La guerre de 1939-1945 : un archipel pris en étau entre deux stratégies des Alliés
La situation de l’archipel va prendre une tournure très particulière pendant la Seconde Guerre mondiale en vertu d’une loi datée du 1er avril 1923 (article 98) et modifiée par celle du 31 mars 1928. Elle stipule que la côte française des Somalis, les Comores et Saint-Pierre et Miquelon ne seront pas appelés sous les drapeaux même en temps de guerre. Si un ressortissant de ces colonies vient à s’installer sur le sol métropolitain, il sera tenu d’effectuer son service militaire. Lorsque la guerre éclate, quelques réservistes sont envoyés en France et reviennent peu de temps après, car ils n’ont pas eu d’affectation.
À Londres, de Gaulle souhaite entreprendre un débarquement dans l’archipel, mais l’amiral Muselier est d’un avis contraire. Les États-Unis s’opposent fermement à cette initiative de la France libre tout comme le Canada et la Grande-Bretagne, un statu quo ayant été conclu entre le gouvernement de Vichy et Roosevelt. L’attaque de Pearl Harbor par les Japonais met de Gaulle et Muselier d’accord. Avant de débarquer à Saint-Pierre-et-Miquelon, Muselier rencontre des autorités américaines et canadiennes. L’option américaine est de maîtriser toutes les communications de l’archipel, tâche qui serait dévolue au Canada, mais l’option canadienne se résume à détruire la T.S.F.
De Gaulle, très mécontent, ordonne à Muselier de débarquer à Saint-Pierre-et-Miquelon et de cesser toute négociation avec les autorités américaines. Muselier obéit aux ordres, mais déclare qu’il donnera sa démission du Comité National de Londres, dès son retour. Il débarque à Saint-Pierre-et-Miquelon avec trois corvettes et un sous-marin au petit matin du 24 décembre 1941 : bonjour le Père Noël ! Des partisans de la France libre attendent sur le quai tous ceux qui arrivent avec enthousiasme pour les transporter à tous les postes clés de l’archipel qui vont être occupés et sur lesquels seront hissés les drapeaux de la France libre. 130 fusils de chasse, fusils-mitrailleurs et mitrailleuses sont saisis et les bateaux dans le port sont arraisonnés.
Deux camions circulent dans Saint-Pierre avec des hommes armés. Muselier donne l’ordre au chef du territoire de transmettre ses fonctions à Alain Savary, alors enseigne de vaisseau, qui devient Commissaire de la République et prend la direction de l’administration locale. Les mesures s’enchaînent : réunion des anciens combattants, constitution d’une milice locale avec les vétérans de 14-18, préparation d’un plébiscite pour le lendemain matin 25 décembre après la messe, affiches apposées par des hommes armés pour faire appel au vote. Par crainte d’un nombre insuffisant de suffrages, l’âge du vote est abaissé à dix-huit ans. Des dispositions sont mises en œuvre pour surveiller les côtes. La censure des télégrammes et courriers est établie. Vivres et combustibles sont débarqués du Surcouf puis une visite aux consuls américain et canadien est organisée ainsi qu’auprès de l’évêque Mgr Poisson.
La France libre s’impose et les Alliés se protègent
Le 25 décembre, Muselier assiste à la messe avec ses officiers et ses marins munis de baïonnettes et de drapeaux militaires. Les bulletins portent la mention « RALLIEMENT A LA FRANCE LIBRE » et en dessous : « COLLABORATION AVEC LES PUISSANCES DE L’AXE ». Il s’agit de rayer la mention non retenue. Les résultats du scrutin pour tout l’archipel sont annoncés : 785 voix pour la France libre, 15 pour la collaboration et 215 abstentions ou bulletins nuls pour 999 inscrits auxquels il faut rajouter les jeunes entre dix-huit et vingt et un ans.
Le Secrétariat d’État américain fait savoir son mécontentement, le clame sur toutes les ondes et incite le Canada à faire de même. Il exige la restitution de l’archipel au gouvernement de Vichy. Le gouvernement américain se montre prêt à chasser la France Libre par la force et commence à couper les approvisionnements pour l’archipel alors qu’une bonne partie de la population est au chômage. Les Allemands saisissent cette occasion pour commencer à envahir l’Afrique. C’est alors que Muselier, décidé à poursuivre sa mission jusqu’au bout, fait éteindre les phares, interdit tout accès aux eaux et déclare ouvrir le feu à tout survol d’avions dans la zone et annonce l’édification d’un barrage et d’un champ de mines autour des îles. Postes de guet renforcés, téléphones installés, alertes sur tous les points de contrôle tiennent les hommes en éveil. La crainte d’un débarquement des Américains tout comme celui de sous-marins ennemis créent une forte tension.
L’isolement de l’archipel et ses conséquences
Les Alliés soumettent l’archipel à un blocus. Les demandes de vivres et combustibles, réclamées par Muselier, restent sans réponse. Pour de Gaulle, l’affaire est classée. Muselier réclame presque tous les jours à de Gaulle, mais – sans succès – des crédits en dollars, du ravitaillement en vivres, des combustibles et du matériel de guerre. Gasoil, mazout et vivres sont vidés des cales du Surcouf et du Mimosa qui retournent sur les côtes canadiennes ou terre-neuviennes pour se réapprovisionner. Quant aux deux autres corvettes, elles sont parties pour d’autres missions de convoi. La population vit dans une ambiance militaire et quelque peu autoritaire. Et aussi dans la peur.
Ceux qui se sont ralliés à la France libre reçoivent en guise de solde, une monnaie émise par la France libre, un bureau de change est ouvert sans commission au Trésor ; les milliers de dollars non déclarés sont saisis, les demandes de remboursement réclamées à la Caisse d’Épargne sont accordées vidant les coffres des dernières liquidités, des séries de timbres surchargés sont vendues tout comme les stocks de poisson salé et les liqueurs. On met les moyens pour venir au secours de la population : augmentation des indemnités de chômage, diminution du prix du pain, secours aux familles nombreuses, réhabilitation de petits chantiers navals, rappel des chalutiers détenus au Canada, réorganisation de la pêche, mise sous séquestre de la Morue française, paiement des acomptes dus aux pêcheurs. L’Afrique française envoie un important ravitaillement en vins, huile, savon, conserves de sardines et d’anchois provenant de Dakar, d’Oran et de Casablanca sur les stocks destinés à l’Afrique du Nord.
Intransigeant avec les personnalités locales, Muselier contrôle étroitement les messages chiffrés des consuls, met en place un service officiel de l’information et de la diffusion radiophonique, envoie des télégrammes aux principales agences dans le monde, crée un corps de volontaires féminines (dactylos, chiffreuses et téléphonistes) destinées à travailler sur place ou à Londres.
L’uniforme de ce corps féminin est confectionné, au début, dans un atelier à Saint-Pierre. Un atelier de tissage se consacre aux pompons et autres rubans de bonnets et galons qui viendront mettre la touche finale aux uniformes masculins du F.N.F.L.(1)Forces Navales de la France Libre. sur le sol anglais. Il crée une école de mousses sur un vieux trois-mâts et sort une publication hebdomadaire La Liberté de Saint-Pierre-et-Miquelon. Muselier convoque le conseil d’administration et incite la population à venir aux fêtes de la Croix-Rouge. Il n’oublie pas de « pousser au recrutement de volontaires, de gendarmes auxiliaires et de vétérans » Il s’occupe aussi de l’armement des navires dans le Barachois et ne manque pas de prêter main forte, même pour renflouer un bateau. L’ancien chef du territoire, Gilbert de Bournat, est évacué.
Au cœur de la bataille de l’Atlantique
La bataille de l’Atlantique sévit et les Allemands progressent en démantelant les convois. Même la zone Halifax–Saint-Jean de Terre-Neuve fait partie de leur surveillance. Des cargos se réfugient dans la rade de Saint-Pierre. Escortes et patrouilles se multiplient entre les trois ports Halifax, Saint-Jean et Saint-Pierre avec les corvettes canadiennes et le Mimosa. Enfin, de Sydney (Nouvelle Écosse) des vivres, du charbon, des volontaires d’Amérique et un journaliste du Washington Post arrivent sur de vieux bateaux.
Un embargo mis sur des mitrailleuses et du matériel militaire en provenance du Canada provoque la colère de Muselier qui menace le Consul et de Gaulle de retirer la marine française libre, militaire et marchande des forces alliées. Deux convois sont derrière le barrage qu’il a mis en place et un torpillage a eu lieu non loin. Le 15 janvier, le Surcouf quitte l’archipel et, début février 1942, Muselier regagne l’Angleterre laissant les affaires militaires de l’archipel aux mains de Villefosse(2)Louis Héron de Villefosse, capitaine de vaisseau. et la gestion du territoire dans celles de Savary, enseigne de vaisseau et aide de camp de Muselier(3)En décembre 1941, au moment du ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon auquel il participe, l’Amiral Muselier confie à Alain Savary, Compagnon de la Libération, la charge d’administrer ces territoires..
