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De la transmission

Le communautarisme religieux et la pauvreté culturelle entravent le travail des enseignants. Le conférencier est remonté dans le temps. En 2013, l’objectif était de faire barrage à la pensée conspirationniste. En 2024, il s’agit de répondre à la question fondamentale : « Comment enseigner ? »

Il s’interroge sur le contenu des programmes scolaires et le bon dosage entre les différentes disciplines. Il est effaré par les propos d’un des meurtriers : « Vous m’avez enseigné la démocratie et vous m’avez traîné en enfer ».

Nature et échelle des contestations

À l’origine, nous nous représentions une école assiégée de l’extérieur. Aujourd’hui, l’école est fragilisée à la fois de l’extérieur et de l’intérieur par certains élèves et, parfois, par certains enseignants, certes minoritaires. Il décrit cela comme une guerre hybride que doit gérer l’école. C’est d’une importance fondamentale, car cette contestation de certains contenus concerne simultanément une mise en cause nationale et une mise en cause de notre souveraineté nationale.

La stratégie des intégristes qui rejettent les idéaux de notre République laïque et sociale est d’une efficacité redoutable. Elle consiste à appuyer là où cela fait mal, sur les lignes de fractures.

Pour une approche multiscalaire des contestations

L’approche multiscalaire vise à travailler sur plusieurs échelles, l’échelle étant la dimension choisie pour observer un phénomène.

Il y a une contestation religieuse et mémorielle pour ne pas reconnaître la Shoah, le génocide arménien, interpréter de manière univoque la Guerre d’Algérie. S’ajoutent les interprétations religieuses contre la laïcité, LGBT+ phobie, racisme, antisémitisme. Les aspects géopolitiques tels le conflit israélo-palestinien, le conflit russo-ukrainien, les migrations, les aspects environnementaux avec les évolutions, le réchauffement climatique et les aspects éducatifs avec la sexualité interfèrent dans le travail des enseignants.

Toutes ces échelles ont, selon le conférencier, un dénominateur commun : la négation de la capacité des individus à s’émanciper.

Ceux qui ne savent pas, ceux qui ne savent plus, ceux qui n’ont jamais su

C’est flagrant dans la représentation de la laïcité qu’ont nos concitoyens. Le conférencier s’appuie sur un sondage.

	2005	2020
Liberté de conscience	28 %	23 %
Réduire l’influence des religions	9 %	26 %
Séparer religion et politique	28 %	27 %
Traitement égal des religions	32 %	19 %

Il en ressort que la liberté de conscience va de moins en moins de soi. La représentation d’une laïcité comme liberticide domine le vecteur émancipation.

Confusion entre moyen et fin

L’interdiction de port de signes religieux ostentatoires a été interprétée comme une fin alors que c‘était un moyen pour favoriser la sortie de l’état de dépendance des jeunes accueillis à l’école. L’école devient le seul endroit où les contraintes religieuses vestimentaires ne sont plus de mise, devient un lieu de respiration laïque.

Considérer la laïcité comme liberticide semble correspondre au sentiment de plus en plus d’individus.

Quelques exemples de dérives

Une bibliothèque scolaire qui propose un ouvrage donnant comme modèle à suivre le port du hijab. Des personnels n’hésitent pas à contester le bien-fondé de la laïcité. Un complotisme antisémite quant au conflit russo-ukrainien : les juifs tiendraient l’information et donc les Français seraient mal informés, la volonté de créer en Ukraine un nouvel Israël, car Zelenski ferait partie de la mafia Khazar qui contrôlerait Israël et les USA. Les juifs d’Israël ne seraient pas des descendants des Hébreux et donc n’auraient aucune légitimité en Palestine. Poutine apparaîtrait pour certains comme le défenseur des musulmans… (Note du rédacteur de l’article : Certes ce conflit n’est pas simple à analyser et pour éviter les positions binaires, il est nécessaire de passer par la généalogie qui conduit aux événements…)

Des politiques qui sèment la confusion

L’extrême droite, à la conversion tardive en faveur de la laïcité, considérant que c’est un marché à prendre, fait des propositions abusives comme l’interdiction du voile dans l’espace public.

Une partie de la gauche aux positions qui oscillent sur le principe de laïcité.

Macron qui avec la célébration de Hanouka, fête juive, à l’Élysée, entretient une polémique qui peut faire penser que la laïcité est employée contre la religion musulmane.

Conspirationnisme : poison et remède ?

