Partir du réel…
La crise du profit (baisse des taux de profit dans l’économie réelle) et donc la crise du capital, déjà visible à la fin des années 1960 s’est manifestée de façon centrale dans le monde par l’arrivée progressive de la phase néolibérale du capitalisme à partir de la fin des années 70 (en 1983 en France), ce qui a eu comme conséquence une remontée des taux de profit grâce à la spéculation financière internationale, à la globalisation du monde et au démarrage d’un processus de baisse des salaires réels, des retraites – et d’une façon générale de baisse voire d’éradication des conquis sociaux gagnés précédemment par les travailleurs. Ce constat est renforcé par les politiques ordolibérales sous influence conjointe des États-Unis et de l’Allemagne dans la construction européenne(1)Voir l’intervention de Pierre Mendès France à l’Assemblée nationale contre le Marché commun, et différentes critiques sur l’Acte unique de 1986, Maastricht de 1992 et toute la suite y compris le déni de souveraineté de la France du traité de Lisbonne en 2008, le TSCG, etc.. La crise économique est profonde : le déficit extérieur en matière industrielle est de plus en plus négatif, contrairement à l’Allemagne et l’Italie. Nous sommes passés en 60 ans de la deuxième économie du monde à la 7e aujourd’hui.
La crise écologique sous-tendant le dérèglement climatique a été accélérée dans la même période. Et nous savons ce qui nous attend pour les prochaines années. Nos dirigeants et beaucoup d’intellectuels refusant, bien sûr, l’idée d’une crise du capitalisme, préfèrent théoriser un « anthropocène » contestable. Ce qui leur permet de fermer les yeux sur ce qui se passe dans les zones de production des terres et métaux rares par exemple notamment pour faire croire qu’il suffira de généraliser les batteries électriques pour lutter contre l’utilisation du pétrole.
La crise géopolitique beaucoup plus récente produite par les délocalisations industrielles induites par le capitalisme néolibéral – notamment en Chine, en Inde et dans les BRICS, par la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’URSS – nous entraîne dans une intensification de la lutte entre États impérialistes. Nous avançons donc dans le processus du stade suprême du capitalisme, à savoir de passer d’un impérialisme à une concurrence de plus en plus intense entre impérialismes plus ou moins développés. Dans le but de se partager le monde en termes de profit, d’influence et de pouvoir.
Tout cela induit une crise sociale de plus en plus dure pour la classe populaire ouvrière et employée et pour les couches moyennes intermédiaires. La lutte des classes orchestrée par les bourgeoisies impérialistes entraîne à son tour un recul rapide des conquis démocratiques, sociaux et institutionnels : qui renforce à son tour les régimes illibéraux jusqu’à la France elle-même, de moins en moins la patrie des droits de l’homme et du citoyen… En dernier lieu et ce n’est pas le moindre, la laïcité est de plus en plus bafouée, d’abord par le relativisme culturel des Foucault, Derrida et consorts puis par l’idéologie réactionnaire et identitaire « woke » d’inspiration étasunienne.
Ainsi, partout, les principes et conditions d’une République sociale sont plus ou moins piétinés, comme la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la démocratie, la solidarité, l’universalité concrète, la sûreté et la sécurité, la souveraineté populaire, le développement écologique et social. Nul ne peut le nier sauf à déclarer qu’il y a pire que chez nous !
… pour aller vers l’idéal
Il est donc normal que ces différentes crises sectorielles percutent les vieilles stratégies et tactiques politiques. Nous sommes donc en crise politique. Simplement, toute crise politique est aussi culturelle et donc difficile à changer. Déjà, tous ceux qui ont conservé les stratégies et les tactiques d’hier sont rapidement devenus Gros-Jean comme devant. Beaucoup d’autres se meuvent dans des voies sans issues, suivant par-là toutes les fausses bonnes idées à la mode. Il est donc pas si simple de se forger un chemin tant la dévastation de la raison est profonde. C’est pourquoi le journal ReSPUBLICA propose une campagne d’initiatives, d’évènements, de réunions publiques plus ou moins importantes sur les sept points stratégiques ci-dessous :
- Être dans les luttes sociales et non sur son Aventin en travaillant dans le grand nombre et pour le grand nombre contre la minorité capitaliste qui vise à produire l’illibéralisme puis l’union de toutes les droites afin de supprimer ce qui reste des conquis sociaux et de gouverner avec une militarisation des polices et la criminalisation des mouvements sociaux. Voilà pourquoi nous devons continuer jusqu’au bout dans les mouvements initiés par l’Intersyndicale unie. Même si nous savons que cela ne suffira pas..
