Source : L’Humanité
Rappel des faits. À l’heure où la société se trouve fragmentée et où toute une génération est en quête de repères, des MJC doivent fermer ou revoir leurs ambitions pour des raisons budgétaires.
« Une société qui n’éduque plus est une société qui ne répare plus… »
Par Max Leguem Directeur de MJC.
Je suis entré dans les MJC à l’âge de 15 ans. Amoureux de rock, la MJC était pour moi le lieu dans lequel je pouvais vivre ma passion. Happé par cette passion, je ne me doutais pas que j’étais en train en même temps de me former à bien d’autres choses et à dire bonjour au reste de ma vie. Occupé à organiser des concerts, sélectionner des groupes, gérer un budget, servir au bar, ranger, négocier avec un conseil d’administration… Je n’avais pas alors idée qu’on appellerait ça un jour « l’apprentissage de la citoyenneté ». Bénévole puis animateur salarié, directeur adjoint, puis directeur de MJC, j’ai à chaque étape bénéficié de l’aide d’une société qui disait que demain était une promesse et qui tenait sa promesse. Nous sommes nombreux à avoir suivi ces parcours initiatiques. Pourquoi de tels parcours ont-ils disparu ? Qu’est-ce qui a changé dans l’époque ? La MJC se veut être un lieu d’éducation populaire. Éducation, voilà un mot qui a perdu de son crédit et dont l’esthétique laisse à désirer. Éduquer signifie transmettre des normes et des valeurs. Des normes et des valeurs… Oui, mais lesquelles ? Une société qui désire avoir une mission éducative en dehors de la cellule familiale est une société consciente des valeurs qu’elle porte et veut transmettre. C’est aussi une société qui croit que les êtres humains se transforment et, par extension, que la société peut se transformer elle aussi.
Quand il est dit partout que la marchandisation du monde est notre unique horizon, nous disons que la société n’est plus transformable. Dans ce cas, à quoi bon vouloir mener une action éducative ? Le monde se divise alors en deux : les « winners » et les « losers ». Il faut être du bon côté. Tout le monde n’a pas la chance qu’on lui offre ses costumes. La mission éducative est reléguée au seul espace familial. D’ailleurs, on prévoit désormais des sanctions pour ceux qui faillissent dans cette tâche, avec la suppression des allocations, voire du logement social.
Une société qui n’éduque plus est une société qui ne répare plus et qui ne pardonne plus. J’en veux pour preuve que, dans le même temps où l’on ferme les MJC, on revient sur l’ordonnance de 1945 sur la protection des mineurs, on ouvre des prisons, des hôpitaux psychiatriques, on crée des polices municipales et des systèmes très coûteux de surveillance vidéo. Il existe encore un système d’éducation nationale, mais de plus en plus de professeurs se définissent eux-mêmes comme des « enseignants » et disent ne plus vouloir être des « éducateurs », tout occupés qu’ils sont à transmettre « les contenus des programmes » armés de leurs « référentiels de compétences ».
J’oubliais l’essentiel : l’acte éducatif est profondément un acte d’amour. Eh bien, une société qui n’éduque plus est une société… qui n’aime plus. Dans cette société, on s’aime soi, on n’aime plus les autres. Plus on s’aime soi, moins on aime la vie. Comment la vie qui nous traverse, qui vit à travers nous, se prolonge après ?
Oui, on ferme les MJC. Qui est au courant, qui en parle dans la campagne électorale ? Un élément ferait bien toutefois d’être pris en compte par tous les candidats aux élections : l’abstention. Le jour approche où ces élus pourraient bien ne plus être légitimes au regard du suffrage universel, ne parvenant même plus à atteindre 50 % de votants parmi les inscrits sur les listes. La question est alors la suivante : où sont les lieux où l’on apprend cette fameuse citoyenneté dont tout le monde nous rebat les oreilles ? Pourquoi ces mêmes élus qui ont dit qu’ils « étaient Charlie » et ont défilé pour protéger notre « modèle de société », notre liberté d’expression, suppriment les financements des MJC dès lors qu’elles osent interroger un tant soit peu les politiques publiques qu’ils mènent au plan local ? Je ne plaisante pas ; parmi ces élus il y en a même qui lisent ce journal. Comme disait Coluche : « J’ai les noms. »
Être un citoyen, n’est-ce pas pourtant apprendre à gouverner et à être gouverné ? Sans cet apprentissage des responsabilités, la démocratie renvoyée au vote tous les cinq ans n’est que la façon, la méthode, l’art de gérer l’impuissance et la détresse du peuple.
Nous fêtons en avril l’anniversaire de Nuit debout. Il y a un an, je m’étais rendu moi aussi place de la République, pour voir. J’y ai vu des personnes qui jouaient de la musique, qui dessinaient, qui chantaient, qui dansaient, qui faisaient de la cuisine, du jardinage et qui discutaient politique. Bref, j’y ai vu une MJC en plein air ! Eh les gars, y en a 85 en région parisienne ! J’y ai vu quand même une différence : dans nos MJC, on n’a plus le droit de parler politique, dans le sens de créer du débat public autour de nos vies. À part ça, on est tous Charlie.
Le monde, c’est ce qui existe là, sous une certaine forme. Le monde existe dans chaque MJC. La MJC pourrait être ce lieu dans lequel les personnes osent réduire leur écart de compréhension et de puissance d’agir entre la réalité et leur action. Que chacun puisse questionner la société en dehors des lieux d’experts, en partant de son expérience personnelle, est un véritable enjeu démocratique. Abolir la distance entre société civile et société politique, faire que la société civile soit irrémédiablement politique. Les MJC devraient être ces lieux de fabrique citoyenne. Elles ont été pensées et inventées pour ça au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
J’ai appris dans les MJC qu’éduquer à la citoyenneté consistait à encourager la croyance des personnes en leur capacité d’agir sur la société pour la changer. Quand cette croyance s’éteint, s’éteint aussi la démocratie. La fédération régionale des MJC d’Île-de-France va devoir demander sa mise en redressement judiciaire et risque d’être liquidée. Jusqu’ici tout va bien.
Retrouvez la suite de l’article sur le site de l’Humanité avec les contributions d’Agnès Martin, bénévole, secrétaire au conseil d’administration de la MJC de Limours et Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste.