Pour contrer les faux-semblants en tous genres, qui à gauche comme à droite prétendent honorer Samuel Paty à reculons, en dénaturant la laïcité et en invoquant comme François Héran a osé le faire – dans sa lettre aux professeurs d’histoire (approuvée par exemple, par Ensemble, allié de la France insoumise ou le syndicat SUD, entre autres) – un prétendu droit au respect des croyances religieuses. Rappelons que François Héran invoquait des propos assez malheureux de Jules Ferry appelant les professeurs à s’abstenir de tout propos qui pourrait heurter la sensibilité des parents et demandant donc aux professeurs de renoncer à tout propos susceptible de le faire.
Cela doit être aberrant pour des enseignants : aucun professeur de physique ne saurait renoncer à parler de cosmologie (du Big bang, de l’extension de l’univers, comme préalablement de l’orbite des planètes, etc. ) nonobstant les représentation de l’univers que proposent les religions ; aucun professeur de biologie ne peut s’abstenir de parler de la théorie de l’évolution ; aucun professeur de philosophie ne peut s’abstenir de présenter la question de l’existence de dieu comme une question absolument problématique qui n’est donc pas une connaissance; aucun professeur d’histoire ne peut renoncer à l’analyse des faits , c’est-à-dire à étudier l’extermination des juifs d’Europe, la complicité de l’Europe démocratique et par exemple celle du régime de Vichy, non plus qu’étudier ce que fut la colonisation, ce qu’a été le génocide rwandais . Or l’évocation historique et critique de ces événements, qui ont existé, choquera forcément la sensibilité de certains. Faudrait-il renoncer à faire réfléchir les élèves de nos écoles là-dessus?
C’est pourtant cela qu’illustrait la démarche de S. Paty et c’est là-dessus qu’il n’a été défendu ni par l’institution, ni par aucun syndicat, ni par ses collègues en majorité. Ce qu’avait fait Samuel Paty, c’était demander à ses élèves d’examiner des représentations en sursoyant à leur sensibilité, ce que le principe de la laïcité d’une part et l’exercice de la liberté de pensée d’autre part lui permettaient de faire et même lui demandaient de faire. Mais l’ayant fait, il est mort assassiné, victime de l’obscurantisme et du fanatisme religieux, seul et isolé. Ce fut et cela demeure insupportable.
Depuis, malgré la commémoration ambigüe à laquelle la plupart s’efforcent, aucune réflexion sérieuse n’a été produite par la classe politique sur tout son spectre et en particulier par la gauche tout entière. Je parle de la gauche parce que je ne sache pas que la droite, même si certains de ses membres ont réussi à prendre leurs distances avec la tradition qui pousse cette mouvance à toujours défendre la religion contre les principes de la laïcité, ait été aux avant-postes du combat laïque. Mais hélas, l’abandon par la gauche de ce combat est proprement catastrophique : il procède de diverses raisons dont l’idéologie récente mais prégnante qui lui a fait substituer aux dominés qu’elle avait vocation à défendre les « croyants » de diverses obédiences – la majorité relevant de l’Islam, il est vrai, vu l’abandon du religieux par les anciens fidèles des autres religions. Cet abandon est catastrophique parce que du coup la droite, mais surtout l’extrême droite qui semble avoir tout à y gagner, s’est posée comme défenseur de la laïcité, contre le religieux, c’est-à dire pour son compte contre l’Islam. Misère de la politique politicienne…
Si l’extrême droite semble aujourd’hui tenir le haut d’un bout de pavé, ce n’est pas pour des raisons « médiatiques » , c’est pour des raisons politiques […].
Je pense que pour les prochaines échéances électorales (qui sont secondaires) il est trop tard. Mais pour les perspectives fondamentales de la civilisation et de la culture il ne sera jamais trop tard pour entrer en résistance. Samuel Paty était en résistance, seul et même isolé, désolé, comme nous l’avons vu. Cette désolation n’était pas définitive et il dépend du travail de réflexion qui peut émaner de tous, de reprendre sa démarche et ainsi de l’honorer.
C’est pourquoi la seule position satisfaisante à mon sens pour honorer S. Paty aujourd’hui est celle de Catherine Kintzler dans Mezetulle , qui s’indigne de l’injonction du ministère de l’Éducation nationale (« L’heure n’a pas vocation à être un retour sur ce qui s’est passé il y a un an, ni une évocation de Samuel Paty ou de sa mémoire ») :
Ne pas aborder « ce qui s’est passé il y a un an », parce que, bien sûr, cela ne « donne pas de sens » à ce moment de commémoration ! Pas de sens les mensonges d’une élève complaisamment écoutés et crédités, sans vérification, pour accabler le professeur ? Pas de sens les propos vindicatifs des parents de cette élève, soutenus par un imam survolté qui parlait de « voyou » ? Pas de sens la désignation du professeur au tueur par des élèves ? Pas de sens l’avis d’un demi-savant officiel suggérant que le professeur ne « maîtrisait » pas le concept de laïcité ? Pas de sens les remontrances à peine voilées adressées au professeur ?
C. Kintzlzer