle rendu possible par un mécanisme d’optimisation fiscale dit de « prix de transfert », classiques pour les multinationales, et dont le caractère légal ou frauduleux est toujours difficile à établir. » |
↑5 | Voir l’article de Respublica à ce sujet. |
↑6 | Rapport de la Cour des comptes de 2020. |
↑7 | Deloitte est une firme multinationale britannique, premier cabinet des quatre plus importants réseaux de cabinets d’audit et de conseil mondiaux (Big Four) avec un chiffre d’affaires mondial de 47,6 milliards de dollars en 2020. C’est le plus grand cabinet d’audit au monde en effectifs avec 330 000 employés. |
↑8 | Le groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) au Sénat compte bien s’investir pour que les commissions d’enquête aillent jusqu’au bout et pour participer pleinement à l’élaboration d’une loi transpartisane et donner force de loi aux recommandations édictées dans le rapport sénatorial. |
↑9 | Laurent Bigorgne et Jean Pisani-Ferry, des proches d’Emmanuel Macron, respectivement directeur du lobby libéral Institut Montaigne et ex-commissaire général à France Stratégie. |