Les deux corvettes l’Alysse et le Mimosa sont attaquées par l’ennemi. La première perd cinq engagés de l’archipel et la deuxième perdra presque la totalité de son équipage. Quant au Surcouf, il est coupé en deux par un cargo américain par mégarde et perd la totalité de son équipage.
Conflits entre la France libre et les partisans de Vichy
Lorsque l’Alysse quitte l’archipel avec une cinquantaine d’hommes à bord, début janvier, Villefosse se rend compte que trois hommes sont manquants. Il fait arrêter et mettre en résidence surveillée, à l’Île aux Marins, le responsable considéré comme ayant influé dans le revirement de ces trois hommes. Il précise ses dires dans son ouvrage : « Je fis savoir que cette mesure n’était qu’un petit exemple, que je n’hésiterai pas le moins du monde à recourir à la peine de mort et que la peau d’un traître ne valait pas cher à mes yeux quand tant de jeunes héros se sacrifiaient pour la France ». Un rassemblement de plus de trois personnes autour de la résidence de l’ancien chef du territoire, de Bournat, avait été interdit dans un arrêté de Villefosse. Il se plaint de l’insolence des vichystes pendant la période où les États-Unis étaient virulents contre le débarquement de la France Libre dans l’archipel.
Muselier « en avait fait convoquer trente et les avait prévenus que, puisqu’ils approuvaient les régimes fascistes, on leur en appliquerait les méthodes ». Il fit l’appel des quinze premiers et leur dit qu’ils étaient désignés pour aller emménager à « l’hôtel des notables » à la première manifestation. Si une seconde manifestation se tenait, il en prendrait quinze autres. Ce vieux bâtiment délabré avait été entouré de barbelés sur les ordres de Muselier. La menace fut efficace puisque les manifestations s’arrêtèrent.
Le haut clergé de l’archipel, en la personne de Mgr Poisson, joua un rôle pro-Vichy non négligeable, jusqu’à se faire lâcher par une bonne partie de la population qui cessa d’aller à ses offices. Son soutien à de Bournat fut indéfectible et il se montra très actif contre la France Libre. Ce qui amena celle-ci à faire appel à un aumônier canadien pour ses troupes. De Villefosse reprocha à l’évêque de s’entourer de notables à la moralité douteuse et d’avoir parmi son clergé, un prêtre qui, après avoir distribué des bonbons à une douzaine de petits garçons, se permettait de mettre sa main dans leur culotte selon des plaintes qui étaient parvenues à la justice et à la gendarmerie avant l’arrivée de la France Libre. Après cette discussion, le prélat s’est calmé.
A Saint-Pierre, un clivage très net s’instaure entre les partisans de la France libre « chauffés à blanc » parce qu’il fallait recruter « des volontaires » et les autres (catalogués de vichystes, mais surtout pas très enclins à voir la France Libre farfouiller dans leurs affaires ou regretter le désaccord avec les États-Unis ou encore commettre bien des abus). Pourquoi ne faisaient-ils pas davantage de pédagogie pour informer et convaincre ? Il est vrai que leur formation les incitait davantage à donner des ordres ou à contraindre par la force…
Les abus des deux camps sont de plus en plus manifestes et viennent se greffer parfois sur fond de conflits familiaux ou de voisinage. S’opposent-ils sur un fond politique dans tous ces conflits ? Pas vraiment : c’est la guerre des tracts et des pamphlets. Muselier est intervenu en personne auprès du père d’un jeune de la France Libre pour lui demander de calmer son fils particulièrement actif. Plus tard, ce sera au tour de Savary d’intervenir dans l’hebdomadaire de la France Libre pour demander aux siens de se calmer.
La France libre est très active dans une propagande orale et n’hésite pas à répandre des informations disant que Saint-Pierre-et-Miquelon allait devenir une base importante contre l’ennemi et que l’on allait éradiquer le chômage dans l’archipel : des informations qui paraissent démesurées et qui sonnent faux au regard de sa dimension et de la situation économique et sociale que vivait l’archipel. Enrôler le plus de monde possible est aussi l’un des objectifs : hommes, femmes, mais aussi adolescents et pré-adolescents. Des photos prises du haut de la Poste attestent de ces trois bataillons alignés sur les quais. Adolescents et pré-adolescents sont envoyés à Londres et d’autres à Newport aux États-Unis. Aussi bien à Londres qu’aux États-Unis, les forces navales refusent de les garder et ils sont renvoyés dans leur foyer.
