Aperçu politique d’un vécu à Saint-Pierre-et-Miquelon

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Une lectrice nous propose une contribution sur la situation à Saint-Pierre-et-Miquelon. Attachés que nous sommes à la notion d’indivisibilité de la République française, il nous paraît important de publier des articles concernant les territoires ultra-marins comme nous l’avons fait concernant Mayotte. La fuite en avant du ministre de l’Intérieur concernant une éventuelle autonomie de la Corse nous inquiète. Nous y reviendrons.

 

L’article que nous propose Françoise Claireaux, du fait de sa longueur très utile pour cerner la situation de l’archipel français, sera publié en trois parties :

 

Première partie, n° 1091, 18 mars : L’histoire, de la conquête en 1520 à 1939 en passant par la Révolution française, le Front populaire et la Première Guerre mondiale.

 

Deuxième partie, n° 1092, 25 mars : De la Seconde Guerre mondiale à la Libération en passant par l’évocation entre les Alliés et la France libre.

 

Troisième partie, n° 1093, 1er avril : De la Libération avec un après-guerre prometteur accompagné d’un réel développement économique à la surpêche actuelle source de conflit avec le Canada et au phénomène de hausse du niveau des Océans.

Si Saint-Pierre-et-Miquelon est découvert par Fagundes, un Portugais, en 1520, c’est Jacques Cartier qui plante son drapeau dans l’archipel lors de son deuxième voyage au Canada en 1536 au nom de François 1er : il y séjourne six jours. Cette zone particulièrement poissonneuse attire de nombreuses goélettes et l’on y croise en particulier des navires de pêche français, principalement bretons, venus faire fortune sur les bancs de Terre-Neuve pour la pêche à la baleine. La pêche de la morue, très vite, prend la suite pour être séchée et ramenée en France. Cette zone est très convoitée sous Louis XIV. Au début, les Français s’y rendent sans intention d’y rester, mais seulement pour la période de pêche, les six mois de l’année les plus tempérés. Au fur et à mesure des années, plusieurs familles s’y installent, tout d’abord sur l’île du Cap-Breton ; puis ils rejoignent des Acadiens, installés en Nouvelle France, qui sont chassés par les Anglais à plusieurs reprises.

Ces Français se réfugient aux Iles de la Madeleine, mais aussi à Miquelon. Ce sont principalement des Basques, des Bretons et des Normands qui viennent s’implanter à différentes époques dans cet archipel composé essentiellement de trois îles, Saint-Pierre la plus peuplée, l’Ile aux Marins plus proche de la zone de pêche et Miquelon-Langlade deux îles qui ont été réunies par un isthme de sable résultant de nombreux naufrages pour former des sédiments. Les divers conflits entre l’Angleterre et la France sur la terre d’Amérique du Nord vont entraîner dans cette zone des mouvements de population, ponctués de traités, soit en faveur de l’Angleterre, soit en faveur de la France, neuf fois en tout selon les Archives Nationales.

Sous la domination anglaise, des mesures drastiques, avec un déplacement forcé de la population de l’archipel, sont prises pour chasser ces Français venus s’installer et toutes leurs installations sont brûlées après leur départ. Mais c’est sans compter avec la mentalité d’ilien qui se développe dans cette population, qui s’accroche à l’archipel comme une moule à son rocher. A deux reprises, chassée et « déportée » en France (à Nantes et Saint-Servan notamment), cette population réclame de l’aide pour y retourner. C’est avec la détermination d’un commandant qu’une expédition est organisée avec la marine française au printemps avec beaucoup de matériel et de vivres pour reconstruire le village avant l’hiver. Autant les Anglais ne sont pas intéressés à séjourner dans l’archipel, autant les Bretons, Normands et Basques d’origine sont vivement désireux d’y demeurer définitivement.

De multiples traités et des déplacements de population

Quelques traités scellent ces accords anglo-français dont le plus important est le traité d’Utrecht, sous Louis XIV en 1713, à la suite de défaites militaires, qui accorde des droits de pêche à la morue pour la France, mais de façon saisonnière dans le « French shore » situé entre l’archipel et Terre-Neuve. En contrepartie, Saint-Pierre-et-Miquelon, l’Acadie et Terre-Neuve reviennent à la Grande-Bretagne dont la suprématie dans la Baie d’Hudson est reconnue. Cette région était convoitée par les deux parties pour le traitement des peaux à fourrure. Avec le traité de Paris en 1763, la France perd le Canada français, mais en revanche récupère les Iles de Saint-Pierre-et-Miquelon « pour servir d’abri aux pécheurs ». Elles étaient alors inoccupées.

Le gouverneur d’Angeac et le baron de l’Espérance débarquent sur les îles avec des habitants pressés d’y revenir, des militaires et quelques fonctionnaires. En 1778 les hostilités sont engagées avec ces Français qui pourraient être une menace pour cette Amérique naissante. Faible en matériel de guerre et en hommes, cette petite colonie préfère capituler et embarquer de nouveau vers la métropole. Tout derrière eux est brûlé. Saint-Pierre-et-Miquelon est revenue sous domination anglaise pendant la guerre d’indépendance en Amérique. Puis, en 1783 avec le Traité de Versailles, l’archipel est à nouveau restitué à la France.

Une lueur révolutionnaire

En septembre 1789, les habitants de l’archipel, émoustillés par les événements de métropole, prennent parti lors d’un incident. Un dénommé Vigneau, à la manœuvre dans son embarcation, heurte par mégarde une corvette royale. Le commandant lui fait donner des coups de corde, ce qui n’avait rien d’exceptionnel à l’époque, sauf que les temps changent. Révoltés par cette sanction disproportionnée par rapport à la faute reprochée, des habitants se rendent à la demeure du commandant gouverneur qui ne réagit pas. De retour le lendemain, accompagnés de 300 à 400 hommes, ils envahissent la demeure du commandant, en exigeant que justice soit rendue. Plus tard une délégation retourne à la demeure du Commandant de la colonie où se trouve le commandant de la Corvette qui fait des excuses en public à la victime.

À la suite de quoi, un procès-verbal est rédigé. En mars 1790, les habitants des colonies sont sollicités par décret à donner leur avis et faire part de leurs desiderata concernant la constitution, la législation et l’administration. Ils réclament en octobre de la même année la création d’une Assemblée Générale destinée à échanger avec l’Administration locale des problèmes qui se posent dans l’archipel. Les réunions se tiennent dans l’église. Au cours d’une manifestation révolutionnaire initiée par le Club « Les amis de la Constitution » en février 1792, une bagarre éclate entraînant la mort d’une femme. Sept membres du club sont renvoyés en France suite à la délibération des délégués de la commune. En 1792, les membres de l’assemblée communale se font connaître officiellement.

Le Club des « Amis de la Constitution » décide de dissoudre leur organisation devant l’Assemblée générale des Communes en invoquant les « engagements par eux imprudemment pris dans ladite société ». Lors de l’Assemblée de la commune des deux îles, M. Danseville rappelle les décrets de l’Assemblée nationale qui autorise les habitants des colonies à « exprimer librement leurs vœux sur les lois locales et de police qui sont les plus convenables à leur bien-être et au maintien de la paix publique ». En 1793, la commune de l’archipel adopte le calendrier révolutionnaire. Les individus sont des citoyens et le lendemain le mât de la liberté est planté et coiffé d’un bonnet phrygien sur la place du gouvernement. Les débats sont houleux à l’Assemblée des Communes.  La même année, des familles de Miquelon décident de s’établir aux iles de la Madeleine avec leur curé qui refuse de prêter le serment constitutionnel.

Retour des Anglais et nouveaux déplacements

En 1793 la guerre est déclarée par les Anglais. Un Comité de Défense est institué pour s’occuper des approvisionnements de l’archipel et l’Assemblée générale de la commune décide de remettre en état le peu de matériel militaire en sa possession. Le 22 mai 1799, le Directoire prend un arrêté « exemptant les jeunes gens des îles Saint-Pierre-et-Miquelon de l’obligation d’effectuer leur service militaire ». Mesure que nous retrouverons plus tard dans l’histoire de l’archipel.

La France cède Saint-Pierre-et-Miquelon à l’Angleterre qui refuse le désordre qui y règne, chasse la population qui doit embarquer immédiatement pour la France dans des navires préparés à cet effet et brûle tout derrière eux. Avec le Traité d’Amiens en 1802, Saint-Pierre-et-Miquelon retrouve le chemin de la mère patrie, mais en 1803 l’archipel est de nouveau sous la domination anglaise. Saint-Pierre-et-Miquelon, ballotté entre deux empires naissants, trouve définitivement sa place parmi les territoires français le 20 novembre 1816 au Traité de Paris. La France représentele pays auquel l’archipel est viscéralement attaché en raison des origines de la population. Sans oublier que toute cette période est truffée de conflits en mer.

