Le 20 mars, le tribunal Westminster Magistrates à Londres a officiellement rendu une ordonnance d’extradition. La balle est à présent dans le camp de la ministre britannique de l’Intérieur Priti Patel qui doit confirmer et approuver cette ordonnance. Connaissant le tropisme atlantiste anglais, il y a un fort risque que Julian Assange soit livré aux autorités judiciaires étatsuniennes. Ses avocats peuvent encore faire appel devant la Haute Cour. À défaut, Julian Assange sera extradé dans les 28 jours suivant la décision de la ministre.
Julian Assange est réclamé par la justice américaine qui veut le juger pour la diffusion de plus de 700 000 documents classifiés sur les activités militaires et diplomatiques américaines, en particulier en Irak et en Afghanistan. Poursuivi pour espionnage, la législation américaine l’empêchera de se défendre efficacement en le privant du recours à la notion d’intérêt public et il risque, probablement, d’être soumis à des conditions d’isolement préjudiciables à sa bonne santé.
Selon ses défenseurs, cette affaire risque de menacer des mêmes sanctions « tout média qui publierait des articles basés sur des fuites, ou contre tout journaliste, éditeur ou source partout dans le monde » (Dans le monde des entreprises, le système d’extraterritorialité propre aux USA (1)20 janvier 2018, par Mathis Felardos, Manon Fontaine Armand, Florie Helcmanocki, Gaëlle Landru, Aristide Lucet : « En droit, l’extraterritorialité est une notion qui recouvre plusieurs sens. Son application aux États-Unis en revêt toutes les formes : elle est normative (FCPA), exécutive (le Department of justice, le DOJ, applique le FCPA) et juridictionnelle lorsque les juges américains s’estiment compétents pour traiter les cas d’extraterritorialité. Par l’application des trois composantes de l’extraterritorialité, les États-Unis poursuivent un double objectif : sous couvert d’une lutte contre la corruption qui est une réalité tangible, c’est aussi un moyen pour mener une guerre économique par le droit, permettant parfois d’acquérir des sociétés étrangères. » qui l’utilise contre la concurrence et dans le cadre de la guerre économique est bien connu.
Julian Assange, journaliste, informaticien, cybermilitant et lanceur d’alerte australien, est connu en tant que fondateur, rédacteur en chef et porte-parole de WikiLeaks. En 2010, à la suite des révélations de WikiLeaks sur la manière dont les États-Unis et leurs alliés mènent la guerre en Irak et en Afghanistan, Julian Assange est au cœur d’une affaire politico-judiciaire internationale, qui le prive de liberté à partir de 2010 dans des circonstances telles qu’il n’est pas exagéré de le qualifier de prisonnier politique.
Pour une information plurielle, libre et équilibrée entre États et citoyens
Julian Assange part du constat d’une asymétrie d’information entre les pouvoirs publics et les citoyens qui donne l’ascendant aux États qui maîtrisent une grande partie des communications, limitant la capacité des citoyens de forger une opinion en connaissance de cause. En effet, la culture du secret des agences gouvernementales limite fortement l’accès aux informations indispensables pour se construire un avis libre de déterminismes. Ainsi, il estime que les innovations techniques offertes par Internet et les réseaux sociaux – qui n’ont pas que des inconvénients – offrent l’opportunité d’inverser l’asymétrie observée et de rétablir un équilibre entre les États, les médias dominants du mainstream ou de la pensée unique et les citoyens.
Son action va se développer selon deux directions :
- 1e direction : protéger les informations à caractère personnel des individus par des moyens cryptographiques au développement desquels il participe,
- 2e direction : publier et divulguer les connaissances et les informations que les États et leurs dirigeants retiennent voire manipulent, considérant que « l’organisation de fuites constitue une action intrinsèquement anti-autoritaire ».
Assange estime qu’on peut favoriser la paix par la divulgation des informations et connaissances détenues par certains dirigeants va-t’en guerre et la dénonciation de leurs manipulations pour que les populations hostiles à la guerre acceptent les stratégies bellicistes. Il élargit son champ d’action à la diffusion d’informations concernant le monde économique et des entreprises pour favoriser la compréhension. Cela peut conduire à stimuler la réflexion pour des alternatives au système oligarchique ultralibéraux.
Les péripéties d’un combattant de la liberté d’informer
La Suède, en octobre 2010, lui refuse un permis de travail et de résidence qui lui aurait permis de bénéficier de la protection des sources des journalistes, protection sans équivalent dans le monde. Ce refus intervient au moment, coïncidence étrange, où Wikileaks s’apprête à publier des documents confidentiels relatifs aux modes opératoires de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan qui peuvent être qualifiés de crimes de guerre (2)En 2010, WikiLeaks publie des documents classifiés américains, sur la guerre d’Irak en avril — avec notamment une vidéo intitulée Collateral murder (« meurtre collatéral ») filmant le raid aérien du 12 juillet 2007 à Bagdad puis une autre sur la guerre d’Afghanistan en août, révélant au monde les crimes de guerre des États-Unis et de leurs alliés, notamment le Royaume-Uni.. Ces révélations déclenchent le lancement, par les autorités américaines, d’une enquête pour « espionnage » contre WikiLeaks et Julian Assange est activement recherché.
