Serbie : les élections passent, le Gouvernement de droite autoritaire reste !

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Le Parlement de Serbie, ©Boris Dimitrov

Dans la perspective des élections européennes qui auront lieu dans trois mois, nous continuons notre tour d’Europe des dernières votations dans les différents pays du continent.

 

« Focus » aujourd’hui sur la Serbie qui ne fait pas souvent les « unes » des médias français. Ce pays n’est pas membre de l’Union européenne, mais candidat officiel à son intégration.

 

Sauf quelques exceptions, nous noterons encore une fois la tendance de fond à la « droitisation » politique du continent. Cela ne présage rien de bon pour l’avenir, ni pour la France ni pour l’Europe.

Le premier novembre 2023, le président de la République de Serbie Aleksandar Vučić et le président de l’Assemblée Vladimir Orlić annoncèrent la dissolution de l’assemblée, la Rik, et la tenue de nouvelles élections législatives et municipales qui se déroulèrent le 17 décembre 2023. Ces élections anticipées furent le résultat de nombreuses semaines de protestations et de manifestations à la suite de deux fusillades ayant fait dix-huit morts en deux jours. Ces tristes événements ont été un peu relayés en France, notamment du fait de la présence parmi les victimes d’une élève française.

En effet, le 3 mai 2023, un adolescent de 13 ans tua 8 élèves et le gardien qui voulait s’interposer, dans une école de Belgrade. Il était entré dans cet établissement scolaire armé de deux pistolets et de plusieurs cocktails Molotov.

Le choc fut terrible devant ce massacre, d’autant plus lorsque l’on a appris que l’adolescent avait parfaitement planifié la fusillade. Les enquêteurs retrouvèrent un croquis, qui semblait tiré d’un jeu vidéo ou d’un film d’horreur. Les policiers découvrirent également une liste d’enfants visés. Le père du meurtrier, propriétaire des armes à feu, fut arrêté.

Deux jours plus tard, le 5 mai 2023, un homme de 21 ans fut emprisonné après avoir tiré à l’arme automatique dans trois villages près de Mladenovac, à soixante kilomètres environ de la capitale. Là aussi le bilan fut lourd : 8 morts et 14 blessés.

La Serbie était en 2018 le troisième pays au monde en matière de circulation d’armes à feu (ex æquo avec le Monténégro), derrière les États-Unis et le Yémen, avec 39 armes pour 100 habitants.

Ces tueries de masse ne sont pas de simples faits divers, mais plutôt la conséquence d’un passé de guerre dans les années 90 et dont les blessures sont encore vives aujourd’hui. La société serbe est violente.

Ces tueries de masse ne sont pas de simples faits divers, mais plutôt la conséquence d’un passé de guerre dans les années 90 et dont les blessures sont encore vives aujourd’hui. La société serbe est violente. Mais loin de calmer ce climat, le personnel politique et les médias favorisent cette violence. De nombreux programmes de téléréalité font l’apologie de cette brutalité. Même les stars sont au choix soit mafieux, soit criminels de guerres, paradant parfois avec des hommes politiques membres de la coalition au pouvoir.

Enfin, soulignons que des élections municipales se sont déroulées en même temps que les élections législatives, suite à la démission de 65 maires, dont celui de la municipalité de Belgrade.

Des résultats toujours contestés

Les manifestations contre les tueries et plus largement la violence dans la société serbe ont permis de fédérer une opposition dans une coalition unitaire : « Serbie contre la violence ». Mais cette coalition de gauche n’a pas permis à l’opposition de l’emporter dans les urnes. Elle ne recueille en effet que 65 sièges sur les 250 que compte le parlement.

Le président serbe Aleksandar Vučić avec sa coalition « la Serbie ne doit pas s’arrêter » (SNSDS) a même renforcé son pouvoir puisqu’elle a progressé de 9 sièges à l’assemblée de Serbie, ce qui fut synonyme de majorité absolue.

À l’annonce des résultats, l’opposition les a contestés car ils étaient effectivement entachés d’irrégularités, d’achats de votes et de bourrages d’urnes. Elle accusa également le gouvernement d’avoir fait venir en bus des Serbes de Bosnie et de Croatie pour les faire voter.

Les observateurs internationaux ont confirmé ces irrégularités et l’ONG CRTA (une ONG soutenue par plusieurs États occidentaux) a relevé pendant la campagne électorale que le temps d’antenne à la télévision publique a atteint 81 % pour le gouvernement et 19 % pour l’opposition.

