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« Mille soleils », film documentaire de Mati Diop

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

C’est un hommage rendu par la jeune réalisatrice Mati Diop à Djibril Diop Mambety son oncle paternel, acteur d’abord, puis scénariste et réalisateur sénégalais, mort en 1998, à cinquante-trois ans, en référence à Touki Bouki, son film culte, réalisé en 1972. D’autres films avaient suivi, dont Hyènes, – inspiré de La Visite de la vieille dame, de Friedrich Dürrenmatt – et L’Histoire des petites gens, trilogie dont le troisième volet n’a pas eu le temps d’être tourné.
Le premier plan de Mille soleils nous plonge au cœur de Dakar. Un troupeau de zébus traverse une grande avenue à travers les colonnes de voitures, guidés par un homme aux cheveux blanchis par le temps, qui les amène à l’abattoir. Le contraste déjà est saisissant, entre la vie traditionnelle et la ville moderne et encombrée, et le trouble s’installe mêlant les images sources de Djibril, à celles de la jeune réalisatrice, en forme de parti-pris.
Quelques rangées de fauteuils en plastique installés en plein air et un écran tendu sur une petite place, annoncent la projection du film de Djibril Diop Mambety, organisée en l’honneur du jeune premier de l’époque et gardien du troupeau, Magaye Nianga. On le voit se préparer, puis négocier âprement le prix de son taxi et engager la conversation avec le conducteur. Le jeune reproche à l’ancien le choix de la facilité, quand sa génération partait en occident délaissant le pays, et convainc qu’aujourd’hui les jeunes se battent pour la démocratie. « Chaque génération a sa mission » lui répond le vieil homme, qui met en marche sa machine à remonter le temps.
Sur le chemin, Dakar le soir nous est montrée, ses rues, ses motos, ses bruits et ses musiques, son agitation, et si le spectateur assiste aux séquences projetées de Touki Bouki, l’acteur détourne sa trajectoire et passe en revue le film de sa vie devant quelques bonnes bières et amis de fortune, mélangeant les langues, entre français, wolof, sérère et autres langues locales.
Touki Bouki montre l’intelligentsia sénégalaise des années soixante-dix dans son exode vers l’occident, – Touki signifie voyager – les mêmes reproches intergénérationnels s’y expriment, avec un peu de provocation : « Vous vouliez tous partir à Paris vous acheter des chaussures ! » Quelques beaux paysages apparaissent furtivement, la caméra s’attarde sur le regard d’une jeune femme et l’arrivée d’un transatlantique, à Marseille. Mati Diop fait habilement le va et vient entre des extraits du film de 1972 et aujourd’hui, entre le flash-back et la narration, la fiction et la réalité. C’est l’histoire de Djibril Diop Mambety qui se déroule sous nos yeux, avec Touki Bouki, le réalisateur se raconte, par métaphore et personnage interposé.
« J’étais amoureux d’Anta, nous avions décidé de partir. Quand nous nous sommes présentés pour l’embarquement, elle, en tailleur et chapeau rouge sang, la sirène tintait, je l’ai laissée monter la passerelle, seule. Elle est partie, je suis resté ». L’acteur fait le récit de sa vie et quand il se lève il est ivre, il y a longtemps que la projection est finie. Il se dirige vers la mer, le regard noyé dans ce gris bleu délavé, la chanson Plaisir d’amour interprétée par Mado Robin, romantique à souhait, l’accompagne. Djibril qui reconnaissait son talent avait essayé de le convaincre, de partir faire carrière à Hollywood.
Et les regrets se mettent en marche, la nostalgie : qu’est devenue Anta, est-elle toujours en vie ? Un ami lui donne ses coordonnées et Magaye Nianga l’appelle d’une cabine téléphonique, et lui parle. Ils échangent quelques nouvelles à travers la maladresse de la distance et d’années de silence. Anta travaille en Alaska sur une plateforme pétrolière, naïvement il lui demande : « – Quand est-ce que tu rentres ? –  Je ne sais pas. – Je t’ai gardé ce porte bonheur, tu te souviens ?  – Une fois que tu es parti, tu ne peux plus revenir… » répond-elle.
L’image devient bleue et s’emplit de brume, on est en Alaska. Magaye Nianga marche avec difficulté sur la glace et s’essouffle, peine, s’enfonce dans la neige, glisse, semble perdu dans une nature vierge où se superposent rêve, mirage, imaginaire et solitude.
Au-delà de l’hommage familial, Mille soleils, film habilement réalisé par Mati Diop, actrice et fille du musicien Wasis Diop, qui a déjà tourné plusieurs courts et moyens métrages, montre en quelques images le grand écart entre les générations, le rêve de l’ailleurs et l’utopie hollywoodienne, le modernisme qui efface les gestes de la tradition, un destin.
Elle s’est vue décerner le Grand Prix du Festival International du Documentaire de Marseille, en 2013. Son film est une belle référence à Touki Bouki dont Isabelle Régnier disait : « c’est un chef-d’oeuvre libre et insolent, éclatant de joie et empreint d’une sourde mélancolie, à cheval entre un Bonnie and Clyde teinté d’humour potache et un documentaire de Jean Rouch qu’on aurait trempé dans le bain des couleurs primaires des Godard des années 1960 », une citation dans son propre parcours de jeune cinéaste.

Mille soleils, Film documentaire de Mati Diop
Durée : 45’ – Année de production : 2013
Distributeur : Independencia Distribution

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