Un combat pour la République chez soi.

Les dirigeants du territoire sont des commandants de la Marine Nationale. En 1844, un Conseil d’administration est institué qui comprend un Commandant, un chef de service administratif, un inspecteur colonial, un chef du service judiciaire et un notable de l’archipel choisi par le Commandant. Cet organe ne possède qu’un rôle consultatif, mais il peut se constituer en tribunal pour les contentieux administratif au besoin. De 1848 à 1872, Saint-Pierre-et-Miquelon est gérée sous l’intitulé « Établissement de Pêche ». Toute contestation de la population doit être soumise aux tribunaux métropolitains selon l’ordonnance de 1844.

Une série de doléances est consignée dans un Mémoire accompagné de cent trente signatures en 1871, réclamant l’abrogation de cette ordonnance et remis au Délégué des îles Saint-Pierre-et-Miquelon en charge de le déposer à la Chambre des Députés. Parmi les doléances, il contient la création d’une chambre de commerce pour la deuxième fois, mais aussi la mise en place de municipalités afin de mieux contrôler l’affectation des différentes ressources locales. Avec une population de trois mille cinq cents habitants, Saint-Pierre-et-Miquelon est la première colonie à bénéficier de Conseils municipaux en 1872 par décret, avec le consentement du ministre de la Marine, du Président de la République et du Commandant de l’archipel d’après les courriers parvenus. Cependant l’ordonnance organique de 1844 n’est pas abrogée. Elle stipule que le Gouverneur est toujours le décisionnaire final en cas de litige.

Deux communes sont créées, celle de Saint-Pierre avec deux sections (Saint-Pierre et l’île aux Chiens) et l’autre de Miquelon-Langlade. Un Conseil Supérieur des Colonies est créé en octobre 1883 qui relève du ministre de la Marine et des Colonies. Son rôle est consultatif sur tout ce qui a trait aux colonies, projets de lois, réglementations et décrets. Sont inclus dans ce Conseil Supérieur les députés et sénateurs des colonies et les délégués élus pour trois ans et représentants de Nouvelle-Calédonie, Tahiti, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon qui n’ont pas d’élus au Parlement. En mai 1884, le Conseil municipal de Saint-Pierre émet un vœu pour la création d’un Conseil Général et charge son délégué au Conseil Supérieur des Colonies de porter l’affaire au Ministère. Mais le Commandant de son côté s’oppose fermement à la création d’une telle institution sous prétexte que les pêcheurs de l’archipel sont incapables d’assumer une telle charge et propose en contrepartie un Conseil d’administration élargi. Une fois de plus, refus du nouveau ministre de la Marine et des Colonies qui lui demande de faire des propositions en vue de la création d’un Conseil général, bien sûr avec le consentement du Président de la République Jules Grévy.

Les élections se tiennent le 19 juillet 1885 à la fin desquelles le scrutin donne pour Saint-Pierre neuf élus, pour l’Ile aux Chiens un élu et Miquelon-Langlade deux élus, tous pour une durée de six ans et sans rétribution. Le Conseil d’administration se transforme en Conseil privé. En plus des fonctionnaires, deux Conseillers privés sont nommés par le Président de la République pour deux ans, sur proposition du ministre de la Marine et des Colonies. C’est une défaite cinglante pour le Commandant qui vit comme une véritable humiliation le fait qu’une partie de ses pouvoirs lui échappe. Notons que la fin du XIXe siècle voit un essor considérable de la grande pêche française au large des côtes canadiennes et que la « pêche sur les grands bancs » de Terre-Neuve, regorgeant de morues, ramène aux armateurs métropolitains une prospérité sans pareille. En cette période, on voit l’arrivée d’une vague de migrants pêcheurs venus de France et désireux de s’installer dans l’archipel.

