C’est le livre (sous-titré « Au fil de la résistance, j’écris ton nom. Témoignage. », publié chez Hémisphères Éditions, 2022, 473 pages, 24 euros.) que l’on doit avoir dans sa bibliothèque pour lire les nombreux témoignages glanés sur une période de 60 ans à compter de 1962, année de l’indépendance de l’Algérie, jusqu’en 2021 par Horria Saïhi, journaliste, grand reporter et réalisatrice engagée dans ce pays.
Une chose est de connaître l’histoire de ce pays, l’Algérie, si liée, pour le meilleur et pour le pire à la France, autre chose est de lire ces nombreux témoignages d’acteurs et d’auteurs de cette histoire que l’auteure de ce livre a rencontrés. Des dizaines de témoignages et des centaines d’interviews.
Cette militante, fut politiquement proche d’El Hachemi Chérif, du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), puis d’Ettahadi (Le défi) et enfin du Mouvement démocratique et social (MDS) sans oublier le Mouvement du 8 mars qui deviendra le Rassemblement algérien des femmes démocrates (RAFD). Elle a d’abord écrit un livre Voix sans voile aux Éditions Helvétius en 2016.
Elle nous fait parcourir, avec son témoignage et ceux de celles et ceux qui lui ont transmis les leurs, l’histoire récente de l’Algérie. Des témoignages de la répression dès l’indépendance quand Ben Bella pourchasse les communistes algériens tout en accordant l’hospitalité au siège de la quatrième internationale trotskiste dirigée alors par Michel Raptis alias Pablo. Elle montre la prévarication et la corruption qui se développe dans ce régime autoritaire. Elle nous parle de la vie des paysans, des ouvrières de Sidi Bel Abbès (mairie qui a été un temps géré par des communistes). Elle nous montre la montée de l’islamisme politique, dès les années 70, au début réprimé par Houari Boumedienne. Et puis le tournant néolibéral, toujours plus autoritaire, allié aux islamistes (tiens cela va ensemble comme toujours !) de Chadli Bendjédid avec l’Article 120, le Code de la famille de 1984, le démantèlement des entreprises nationales, une politique capitaliste des années 80 en fait ! L’article 120 revient à obliger tous les responsables des organisations de masse syndicales et associatives d’avoir la carte du FLN, parti unique.
Le Code de la famille de 1984 enlève une part de citoyenneté aux femmes qui deviennent des citoyens de deuxième zone, juridiquement soumises aux hommes, alors que sous Boumedienne, malgré l’autorisation pour les hommes d’avoir plusieurs femmes, l’application stricte de l’égalité entre épouses faisait que les épouses qui ne bénéficiaient pas de l’égalité gagnaient souvent leur procès contre leurs maris. Résultat : la polygamie perdait du terrain. Je me rappellerais toujours, sous Boumedienne, mon propriétaire venant chez moi tous les mois pour toucher son loyer faisant promettre à son fils de ne se marier qu’une seule fois, car il venait de perdre son procès contre sa deuxième femme ! Quant au cocktail démantèlement des entreprises nationales algériennes et corruption, les années 80 furent un festival !
Et, nous voilà, à partir de 1988 dans l’horreur. Au cœur de la décennie noire des années de fin du siècle avec les 200 000 victimes de la furie islamiste. Assassinats, meurtres de masse, et face à cela, la tendance éradicatrice de l’armée, incapable de résoudre les causes économiques et sociales de ce fléau, et la formidable résistance d’une partie importante du peuple algérien. La riposte citoyenne d’abord. Le mouvement des femmes républicaines d’autre part. Puis, le déploiement des groupes d’auto-défense, des groupes de patriotes, groupes paramilitaires pour combattre le Groupe islamique armé (GIA) du type de celui animé par Rabah Zerari alias Commandant Azzedine. Les dissolutions de ces groupes armés ont démarré en fin du siècle dernier et se sont échelonnées au début de ce siècle, et enfin les gardes communaux qui ont fonctionné jusqu’en 2012. Là encore, il faut lire les témoignages. Et enfin, la liste des camarades de l’auteure assassinés et une liste de ceux qui ont subi la répression et l’arbitraire, suivie de la liste des martyrs assassinés par les islamistes. Quand je vous dis que cette tranche peu banale de vie mérite d’être lue !