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Le changement climatique dans la fiction

La grande majorité des films et des spectacles que l’on regarde se déroulent dans une réalité parallèle, où le changement climatique n’existe pas, ce qui entretient une illusion pour les spectateurs. 

Anna Jane Joyner(1)Source : https://www.francetvinfo.fr/culture/series/cinema-series-le-climat-est-le-grand-oublie-des-fictions-selon-une-etude-americaine_5513031.html

Le dérèglement climatique est une donnée majeure de ce XXIe siècle ; il a déjà des conséquences concrètes sur nos vies – à des degrés divers selon la région du monde –, mais surtout il modifie notre perception de l’avenir, de la société. Il provoque une multiplicité de sentiments (pour peu que l’on en ait conscience, ce qui n’est pas le cas de la totalité de la population française(2)Voir cette étude de l’OCDE : https://www.oecd-ilibrary.org/economics/fighting-climate-change-international-attitudes-toward-climate-policies_3406f29a-en;jsessionid=uqkDBC9UmAgSOBiVUfA0Pwv8DbWbv9DIceBH2a_P.ip-10-240-5-108) : angoisse, sentiment d’urgence, colère, etc. Pourtant, la fiction peine encore à intégrer cette dimension et au contraire, une grande partie des fictions contemporaines semblent toujours se passer dans un monde où les ressources sont illimitées !

Bien sûr, il y a des productions plus militantes, en particulier dans la science-fiction, qui essaient de penser et d’imaginer ce que pourraient être nos existences frappées de plein fouet par des catastrophes climatiques. Mais dans la grande majorité des produits culturels, il n’est pas question de changement climatique, ce qui contribue à nous maintenir « hors sol » et ne nous aide pas à « atterrir » pour reprendre la métaphore de Bruno Latour(3)Dans son ouvrage Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, La Découverte, 2017..

Très récemment au cinéma, on peut saluer la tentative du film Avant l’effondrement, réalisé par Alice Zeniter (écrivaine qui a obtenu le Goncourt des lycéens en 2017 pour L’Art de perdre) et Benoït Volnais, sorti en salles le 19 avril 2023. Dans ce film, on voit le personnage principal incarné par Niels Schneider suer dans un Paris suffocant à cause de la canicule. Directeur de campagne d’une candidate de gauche aux élections législatives dans le 18e arrondissement de Paris, il doit résoudre des problèmes familiaux et sentimentaux pendant qu’il mène campagne. Cet arrière-plan politique donne lieu dans le film à des discussions politiques et philosophiques sur l’engagement et la stratégie à adopter dans une société qui menace de s’effondrer. Si le scénario aurait mérité d’être mieux ficelé, il reste néanmoins intéressant de visionner cet exercice de pensée qui s’efforce d’intégrer le changement climatique dans le déroulement de l’action.

Et la forêt brûlera sous nos pas de Jens Liljestrand

Présenté comme « le grand roman du réchauffement climatique », le roman suédois Et la forêt brûlera sous nos pas écrit par le journaliste Jens Liljestrand traduit en français et publié l’été dernier chez Autrement constitue en effet l’un des essais les plus probants d’intégration du dérèglement climatique dans la fiction. L’intrigue se déroule en Suède à la fin du mois d’août, après la crise du Covid, mentionnée à plusieurs reprises. Partie dans une maison de vacances, une famille se retrouve prise au piège à cause d’un gigantesque incendie et est obligée de fuir dans la précipitation. Le roman essaie d’imaginer comment les individus et les structures réagiront dans le cas d’événements extrêmes, en l’occurrence ici cet immense feu de forêt. La grande force du roman est sa construction extrêmement intelligente puisqu’il est découpé en quatre parties qui chacune adopte le point de vue d’un personnage dont les intrigues s’entremêlent. Ainsi, cela donne à voir une palette d’émotions et de réflexions différentes, car les personnages ont des âges différents et sont percutés différemment par cette catastrophe. L’auteur s’attache à montrer comment les liens familiaux et amoureux sont mis à l’épreuve dans ce type de situations désastreuses. Si ce qui est raconté est plutôt dramatique, le roman ne manque pas d’humour et d’ironie, ce qui allège sa lecture.

Ce roman propose cependant une vision assez sombre de l’humanité, avec des personnages qui se conduisent en majorité de manière égoïste (refusant notamment de partager les ressources dont ils disposent), en proie même à la violence. Il faut souligner que ce qui est imaginé et décrit dans le roman est à l’opposé de ce qui arrive généralement en cas d’événements dramatiques où l’entraide prime, comme l’a montré l’excellent essai de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle L’entraide, l’autre loi de la jungle. Véhiculer cette vision pessimiste de l’humanité peut encourager la pensée « jusqu’au boutiste », autrement dit « puisque tout est foutu, autant ne rien faire ». Néanmoins le livre a le mérite de confronter des personnages à cette réalité nouvelle et aux sentiments qui en découlent, en particulier leur culpabilité. Il œuvre aussi à faire prendre conscience que le dérèglement climatique n’est pas lointain et que nous ne sommes pas à l’abri en Europe :

Nous pouvons tous devenir des réfugiés climatiques d’une façon ou d’une autre, parce que la vie est plus dure sur Terre. Nous ne verrons plus de récifs coralliens, nous ne pourrons plus faire de ski, par conséquent, nous aurons des contraintes, qui pourraient être mineures, mais aussi d’ordre vital.

Jens Liljestrand dans un entretien donné à France Culture.

En outre, le roman a le mérite de pointer la faible résilience d’une société comme la Suède dont les infrastructures (transport, circuits des denrées alimentaires) ne sont pas adaptées aux chocs qui peuvent advenir. On imagine aisément comment les autorités pourraient être dépassées par les événements et les individus livrés à eux-mêmes dans ce genre de situation, c’est très inquiétant…

Pour finir avec une note d’optimisme, nous vous conseillons cet entretien d’Alain Damasio au média Blast : https://www.youtube.com/watch?v=Y8SpcxR6FjQ, dans lequel l’auteur « qui a choisi de raconter des luttes enviables plutôt que de décrire un monde enviable » appelle à écrire des fictions dans lesquelles les personnages entrent en résistance pour contrer le système capitaliste à l’instar de son roman Les Furtifs. S’appuyant sur des exemples de luttes locales, en particulier les ZAD, l’auteur développe dans cet entretien l’idée qu’un moment révolutionnaire permettant l’avènement d’une société écologique reste possible alors que l’imaginaire capitaliste, lui, est en train de se fissurer de partout.

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