Une année d’accalmie
Cette période se caractérise par une ambiance de haine dont Saint-Pierre-et-Miquelon aura beaucoup de mal à se remettre, même bien des années après la Seconde Guerre mondiale. L’archipel est soumis à une propagande à travers un hebdomadaire La Liberté de Saint-Pierre et Miquelon qui relate des batailles survenues à travers le monde, des épisodes consacrés à la résistance, des allocutions de De Gaulle, de Savary et d’autres personnalités de l’époque ainsi que des informations locales, certaines sur la faune et la flore dans l’archipel et des informations sur l’État civil. Il y eut même une rubrique dédiée aux événements sous la Révolution française dans l’archipel et des encarts publicitaires furent accordés aux commerçants. Des appels à s’engager sont régulièrement publiés dans cet hebdomadaire. Ce n’est qu’en 1944 que des articles sur les violences de l’ennemi apparaissent, notamment les conditions inhumaines infligées dans un camp de travail forcé en France, le témoignage écrit d’un condamné à mort à sa famille et un compte-rendu détaillé du massacre d’Oradour-sur-Glane en Haute-Vienne.
Avant de quitter l’archipel, de Villefosse passa une journée à Miquelon, salua les personnalités locales, organisa une réunion publique et visita l’école communale. Au départ de Saint-Pierre, le 2 avril 1942, de Villefosse passa en revue toutes ses troupes dans le hangar de la Douane. Le capitaine de corvette Arago prit la suite de Villefosse qui devait embarquer sur l’Aconit pour rejoindre un convoi de pétroliers à Terre-Neuve comme escorte jusqu’en Irlande du Nord.
Alain Savary resta à Saint-Pierre et Miquelon, du 24 décembre 1942 jusqu’en février 1943, comme commissaire de la République, y mena une politique d’apaisement et de diplomatie pendant sa présence. Parmi ses premières mesures, on compte un soutien financier à l’école libre qui était pauvre. Complimenté pour sa bonne gestion de l’archipel, il quitta le territoire à sa demande pour rejoindre des forces navales en formation aux États-Unis. Il dira plus tard qu’il avait été frappé par la misère qu’il avait constatée dans l’archipel de même que de Villefosse releva dans ses mémoires la pauvreté de l’intérieur des maisons. Il est difficile de se rendre compte de l’importance qu’Alain Savary a pu accorder à cette période de sa vie ; ce fut une surprise d’apprendre après son décès (au cours des mandats présidentiels de Mitterrand) qu’il avait souhaité être incinéré et avait demandé que ses cendres soient jetées à la mer. Plusieurs années après son décès le 17 février 1988, la municipalité de Saint-Pierre aménagea un rond-point en son honneur.
Garrouste : atteintes aux règles de la conscription
C’est l’administrateur Pierre-Marie Garrouste qui prit la suite le 27 février 1943 et resta dans l’archipel jusqu’au 10 février 1946. Cet administrateur venait des colonies et avait connu quelques déboires à Madagascar, alors colonie française. La France libre de cette île, s’était plainte par télégramme codé (crypté) à Londres et avait demandé une autre affectation pour cet administrateur en raison de son comportement et des propos très violents contre la France libre.
De plus, il avait fait tirer sur les Anglais, il aurait été capturé et ramené à Londres, disait-on, où on lui aurait offert le choix entre la prison ou un poste d’administrateur à Saint-Pierre et Miquelon. Il choisit la seconde solution. Selon d’autres sources, il fut sommé par la France libre de se rendre à Saint-Pierre et Miquelon. Il semble bien qu’il ait rencontré Pleven qui lui aurait fixé un certain nombre de directives très précises pour son séjour dans l’archipel. Les recommandations portent essentiellement sur des mesures sociales. Bien sûr, Pleven lui recommande de ne pas oublier d’engager « des volontaires ».
L’hebdomadaire de la France Libre de l’archipel La Liberté de Saint-Pierre et Miquelon révèle les contenus de télégrammes dans lesquels l’administrateur Garrouste ne tarit pas d’éloges à l’égard de la France Libre en magnifiant tous les héros qu’elle a pu faire émerger. Alors qu’il est déjà installé depuis plusieurs mois dans l’archipel, il organise un conseil de révision à Miquelon le 29 septembre 1943. Sur les 70 hommes appelés à s’y présenter, 57 ne s’y rendent pas. Notons au passage que 70 correspond à peu près à la moitié des hommes en âge de voter, un lourd prélèvement de la population masculine, essentiellement pêcheurs et pères de famille.