- Pas d’avenir émancipateur sans théorie économique, politique et culturelle. Il convient donc de produire cette théorie en la liant à une campagne pour une nouvelle hégémonie culturelle, via une éducation populaire refondée adossée sur les luttes sociales et d’indispensables formations car rien n’est inné en ce bas monde !
- Considérer que toute lutte sociale doit s’adosser à la lutte pour le pouvoir. Croire que l’un peut aller sans l’autre est une hérésie aujourd’hui. Nous devons assumer le fait que nous sommes dans une lutte de classes déclenchée par le grand patronat et les « élites bourgeoises » qui peuplent les postes de l’État et de ses appareils idéologiques et répressifs. Les luttes sociales et la lutte pour le pouvoir doivent se concevoir comme s’épaulant, la lutte pour le pouvoir n’étant pas le « débouché » des luttes sociales, ce qui subordonnerait les luttes sociales au politique.
- Prendre toute initiativepour lutter contre la scissiparité maladive des organisations dans la séquence actuelle. Rassembler, converger, s’unir devient une sentence primordiale et un impératif catégorique au sens d’Emanuel Kant. « Small » n’est plus « beautiful ». On ne peut justifier politiquement être dans une organisation différente que si c’est pour une raison stratégique. Mais pas pour une raison tactique, d’opportunité ou non avouable.
- Admettre que dans la séquence actuelle aucune organisation politique, syndicale ou associative n’a entièrement la bonne théorie et la bonne stratégie. Sinon, cela se saurait ! Tout au plus, on peut considérer qu’ici et là, la théorie et la stratégie sont en construction. D’où la nécessité de respecter les autres autant que l’on souhaite être respecté soi-même.
- Comprendre que la transformation sociale et politique ne peut advenir que dans le cas d’un bloc historique populaire constitué autour de la grande majorité de la classe populaire ouvrière et employée et des jeunes de moins de 35 ans. D’abord par ce que l’ensemble de la classe ouvrière /employée et des jeunes de moins de 35 ans) représente la majorité du peuple et deuxièmement parce qu’au premier tour des législatives de 2022, 70 % de ce même ensemble ont préféré l’un des quatre moyens de refuser d’exprimer un vote sur un candidat précis (abstention, vote blanc, vote nul ou non-inscription sur les listes électorales). Pour ce bloc historique populaire, le rassemblement avec la majorité des couches moyennes intermédiaires autour d’un intérêt commun est essentielle. La même démarche est à utiliser avec la minorité des cadres supérieurs, professions intellectuelles et agricoles qui souhaiteront s’associer à ce bloc historique populaire.
- Pratiquer la double besogne tant dans le champ du syndicalisme que dans celui des partis politiques, sans mélanger les champs d’intervention prioritaire des uns et des autres, le champ social pour les syndicats, les élections politiques et la constitution du bloc historique populaire pour les partis politiques. Articuler les revendications immédiates avec le projet politique de rupture démocratique, laïque, social et écologique est donc un impératif catégorique. Et bien sûr ne pas confondre un programme de mesures avec un projet politique qui doit préciser le niveau atteint pour chaque principe ou condition d’une République sociale (liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, démocratie, sûreté et sécurité, universalisme concret, souveraineté populaire et développement écologique et social) ainsi que le niveau d’exigence indispensable en matière de dégagement du marché de la sphère de constitution des libertés (école, services publics, sécurité sociale), de la nécessaire refondation européenne, de la non moins nécessaire réindustrialisation massive sous transition énergétique et écologique, du nouveau départ d’une recherche fondamentale et industrielle d’ampleur, d’une vraie égalité femmes-hommes, d’une refondation des lois d’immigration et de la nationalité, du processus de socialisation des entreprises pour que la démocratie ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise, d’une transition écologique vigoureuse, le tout géré par la stratégie de l’évolution révolutionnaire.
Notes de bas de page
↑1 | Voir l’intervention de Pierre Mendès France à l’Assemblée nationale contre le Marché commun, et différentes critiques sur l’Acte unique de 1986, Maastricht de 1992 et toute la suite y compris le déni de souveraineté de la France du traité de Lisbonne en 2008, le TSCG, etc. |
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