(éd. Syllepse, Paris, 2009)
Nicolas Béniès traite dans son ouvrage, Petit manuel de la crise financière et les autres… , des causes proches et lointaines de la crise financière qui sévit actuellement dans les grands pays capitalistes et de ses conséquences sur l’économie réelle. Selon notre auteur, cette crise est également celle de l’idéologie libérale dans sa croyance aveugle dans le fonctionnement autorégulé des marchés.
C’est ainsi qu’il dégage trois caractéristiques principales de cette crise. Les deux premières sont d’ordre structurel. Il s’agit d’une crise de surproduction, causée par l’insolvabilité du marché final, qui est celui des consommateurs ; et d’une crise de suraccumulation (surinvestissement) du capital, c’est-à-dire de la baisse des taux de profit (et non du volume des profits), bloquant ainsi l’investissement pour la production des biens et services au bénéfice de l’investissement spéculatif financier aux rendements époustouflants (15 % au lieu 3 à 5 % pour le premier).
Cette crise est, selon lui, celle du mode de régulation « fordiste » des économies de ces pays mis en place entre 1945 et 1975 ; et de celui du capitalisme mondialisé et financiarisé qui lui a succédé. Ce dernier vise deux objectifs contradictoires : conserver une consommation de masse tout en abaissant les coûts de production, avant tout celui du coût du travail, et en accroissant la productivité de ce dernier facteur.
Il est alors parvenu à surmonter temporairement cette contradiction, par le biais de l’endettement des ménages. Toutefois, cet endettement ne pouvait, selon notre économiste, empêcher l’éclatement tôt ou tard de cette crise, tant que le système capitaliste n’aura pas réglé le problème fondamental relatif à l’insuffisance de débouchés pour les marchandises.
La troisième cause de cette crise est d’ordre plus conjoncturel. Il s’agit des politiques néolibérales appliquées en Occident à partir des années 1980. Ces politiques se sont appuyées sur trois piliers : la déréglementation, dont les conséquences les plus visibles et les plus nuisibles sont la liberté totale pour la circulation des capitaux, ainsi que la désintermédiation (les banques ne sont plus les intermédiaires obligées des grandes entreprises qui veulent placer leurs capitaux ou en emprunter. Elles le restent toutefois pour les ménages, ainsi que pour les petites et moyennes entreprises ) ; la privatisation, à savoir, la conquête de nouveaux lieux pour la valorisation du capital ; et la prétendue lutte contre le déséquilibre budgétaire, dont l’objectif véritable est la réduction des prélèvements obligatoires sur les profits.
En France, cette politique fut appliquée dès le milieu des années 1970, sous le nom de « désinflation compétitive. » Elle a connu un second souffle à partir de 1982, avec le gouvernement socialiste de François Mitterrand. Cette dernière consiste à limiter la création de signes monétaires et à recourir à l’endettement.
Cette limitation vise à empêcher l’inflation, afin de préserver la valeur monétaire des créances que les marchés financiers détiennent sur les ménages et les entreprises. Elle oblige également ces derniers à s’endetter, auprès de ces mêmes marchés, pour pouvoir satisfaire leurs besoins de consommation ou d’investissement.
Par compétitivité, il s’agit pour les capitalistes de faire baisser les prix de vente des marchandises, en vue de conquérir de nouvelles parts de marché, tout en augmentant les profits.
Ce double objectif sera obtenu par l’accroissement de la productivité, en sacrifiant la force de travail comme variable d’ajustement. Or, 90 % de la population active est salariée. Cette diminution du pouvoir d’achat provoque à terme une surproduction, en même temps qu’une baisse des taux de profit, à cause de la réduction des effectifs en main-d’œuvre, qui est, rappelons-le, la source de la plus-value.
A la même période, les néolibéraux avaient interdit aux banques centrales d’ouvrir des lignes de crédits à l’État et aux banques privées. C’est pourtant grâce à ce dispositif que les dettes étaient quasi inexistantes. Mais dans cette nouvelle situation, les banques centrales ne pouvaient pas non plus servir de prêteurs en dernier ressort pour les banques, si ces dernières se trouvent confrontées à un défaut de paiement ; et ne peuvent que tomber en faillite.
Ces dispositions avaient été précédées par le flottement du dollar, suite à la décision du président Nixon de mettre fin, en août 1971, à la convertibilité en or de cette monnaie ; et par le flottement des autres monnaies, conformément aux Accords de la Jamaïque de janvier 1976.
Cette incertitude monétaire, par rapport aux taux de change et aux taux d’intérêt, puis par rapport à la fluctuation des prix d’autres produits (pétrole, etc.), a suscité chez les investisseurs un besoin légitime de s’en protéger.
Les banques ont été amenées, par la force des choses, à entreprendre des « innovations financières ». C’est ainsi qu’elles ont transformé les crédits en titres financiers (la fameuse titrisation), sous deux types de produits dérivés. Quant aux autres produits dérivés (subprimes, etc.) ils ne sont que des variantes de l’un ou de l’autre type.
Le premier type consiste en la souscription d’une police d’assurance par une banque sur un produit dérivé de crédit, auprès d’un fonds spéculatif, lequel peut à son tour le revendre à d’autres fonds, et ainsi de suite. En cas de défaut de paiement, c’est au dernier fonds détenteur de ce produit que revient de régler le remboursement.
Le second type comprend des produits dérivés de crédits structurés. Il vise à diluer le risque par la constitution de pool de trois tranches de produits où sont mélangés des crédits risqués, d’autres moins risqués et certains sûrs, avant de les vendre aux investisseurs. Ce mélange s’effectue sur la base des notes (AAA, BB, etc.) que leur attribuent des agences spécialisées. Seulement, ces notes étaient tronquées, car elles étaient octroyées par des agences corrompues par les rémunérations que les établissements leur versaient en échange ; et auxquels elles vendaient aussi leurs conseils en la matière.
Ces déréglementations et ces « innovations » ont conduit à l’hypertrophie de la sphère financière. Pour un dollar de création de richesses, 50 dollars en titres financiers ont été crées par la planche à billets, comme avance ; non pas sur les richesses à créer, mais sur les profits à venir. C’est en partie ce qu’on désigne sous l’expression de financiarisation de l’économie. Cette financiarisation, c’est aussi, et surtout, le fait que les marchés financiers imposent aux entreprises leur logique de recherche frénétique de taux de profit exorbitants et à court terme.
C’est ce qui explique le paradoxe d’entreprises qui font des bénéfices et qui, en même temps, licencient une partie de leur personnel ou ferment leurs portes.