Nous avons, à de nombreuses reprises, développé les conditions d’une résistance populaire à la hauteur des enjeux. L’une d’entre elles réside dans la reconstruction du lien social et politique entre le mouvement social et politique et les couches populaires ouvrières et employées.
Ce point est tabou. Comme si l’une des raisons de l’échec permanent des résistances syndicales et politiques n’étaient pas la rupture déjà ancienne de ce lien. En 81, François Mitterrand est élu président de la République avec près de 80% des voix ouvrières et employées. Ce vote massif fut l’une des conditions de la victoire. Aujourd’hui, les ouvriers et les employés représentent sur le plan objectif 53% de la population française, mais plus de 60% d’entre-eux s’abstiennent aux élections politiques. La réalité est qu’une large majorité des membres de ces couches sociales ne se reconnaissent pas subjectivement comme ouvriers et employés et elles ne peuvent donc pas passer d’une classe en soi à une classe pour soi.
Et il faut justement résoudre le problème que pose cette réalité, sans quoi le mouvement réformateur néolibéral a de beaux jours devant lui. Cette réalité explique en partie que le mouvement de résistance aux ordonnances Macron a été bien plus faible que lors d’autres mobilisations, alors que ce fut pourtant là une attaque bien plus anti-sociale que les attaques précédentes.
Si on accepte que les consultations électorales ne fassent débat qu’avec les couches moyennes qui ne représentent objectivement que 39% de la population française et seulement 40% des couches populaires ouvrières et employées, autant croire au père Noël en matière d’alternative. Aujourd’hui, les députés de la FI et du PC comptent pour moins de 5% du nombre de députés de l’Assemblée nationale ! Le plus faible score de l’histoire de France !
Après l’échec de la gauche de la gauche (Front de gauche), largement altermondialisé, qui avait du mal à admettre la lutte des classes (pourtant affirmée par l’une des plus grandes fortunes du monde, Warren Buffet : « Bien sur que la lutte de classes existe, et c’est la classe des riches qui est en train de la gagner »), une partie de l’ex-Front de gauche a adopté une stratégie populiste de gauche en constituant la FI, qui, si elle a fait à la présidentielle un score bien supérieur à la gauche de gouvernement, a révélé aux législatives sa faiblesse sur une élection par circonscription, due à son manque d’implantation.
Retisser du lien social et politique avec des couches sociales qui ont été déçues et abandonnées par la gauche néolibérale mais aussi par la gauche de la gauche est bien sûr une œuvre de longue durée. C’est le travail d’une gauche de gauche qui doit tourner la page de la gauche de la gauche comme nous l’avons dit à de nombreuses reprises dans ce journal. Cela ne peut donc intéresser que des militants et responsables politiques et syndicaux plus jeunes et capables de penser une stratégie de retissage des liens sociaux et politiques avec ceux qui ont le plus intérêt à la transformation sociale et politique et qui sont le plus grand nombre.
Bien sûr, cela doit se faire d’une part, par des luttes sociales et, d’autre part, par une campagne d’éducation populaire refondée pour gagner la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle, sans laquelle il ne peut pas y avoir de processus révolutionnaire aujourd’hui nécessaire pour empêcher le mouvement réformateur néolibéral d’avancer.
Bien sûr, cela ne se fait pas par l’éducation populaire d’organisations naguère d’éducation populaire et qui confondent aujourd’hui éducation populaire et vente de produits culturels de consommation.
Refonder l’éducation populaire
Voilà pourquoi il faut refonder l’éducation populaire. De nombreuses organisations, depuis 1998, ont engagé ce processus de refondation, mais elles sont encore trop peu nombreuses et surtout elles fonctionnent sur des bases altercapitalistes, voire sont adeptes des pensées magiques (comme le revenu universel par exemple).
Pour nous l’éducation populaire refondée est une activité culturelle qui vise à la transformation sociale et politique aux fins que tous les travailleurs et tous les citoyens soient acteurs et auteurs de leur propre vie. Cela ne consiste donc pas à vendre des produits de consommation socio-culturels ! Il s’agit de l’émancipation, de la conscientisation et de l’augmentation de la puissance d’agir face au système.
De plus, il convient de comprendre qu’aujourd’hui les couches populaires ouvrières et employées ne se trouvent plus majoritairement dans les quartiers populaires des banlieues des métropoles. S’il y reste encore une forte minorité de ces couches, elles sont de plus en plus dans les zones périurbaines et rurales. Et cela change tout dans la manière de militer.
D’autant que le contact avec ces couches sociales ne peut pas s’établir sans des médiateurs vivant sur le même territoire qu’elles. Voilà pourquoi la « méthode Alinsky » ne peut pas fonctionner sans prioriser la légitimation de ces médiateurs. Les arrivées sporadiques de militants des couches moyennes supérieures ne vivant pas dans les mêmes quartiers que les couches ouvrières et employées peuvent être bien reçues mais sans convaincre.
Encore faut-il ne pas diviser le peuple de ces quartiers par des pratiques communautaristes, qui sont malheureusement celles de certains milieux de la gauche de la gauche. Car c’est avec des pratiques laïques doublées d’un anti-racisme radical que l’on unifie et fédère le peuple.
Heureusement, des groupes d’intervention pratiquent des cycles de cinés-débats sur des films engagés dans les banlieues des villes centres, dans les quartiers des zones périurbaines, et même en passant de commune en commune en zones rurales dans le cadre de festivals.
Formés par des UL syndicales, des associations, des organisations politiques et même par des comités d’action mutualistes créés par des mutuelles résistances et en nombre hélas encore trop faible, ces groupes d’intervention proposent aussi d’indispensables formations longues, des conférences publiques, des décryptages précis des politiques d’austérité (comme l’explicitation des ordonnances Macron, que trop d’organisations syndicales et politiques ont largement « oublié » de faire).
Ils font aussi des propositions alternatives, aujourd’hui nécessairement liées à une perspective anticapitaliste de type République sociale (et non 5ème République, qui a oublié d’être républicaine), sur l’histoire, sur la laïcité, sur la sécurité sociale, sur l’école, sur les services publics, sur l’économie, la transition énergétique et écologique, la démocratie, les actes de la décentralisation pour dénoncer Action publique 2022 qui veut casser les services publics, etc., mais aussi des lectures–spectacles engagées, des conférences populaires sans conférenciers, du théâtre-forum. Un mélange de formes ascendantes et descendantes réparties régulièrement dans l’année. Et toujours liées aux luttes sociales et syndicales bien sûr. Une articulation dialectique en somme.
Heureusement, des centres de ressources fournissent à ces groupes d’intervention des intervenants et des comédiens : par exemple le Réseau Éducation Populaire avec plusieurs centaines d’interventions par an, mais il y en existe bien d’autres qui pratiquent en milieu populaire l’éducation populaire refondée.
À noter que les luttes syndicales aujourd’hui demandent un renforcement des structures territoriales interprofessionnelles comme les Unions locales malheureusement trop peu développées, renforcement sans lequel la riposte aux attaques contre les services publics ou la protection sociale, ou sur les conditions de travail, de type ordonnances Macron, sera inopérante. Oui, il faut revenir au développement de ce que nos aînés appelaient des Bourses du travail avant leur fusion avec les syndicats professionnels.
Voilà un chantier que l’on vous propose. N’hésitez pas à nous écrire, à nous proposer vos idées ! Nous vous présenterons les actions d’éducation populaire refondée en milieu populaire que nous réalisons ici et là.