Heureuse nouvelle ! le collectif DAJA (Des Acteurs culturels Jusqu’aux chercheurs et aux Artistes – www.daja.fr) vient de lancer un programme d’éducation populaire sur le web, animé par Gérard Noiriel. Une fois par mois, celui-ci présente et commente un événement évoqué dans son Histoire populaire de la France (voir plus loin) au cours d’une émission de moins d’une heure filmée de façon vivante (avec des images, des extraits) et mise en ligne sur YouTube. Des ouvrages sont également présentés pour faire mieux connaître des travaux ignorés par les grands médias. ReSPUBLICA compte relayer cette initiative et vous invite à la suivre sur https://www.youtube.com/channel/UCMIS0oYA8rW9hYe-D5Wf3vA (on peut s’abonner).
Non seulement parce qu’elle donne l’exemple parfait de ce que la vidéo en ligne apporte à la palette des formes d’éducation populaire, non seulement parce que le sujet correspond aux commémorations d’actualité en 2021, non seulement parce qu’elle apporte des éclairages des plus intéressants sur l’ouvrage de Marx La guerre civile en France, mais encore parce qu’elle fait le lien avec de récents débats sur « race » et « classe » (en particulier l’article de F. Pierru dans ce journal et le podcast de l’échange entre S. Beaud, G. Noiriel et F. Pierru)… nous pointerons quelques points saillants de cette émission.
Après avoir rappelé les « adresses » aux camarades de l’AIT à propos du dénouement de la guerre franco-prussienne, Noiriel souligne l’argumentation pacifiste de Marx, que reprendra Jaurès en 1914 : la classe ouvrière des différents pays a tout à perdre d’un conflit mû par les intérêts de la bourgeoisie. Pour éclairer le titre de cette émission, l’historien nous commente le passage suivant de La guerre civile en France (c’est lui qui souligne) :
« Si la fortune des armes, l’arrogance du succès et les intrigues dynastiques conduisent l’Allemagne à s’emparer de force d’une portion de territoire français, il ne lui restera alors que deux partis possibles. Ou bien elle devra, à tout risque, devenir l’instrument direct de l’expansion russe, ou bien, après un court répit, elle devra se préparer à nouveau à une autre guerre « défensive », non pas une de ces guerres « localisées » d’invention récente, mais une guerre de races, une guerre contre les races latines et slaves coalisées. »
Noiriel rappelle que « races » désigne ici des peuples dotés d’une identité nationale et souligne le caractère prophétique de cette analyse de Marx pour l’histoire du XXe siècle. Il remarque ensuite que Marx s’est davantage attaché au « gouvernement de la Commune » qu’à ses réalisations, que c’est là la source de la notion de « dictature du prolétariat » que Lénine amplifiera plus tard, mais aussi du clivage survenu dans l’AIT entre anarchistes et marxistes. L’écho des formes de démocratie apparues en 1871 se retrouvent au siècle suivant, de la Russie des soviets à la Révolution culturelle chinoise.
Le retentissement de la Commune de Paris se marque aussi en France dans les commémorations particulièrement fortes de 1936 et encore de 1981. Et la critique du suffrage universel accaparé par la bourgeoisie très présente dans La guerre civile en France, évoque pour Noiriel l’idée qu’il existe un savoir du citoyen, autre que celui de ses « représentants », idée réactualisée par le mouvement des gilets jaunes.
En conclusion, Noiriel pointe certaines limites de l’analyse de Marx, comme son oubli de la paysannerie. Et surtout de garder une conception de l’Etat comme appareil centralisé et répressif, sans anticiper l’intégration des classes populaires, la « nationalisation du pouvoir ouvrier » à laquelle ont conduit les luttes ouvrières et que des sociologues comme Weber développeront ultérieurement. Enfin bien sûr, pour l’analyse d’aujourd’hui, il y a un fossé entre ces ouvriers de la petite entreprise qu’étaient les Communards et les ouvriers de la grande industrie qui vont leur succéder.
Le livre auquel se réfère la série :
Agone, 2e édition 2019, 832 pages, 28€.
Assumant le parallèle avec L’histoire populaire des Etats-Unis d’Howard Zinn, Gérard Noiriel définit ainsi son propos :
« Ce qui permet d’affirmer le caractère « populaire » de l’histoire de France, c’est le lien social, c’est-à-dire les relations qui se sont nouées au cours du temps entre des millions d’individus assujettis à un même État depuis le XVe siècle, et grâce auxquelles a pu se construire un « nous » Français. »