Pour nous, républicains de gauche, Catherine Kintzler, reste rivée sur le fleuron de la laïcité qu’est son livre « Qu’est que la laïcité ? » aux Éditions Vrin qui est l’essai le plus abouti de toute la recherche sur ce principe républicain. Mais c’est oublier que Catherine Kintzler est également une spécialiste de l’esthétique qui a sur ce point « commis » plusieurs ouvrages. D’abord celui sur Rameau qu’elle m’avait offert et que j’ai dévoré ou encore, avec deux CD, « La France classique et l’Opéra… ou la vraisemblance merveilleuse ». Un ravissement musical.
Mais là n’est pas mon propos, spécialiste des titres longs, elle vient de commettre une pièce de théâtre toute dévouée à la musique. Cette pièce est intitulée, retenez votre souffle, « La musique : du « corps sonore » au »signe passionné », entretien imaginaire entre Jean-Jacques Rousseau et d’Alembert ». Voilà une nouvelle façon d’écrire que de faire des entretiens imaginaires ! Henri Pena-Ruiz ne vient-il pas de commettre un livre sur un entretien censé avoir eu lieu en 1882 avec Karl Marx ?
Cette pièce, qui s’inscrit dans les spectacles du 300e anniversaire de la naissance de Rousseau, que j’ai vu à Méru (60) ce 12 mai 2012 est organisé principalement autour d’œuvres musicales magnifiquement interprétées par l’orchestre de l’Oise sous la direction de Thierry Pelicant et de la soprano Catherine Manandaza et du ténor Daniel Galvez-Vallejo.
Prééminence de la mélodie ou de l’harmonie ?
Cette pièce, comme son long titre le précise est un entretien imaginaire entre deux intellectuels ayant travaillé pour « l’Encyclopédie ». Mais bien sûr, le spectre et la voix de Rameau (ce génie musical malheureusement trop polémiste) interviennent dans la pièce. Le fil rouge de cette pièce est un débat sur la nature de la musique. Pour comprendre le débat, partons sur l’analyse de Rousseau qui distingue dans toute musique « la mélodie ou le chant, l’harmonie ou l’accompagnement, le mouvement et la mesure ». Il faut savoir que Rousseau s’éprend de la musique bien avant sa célébrité pour ses œuvres philosophiques et littéraires. À partir de là, le débat musical s’organise pour défendre la « vraie » nature de la musique. Est-ce la prééminence de la mélodie (Rousseau) ou celle de l’harmonie (Rameau) qui doit prévaloir ? Avant d’en parler, écoutant Emmanuel Kant qui eut un propos fort « Le propre des écrivains français est de toujours préférer à l’humble vérité le trait d’esprit et la brillance du paradoxe ».
Ouvrons une parenthèse. J’ajouterais humblement que pour paraphraser de façon analogique le grand intellectuel allemand, nous pouvons constater une des raisons des impasses théoriques en politique française dans l’engouement de ces militants français « coupés du peuple », à la prééminence (que j’appelais d’un mot nouveau « surplombance » avant d’utiliser à sa place un vrai mot, m’a-t-on dit, « prééminence ») d’un combat sur les autres alors que le peuple, lui, souhaite la globalisation des combats et qu’il refuse de se mobiliser massivement sans celle-ci. Fermer la parenthèse.
Et pour apporter des arguments au spectateur, la pièce fournie à ce dernier, différentes œuvres françaises et italiennes répondant à chaque prééminence. Rousseau faisant appel aux œuvres italiennes, Rameau aux Françaises. La pièce se termine par le refus du choix entre ces prééminences par le « sage » d’Alembert.
En fait, nous assistons au conflit entre « les Indes galantes » (Rameau) contre les « Muses galantes » (Rousseau), Pergolèse et Vivaldi étant appelés à la rescousse. Il aurait été intéressant de continuer ce débat au 19e siècle où nous pouvons prendre le risque de dire que Rousseau anticipa la musique romantique du 19e siècle alors que Rameau reste un génie inconnu pour les français comme le sont Condorcet, Galois et consorts.