Le réalisateur et documentariste Gilles Perret, qui a notamment réalisé le documentaire La Sociale, formidable documentaire sur la Sécurité sociale et très bon outil d’éducation populaire (voir notre précédent article : « Vive La Sociale ! Voir et utiliser le film de Gilles Perret ») et deux films avec François Ruffin (J’veux du soleil et plus récemment Debout les femmes), s’essaye pour la première fois à la fiction avec le film Reprise en main, sorti en salles le 19 octobre. Ce très bon film social, optimiste, mais néanmoins avec bonne description du monde de l’entreprise aujourd’hui, mérite le coup d’œil.
Une volonté pédagogique tout au long du film
L’action de Reprise en main se déroule dans un atelier de décolletage — technique de fabrication en série de petites pièces, qui dans le film sont à destination de l’industrie automobile — dans la vallée de l’Arve en Haute-Savoie, qui est le berceau historique de ce savoir-faire. La première partie du film (d’une durée totale d’1 h 47) est consacrée à la description fine du fonctionnement de l’atelier qui a été vendu par la famille du fondateur à un fonds d’investissement. La veine documentariste de Gilles Perret se ressent dès le début du film avec une démonstration des conséquences néfastes de la rentabilisation à outrance : sous-effectif dans l’atelier, manque d’investissement dans l’outil de production qui finit par causer un grave accident de travail.
Le personnage principal, le père de famille Cédric (joué par Pierre Deladonchamps), passe une bonne partie de ses heures à l’atelier à faire de la maintenance sur les machines qui tombent très régulièrement en panne du fait de leur vieillissement. Animé par une conscience de classe transmise par son père, ancien ouvrier syndicaliste retraité, Cédric se démène pour essayer d’améliorer les conditions de travail dans une usine désormais désertée par les syndicats. Lorsqu’il apprend que son usine va être revendue à un nouveau fonds d’investissement et qu’un nouveau plan social se prépare, il décide de prendre les choses en main.
Une critique éclairante du néolibéralisme
Aidé par un financier qu’il rencontre lors d’une de ses sorties d’escalade (ces scènes filmées à flanc de montagne offrent des moments de respiration à l’intérieur d’une action parfois tendue), Cédric a une idée de génie : créer son propre fonds d’investissement pour pouvoir racheter l’usine et ainsi la rendre à ses salariés. Avec ses deux comparses et amis d’enfance, Alain (interprété par Grégory Montel, que l’on a vu dans la série « Dix pour cent ») et Denis, il endosse le costume de financier pour pouvoir réunir la somme nécessaire au rachat de l’usine, le film tourne alors à la farce avec quelques scènes très cocasses.
Dans cette partie, le réalisateur se montre très didactique pour dénoncer les rouages des investisseurs en expliquant les montages financiers utilisés(1)Les fonds de pension utilisent le système du leveraged buy-out (LBO) ou rachat avec effet de levier qui est un montage financier permettant le rachat d’une entreprise en ayant recours à peu de fonds propres et à beaucoup d’endettement et le remboursement de la dette s’effectue par les profits de l’entreprise rachetée, ce qui entraîne une politique d’austérité salariale maximale…. Grâce à une alliée précieuse, la directrice financière et des ressources humaines qui a fréquenté Cédric et son groupe d’amis depuis l’adolescence, les salariés ligués parviennent à tirer parti de leur connaissance du terrain et des acteurs locaux pour constituer un dossier solide.Si la volonté didactique qui imprègne tout le film nuit parfois à la fluidité et au réalisme des dialogues, les personnages restent très attachants et nous transmettent leurs émotions. Finalement, le film décrit très finement, mais sur un ton relativement léger la réalité économique et sociale de ce type d’usines et imagine une piste pour l’autogestion qui tient compte du néolibéralisme aujourd’hui. Il montre que la résistance — en se servant des prises de l’adversaire comme au judo — est toujours possible !
Notes de bas de page
↑1 | Les fonds de pension utilisent le système du leveraged buy-out (LBO) ou rachat avec effet de levier qui est un montage financier permettant le rachat d’une entreprise en ayant recours à peu de fonds propres et à beaucoup d’endettement et le remboursement de la dette s’effectue par les profits de l’entreprise rachetée, ce qui entraîne une politique d’austérité salariale maximale… |
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