Malgré ce qui semble un oxymore, le conférencier invite à jouer sur l’ego des jeunes en mettant en évidence le biais de confirmation qui le manipule. L’ego du jeune qui en prend conscience reçoit un sacré coup. L’une des missions de l’école est de travailler les biais, d’apprendre à les déconstruire et de donner envie d’en sortir. Ajoutons que le biais de confirmation n’est pas le seul. Il y a également le biais de persévérance, de généralisation abusive…⁽¹⁾Jacques Généreux dans son ouvrage La déconnomie explique que les experts économiques, les politiques sont également victimes de ces biais. Lire la recension de Philippe Duffau sur ce livre.

L’enseignant a comme forte difficulté de travailler avec une génération qui a du mal à lire et à comprendre un texte simple, à distinguer les causes et les conséquences. Les propos de l’enseignant peuvent donc être mal compris, mal interprétés. Cela l’expose parfois à des dangers pour sa personne.

Exemples de pratiques pédagogiques idoines

Les Houtis et la mer rouge : cela est l’occasion de traiter de la maritimisation des échanges mondiaux, de la nécessité de protéger les routes commerciales, de la propagande pro-Houtis qui agiraient pour aider les Palestiniens. Pour contrer ce poison conspirationniste, inviter des officiers de la marine française qui montrent que les intentions de l’Iran, de l’Arabie saoudite, des Houtis ne sont pas aussi pures devient un remède. Le fait que des officiers de la marine française interviennent dans des collèges de quartiers peut faire comprendre aux élèves qu’ils sont Français, contrairement à ce qu’affirme la propagande intégriste.

Colmater les failles de notre société

C’est une tâche essentielle pour affronter les ennemis des valeurs de la République qui appuient sur ces failles bien réelles. Il s’agit de montrer qu’il y a une légitimité de tous et toutes de vivre sur le territoire de la République. Les professeurs peuvent dire beaucoup de choses. Les intervenants extérieurs apportent un poids supplémentaire. Leurs propos sont accueillis différemment, en donnant le sentiment que les élèves, quelle que soit leur origine, sont des Français à part entière. Ils prêchent par l’exemple. C’est le cas des professeurs, mais comme ils représentent l’institution, leur parole arrive dans la tête des jeunes filtrés par des biais cognitifs qui affaiblissent leurs enseignements et leurs propos en faveur des valeurs de la République.

Théorème de la médiance de Augustin Berque

La réalité est filtrée à travers nos sens. La réalité objective apparaît au travers de la science moderne. Si vous prenez un objet observé par deux personnes de cultures différentes, il ne sera pas perçu de la même manière. Pourtant cet objet est une base commune qui permet les échanges.

Exemple de sujet commun, la cigogne : le point de vue de nulle part

À Mulhouse coexistent 136 nationalités ou origines différentes. Le choix comme sujet commun de la cigogne parle à tous en étudiant son trajet migratoire. Cela permet d’étudier son existence dans diverses cultures, d’échanger sur des approches diverses culturellement.

Ce sujet assure une heuristique de la laïcité⁽²⁾Heuristique est un adjectif ou un nom féminin qui désigne ce qui sert à la découverte, par des méthodes successives, des hypothèses provisoires ou des procédés de recherche.. Des mécanismes mentaux peuvent se mettre en place pour accueillir le principe de laïcité à partir de la diversité. On peut avoir des croyances, du moment qu’on n’estime pas que notre réalité est exclusive de toutes les autres.

La diversité est une richesse, à la seule condition qu’elle s’intègre au point de vue de « nulle part », qu’elle n’exclut pas le socle commun et universel qu’est la science.

Le projet républicain

Le conférencier s’interroge : le projet républicain existe-t-il encore ? Il définit la laïcité comme le lien de « nulle part » qui construit le commun au travers de la raison et de la science, sans écarter la diversité.  En ce qui concerne l’école, il affirme que séparer l’enseignement artistique, littéraire de l’enseignement scientifique nous conduit dans le mur.

Pour abonder dans le sens du conférencier, nous pouvons nous appuyer sur Gaston Bachelard qui, dans son ouvrage La formation de l’esprit scientifique, y insiste : « ce n’est pas l’école qui doit être faite pour la société mais la société qui doit être faite pour l’école », afin que cette dernière puisse développer chez les jeunes gens qu’elle accueille la pensée rationnelle et la pensée scientifique. Ces pensées constituent le meilleur des pares-feux face aux théories complotistes et conspirationnistes qui polluent le travail des enseignants.