Résultats complets

  • La Serbie ne doit pas s’arrêter (SNSDS), la coalition de droite nationaliste au pouvoir, obtient 46,75 % soit 129 sur 250 sièges.
  • Serbie contre la violence (SPN), opposition de gauche : 23,66 %, soit 65 sur 250 sièges.
  • Parti socialiste – Serbie unie – Verts (SPS–JS–ZS), ancien parti de Slobodan Milošević : 6,55 %, soit 18 sur 250 sièges.
  • Alternative démocratique nationale (NADA) centre droit et royaliste : 5,02 % 13 sur 250 sièges.
  • Nous – La voix du peuple (MI) droite populiste et complotiste : 4,69 %, soit 13 sur 250 sièges.
  • Alliance des Magyars de Voïvodine (VMSZ) (l’Alliance s’est donnée pour mission de représenter et défendre la minorité magyare de Serbie : 1,70 %, soit 6 sur 250 sièges.
  • Unis pour la justice (SPP–DSHV) : 0,76 %, soit 2 sur 250 sièges.
  • Parti d’action démocratique du Sandžak (SDAS) : 0,57 % 2/250 sièges.
  • Coalition albanaise de la vallée de Preševo (KAPD) : 0,35 % 1/250 sièges.
  • Parti russe – Nouveau parti communiste (RS–NKPJ) : 0,30 % 1/250 sièges.

Analyse de la situation

La situation politique dans région des Balkans a toujours eu un impact important sur la géopolitique de l’Europe. Ainsi, il ne faudrait pas que la guerre en Ukraine nous fasse oublier les terribles dernières guerres dans l’ex-Yougoslavie dans les années 90. La guerre sur le sol européen était déjà de retour, et ses conséquences tragiques sont toujours d’actualité.

Il y a dix ans, le 18 mars 2014, dans un discours au Parlement russe, le président Vladimir Poutine affirmait : 

Les autorités de Crimée se sont référées au précédent bien connu du Kosovo, un précédent que nos collègues occidentaux ont eux-mêmes créé dans une situation très semblable, quand ils ont convenu que la séparation unilatérale du Kosovo d’avec la Serbie — exactement ce que la Crimée est en train de faire en ce moment — était légitime et n’avait pas besoin d’une quelconque autorisation des autorités centrales du pays. 

Le président des États-Unis, il s’agissait alors de Barack Obama, réfuta l’argument du Président russe, et justifia les interventions de l’OTAN, qui n’eurent lieu d’après lui « qu’après les violences et les meurtres systématiques subis par les populations du Kosovo. Le Kosovo n’a quitté la Serbie qu’au terme d’un référendum conforme au droit international, et dans le cadre d’une coopération scrupuleuse avec les Nations unies et les pays voisins du Kosovo » (Bruxelles, 26 mars 2014).

Une décennie après ces déclarations, les enjeux européens et mondiaux nous invitent à regarder encore une fois l’évolution politique en Serbie. Ce pays apparaît de plus en plus divisé. Un petit tiers de la population milite pour le changement et regarde vers l’Europe en soutenant une politique de gauche. Mais une bonne moitié du peuple serbe maintient la droite nationaliste et pro-russe au pouvoir.

Un gouvernement autoritaire au double langage

Belgrade a déposé le 23 décembre 2009 sa candidature d’adhésion à l’Union européenne et obtenu son statut de candidat en mars 2012. Les négociations d’adhésion sont donc ouvertes depuis 2013. Mais cette adhésion semble inatteignable lorsque l’on compare les exigences d’intégration de l’Union européenne et la politique menée par Belgrade.

En matière démocratique, il faudra encore beaucoup d’efforts et de luttes à la population pour mettre fin au pouvoir autocratique, qui a la main sur les médias et qui gouverne sans partage. Par ailleurs, les relations entre le Kosovo et la République de Serbie sont aussi des points d’achoppements qui compromettent l’adhésion à l’Union européenne.

Enfin, les relations historiques avec la Russie sont des plus cordiales. Belgrade a certes condamné l’agression de l’Ukraine par Moscou, mais elle ne met en œuvre aucune sanction contre la Russie comme le souhaiterait l’UE.

Dans ces conditions l’adhésion de la Serbie à l’Europe ne semble pas être proche. Cependant, le manque de débouchés du capitalisme européen et les politiques migratoires peuvent aussi changer la donne. Visiblement, l’UE s’accommode par exemple du régime illibéral de la Hongrie, et cela depuis quelques années déjà… alors pourquoi pas demain la Serbie ?