Des conflits avec l’administration locale et métropolitaine

Le Conseil Général mis en place, les désaccords de fond apparaissent peu à peu au cours des différentes présidences. Le dernier président du Conseil général reproche à l’administration métropolitaine installée dans l’archipel d’avoir privé la municipalité de Saint-Pierre d’un certain nombre de fonds pour les transférer au Conseil général. Ce faisant, la municipalité est contrainte de faire un emprunt. À la demande du Conseil Général, une fusion de deux services de l’administration est réalisée et la rémunération de l’ancien poste, supprimée. Cette économie permet à la rémunération du nouveau poste d’être versée en totalité sur le budget de l’État et entraîne un allègement des finances locales.

Par ailleurs, le poste du contrôleur des Douanes est remis en question, celui-ci ne venant à son travail que de temps en temps. Le Conseil s’oppose également à l’arrivée de nouveaux douaniers qui priverait d’emploi le personnel en poste et augmenterait le budget. En 1887, le Président du Conseil général est refoulé du Cabinet du gouverneur et, plus tard, tous les membres du Conseil sont chassés de la salle des délibérations. En 1895, le Conseil Général rétablit l’impôt foncier qui avait été supprimé quelques années auparavant. C’est au bout de douze ans, en 1897, après d’âpres conflits que le Conseil général est dissous. Ses attributions sont confiées au Conseil privé qui se transforme en Conseil d’administration, scellant un net recul des droits acquis dès la première république.

Première Guerre mondiale

Dans les premières années de 1900 se révèlent des besoins importants en matière de réparations et d’aménagement au niveau de la rade, des installations portuaires et à l’intérieur des trois îles. La métropole est sollicitée pour des financements au vu des travaux très onéreux que l’archipel ne peut assumer. En plus d’un emprunt, on augmente et multiplie les taxes, un droit de port spécial, un droit de magasinage, un droit à l’importation, un droit de patente, une taxe supplémentaire sur les boissons alcoolisées et les marchandises, requis par l’administration. Par la suite, on relève l’octroi de mer sur les articles de luxe et un droit de douane est créé sur le sel.

Toutes ces mesures ne suffisent pas pour relever la situation et les navires étrangers font escale ailleurs pour l’avitaillement et le ravitaillement. Pour comble de malheur, la pêche n’est pas bonne pendant plusieurs années et la guerre de 1914-1918 éclate. Trois cent soixante-six hommes sont mobilisés et s’embarquent pour la France. Dix médailles militaires et environ soixante croix de guerre sont remises par les autorités militaires. Quarante soldats sont blessés et quatre-vingt-treize soldats restent sur le champ de bataille. Après la guerre, la situation reste alarmante dans l’archipel et le ministre des Colonies se déplace en personne pour se mettre au courant des projets urgents. Saint-Pierre-et-Miquelon paie un lourd tribut dans cette guerre.

La Prohibition et ses effets dans l’archipel de 1920 à 1933

En raison des graves problèmes d’alcoolisme qui sévissent aux États-Unis, le pays finit par adopter, sur la pression des femmes notamment, des mesures draconiennes pour lutter contre ce fléau avec l’interdiction de vendre et de consommer des alcools. Des effets pervers se font jour avec la contrebande qui se développe massivement. La situation économique et sociale étant au plus bas dans l’archipel, certains se piquent de se lancer dans ce commerce illicite vers les États-Unis.

C’est ainsi que l’on voit des importations de whisky en provenance du Canada et de Grande-Bretagne, mais aussi du champagne et du cognac en provenance de France et des spiritueux. Tous ces alcools sont destinés à être réexportés vers les États-Unis de manière frauduleuse pendant la nuit sur des navires et font l’objet d’un transbordement au large pour être chargés sur des doris. Cette activité fort lucrative entraîne une baisse du chômage. Des pêcheurs abandonnent leur métier pour se consacrer à la manutention sur les quais. Les jeunes arrivés sur le marché du travail n’ont guère de choix et se laissent emporter bon gré mal gré dans cette tourmente. Du côté de l’administration, les rentrées financières par les taxes d’importation soulagent le budget local et permettent un excédent bien utile pour les travaux nécessaires, autre biais pour résorber en partie le chômage. Le gouverneur, dont les pouvoirs sont sans appel en cas d’urgence, n’utilise aucunement les organes en place, de police, justice et douanes pour mettre un terme à la contrebande.