Vu les difficultés survenues depuis l’arrivée de la France libre et les relations qui se sont dégradées au cours des mois, il n’y a pas de surprise. Est-ce en lien avec la dernière recommandation de Pleven, alors, commissaire aux Finances, à l’Économie, aux Colonies et aux Affaires Étrangères entre 1941 et 1944 ? Personnalité importante de la France libre ou pas, Garrouste se pique de zèle et prend la décision de faire un ordre d’appels individuels, ce qui n’est pas légal puisque normalement les mobilisations s’effectuent par classes d’âges et, de plus, rappelons-le, Saint-Pierre et Miquelon n’est pas soumis à la conscription même en temps de guerre.
L’ordre d’appels individuels de cet administrateur choque un certain nombre d’habitants parmi lesquels, un enseignant, l’avoué près des tribunaux et le Président du Syndicat des Ouvriers du Port, tous les trois appartenant au même syndicat affilié à la C.F.T.C. Ils protestent vigoureusement en organisant une manifestation dans les rues de Saint-Pierre, début décembre 1943. Après la manifestation qui rassemble environ trois cents personnes, les arrestations commencent et le bruit se répand très rapidement. Rappelons ici que Muselier ne voulait plus voir de manifestations et qu’il n’autorisait pas de rassemblement de plus de trois personnes dans les rues selon l’arrêté publié.
Les organisateurs sont plus particulièrement recherchés. Les hommes de la France libre se rendent au domicile des personnes qui ont participé à la manifestation ou les arrêtent dans la rue. Ils sont arrêtés sans distinction, qu’ils soient réformés pour constitution physique trop faible ou pas, qu’ils soient pères de trois enfants et plus ou pas et même si l’un des militaires arrête un membre de sa propre famille, cela ne gêne aucunement l’administrateur Garrouste. Bien d’autres hommes sont arrêtés par des militaires en uniforme, équipés d’armes pointées sur eux, et enrôlés de force. Les trois organisateurs sont mis à fond de cale d’un navire pendant trois jours et craignent le pire. Parmi eux, un seul partira à la guerre, mais sera séparé de tous les « volontaires » de l’archipel. Certains sont même envoyés au bagne de Bizerte pour y casser des pierres.
La loi allègrement bafouée et une répression disproportionnée
Tout est bafoué dans l’archipel : la loi de 1923 qui exempte trois colonies d’appels sous les drapeaux même en temps de guerre, la volonté des États-Unis, du Canada et de la Grande-Bretagne d’éviter tout débarquement de la France libre dans l’archipel, un plébiscite est imposé pour justifier leur présence en prenant soin d’abaisser l’âge du vote à dix-huit ans, la mobilisation des réformés et des pères de trois enfants, la mobilisation par classes d’âges ignorée, le statut de « volontaires » qui camoufle au cours des années des volontaires forcés puis des arrestations, le droit à manifester, le droit des enfants à poursuivre leur scolarité au lieu d’aller à la guerre, un conseil de révision imposé à Miquelon.
La disproportion entre le nombre des présents vichystes (15 voix) avec les votes pour la France Libre (785 voix) ne justifie pas un tel déploiement de mesures répressives ou encore l’ordre d’appels individuels qui entraîne la grande manifestation de fin 1943. Le 11 janvier 1944, un contingent de 119 personnes quitte l’archipel sur le Béarn puis est transféré en mer sur le Lady Rodney, un paquebot de la ligne des Caraïbes réquisitionné pour le transport des troupes. C’est après la guerre que ces « volontaires » seront informés que le paquebot devait être torpillé par l’ennemi. Le transport des troupes se prolonge en chemin de fer d’Halifax jusqu’à Newport aux États-Unis puisil y a un départ pour Bizerte en Tunisie dans un énorme convoi américain. Au bout de vingt-huit jours, ils arrivent le 16 février dans la rade de Bizerte.
Notes de bas de page
↑1 | Forces Navales de la France Libre. |
---|---|
↑2 | Louis Héron de Villefosse, capitaine de vaisseau. |
↑3 | En décembre 1941, au moment du ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon auquel il participe, l’Amiral Muselier confie à Alain Savary, Compagnon de la Libération, la charge d’administrer ces territoires. |