De 2010 à 2012, Julian Assange est placé en liberté surveillée au Royaume-Uni à la suite d’une accusation de « délit sexuel » en Suède en 2010 pour lequel il clame son innocence(3)La justice suédoise clôt définitivement cette affaire faute de preuves le 19 novembre 2019, quelques mois après l’arrestation de Julian Assange par les Britanniques, et 9 ans après les faits reprochés. L’affaire en justice suédoise se révélera avoir été instrumentalisée par le Royaume-Uni, pour maintenir Assange sous mandat d’arrêt et justifier son arrestation. et dénonce un prétexte pour l’extrader vers les États-Unis.
Il obtient l’asile politique de l’Équateur le 16 août 2012 avant d’être naturalisé le 12 décembre 2017. Il se réfugie dans l’ambassade équatorienne à Londres. Cela lui permet d’éviter les persécutions américaines et l’extradition vers le camp de Guantánamo. En avril 2019, le président équatorien Lenín Moreno annonce le déchoir de la nationalité équatorienne et met fin à son droit d’asile. Le jour même, Assange est arrêté dans l’enceinte de l’ambassade par la police britannique. Les États-Unis demandent immédiatement son extradition. Le 1er mai 2019, il est condamné par la justice britannique à cinquante semaines de prison pour violation des conditions de sa liberté provisoire en 2012 et le 23 mai 2019, les États-Unis inculpent Julian Assange pour « espionnage », il encourt jusqu’à 175 ans de prison. C’est une véritable violation du premier amendement de la Constitution américaine qui garantit la liberté de la presse.
Le 4 janvier 2021, la justice britannique refuse la demande d’extradition de Julian Assange vers les États-Unis. Une demande de libération sous caution d’Assange est refusée le 6 janvier. Le gouvernement américain dépose formellement sa demande d’appel de la décision le 15 janvier. Le nouveau gouvernement américain de Joe Biden, en place depuis le 20 janvier, confirme l’appel.
Depuis, donc, la justice britannique a rendu une ordonnance d’extradition.
Des réactions différentes en intensité selon que l’on soit dans le « bon » ou « mauvais » camp
Il est symptomatique que cela ne fasse pas la une avec des condamnations indignées et des professions de foi diplomatiques contre les atteintes aux droits de l’être humain. A raison, lorsque Navalny est condamné à deux ans et demi de prison en février 2021, placé en détention dans un camp de travail et inscrit sur la liste des personnes terroristes par l’organisme fédéral russe de contrôle des transactions financières puis, en mars 2022, à nouveau condamné à 9 années d’internement, tous les médias et États occidentaux ont condamné cette atteinte à la liberté. (Dans le même ordre d’idées, qui a entendu parler de Sergueï Oudaltsov, chef du Front de gauche russe, qui avait été incarcéré ?)
Nous pourrions attendre la même réaction indignée en ce qui concerne Julian Assange. Est-ce parce que les révélations de celui-ci mettent en cause, pour crime de guerre, les USA et certains de ses alliés et que Navalny met en cause le régime autoritaire de la Russie que les réactions indignées sont différentes ? D’authentiques démocrates et défenseurs de la liberté d’informer et de s’exprimer ne devraient agir en fonction d’un camp ou de l’autre. Cela permettrait d’éviter les analyses binaires avec les « gentils » d’un côté et les « méchants » de l’autre, analyses dont on nous abreuve à longueur de journaux télévisés et écrits.
Notes de bas de page
↑1 | 20 janvier 2018, par Mathis Felardos, Manon Fontaine Armand, Florie Helcmanocki, Gaëlle Landru, Aristide Lucet : « En droit, l’extraterritorialité est une notion qui recouvre plusieurs sens. Son application aux États-Unis en revêt toutes les formes : elle est normative (FCPA), exécutive (le Department of justice, le DOJ, applique le FCPA) et juridictionnelle lorsque les juges américains s’estiment compétents pour traiter les cas d’extraterritorialité. Par l’application des trois composantes de l’extraterritorialité, les États-Unis poursuivent un double objectif : sous couvert d’une lutte contre la corruption qui est une réalité tangible, c’est aussi un moyen pour mener une guerre économique par le droit, permettant parfois d’acquérir des sociétés étrangères. » |
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↑2 | En 2010, WikiLeaks publie des documents classifiés américains, sur la guerre d’Irak en avril — avec notamment une vidéo intitulée Collateral murder (« meurtre collatéral ») filmant le raid aérien du 12 juillet 2007 à Bagdad puis une autre sur la guerre d’Afghanistan en août, révélant au monde les crimes de guerre des États-Unis et de leurs alliés, notamment le Royaume-Uni. |
↑3 | La justice suédoise clôt définitivement cette affaire faute de preuves le 19 novembre 2019, quelques mois après l’arrestation de Julian Assange par les Britanniques, et 9 ans après les faits reprochés. L’affaire en justice suédoise se révélera avoir été instrumentalisée par le Royaume-Uni, pour maintenir Assange sous mandat d’arrêt et justifier son arrestation. |