Dès lors qu’aux États-Unis le gouvernement trouve la solution en contrôlant étroitement les alcools, la contrebande cesse rapidement notamment à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette économie « artificielle » supprimée, il a fallu revenir à la triste réalité en 1933. J’ai remarqué qu’en métropole, on est prompt à vilipender cette période de l’archipel. C’est sous-estimer la grande pauvreté de ses habitants qui ont trouvé dans la contrebande un moyen d’améliorer leurs revenus. C’est aussi méconnaître l’exploitation des armateurs français qui se sont servis de cette main-d’œuvre locale à leur gré, engrangeant des profits substantiels avec la pêche pour leurs propres intérêts, une grande caractéristique du colonialisme. Il y a environ cinquante ans, nous avons souvent vu se développer dans les îles lointaines, des paradis fiscaux, là où la société peut se permettre d’avoir des activités illicites qu’elle a longtemps préféré ignorer jusqu’à ce que le milieu associatif s’en mêle et en fasse un cheval de bataille.

En 1930, l’Île aux chiens voit son appellation transformée en « Île aux Marins » par respect pour ses habitants. En octobre 1935, le Syndicat des Ouvriers du Port de Saint-Pierre, affilié à la CFTC, est créé. Il revendique pour les ouvriers de Saint-Pierre le droit de décharger et de charger les cargaisons des navires étrangers sur les quais de l’archipel, opération qui était jusqu’alors réservée aux marins de ces navires. Ce n’est qu’après plusieurs années, que ce droit deviendra une obligation pour les navires étrangers, créant ainsi de l’emploi pour une partie des hommes de l’archipel souffrant de chômage endémique, mais qui a valu à son fondateur d’être licencié et de ne plus être embauché par aucun employeur.

Une vie de labeur et des conditions de travail éprouvantes

La première moitié du XXe siècle est dans l’ensemble très éprouvante pour ces familles de marins-pêcheurs en proie à des armateurs métropolitains avides de s’enrichir avec cette manne qu’est la morue, un poisson très prisé pour sa finesse. Les goélettes viennent avec un équipage important et une fois rendus sur les bancs, les doris(1)Un doris est une embarcation à fond plat, aux extrémités élancées, utilisée pour la pêche à la morue, du temps de la marine à voile. empilés sur les ponts des navires sont descendus le long de la coque pour se rendre au large pêcher la précieuse morue. Les intempéries sont fréquentes et la mer agitée.

Connu depuis plus de trois cents ans sur toutes les côtes de l’Atlantique Nord, le doris(2)Type d’embarcation. fait l’objet de modifications selon les régions. Les pêcheurs de Saint-Pierre-et-Miquelon apporteront des modifications dans la construction de cette embarcation au cours des années. Dès 1920, il est muni d’un écusson à l’arrière qui permet d’élargir les bordés et d’assurer une meilleure stabilité en mer. Equipé d’un moteur à essence et d’une hélice relevable pour l’échouage sur la grève, il se rend ainsi plus rapidement sur les fonds de pêche situés environ à trois heures de route de l’archipel. A son retour, le doris est hissé à terre grâce à un cabestan. Les marins travaillent pour leur propre compte et vendent leur pêche aux grossistes locaux. Sur les rivages les femmes travaillent au séchage du poisson sur la grève, en retournant les morues tranchées. Mais ce travail est surtout pratiqué par les petits graviers qui sont des enfants de métropole, enrôlés spécialement par les armateurs pour travailler sur la grève. Ils sont exploités, se lèvent à cinq heures du matin, sont mal nourris et travaillent dans des conditions épouvantables. La Maison des « Œuvres de Mer » constitue pour eux et les marins métropolitains un havre de repos et de réconfort où ils peuvent aussi être soignés en plus du navire-hôpital.

1936, suppression des communes, mais des réformes bienvenues

1936 est une année riche en rebondissements politiques. Un concours de circonstances économiques mondiales vient aggraver encore la situation de l’archipel. Les travaux tant attendus tardent. La ressource halieutique concernant la morue baisse encore. L’économie est presque inexistante. L’archipel, trop endetté, doit tailler dans son budget et le réduire de 60 %. C’est ainsi que les communes de l’Ile aux Marins, de Miquelon-Langlade et de Saint-Pierre sont supprimées au profit d’une structure nouvelle, un Conseil de 12 membres en charge de la gestion. C’est un commissaire délégué qui assure le contrôle et l’approbation des actes locaux. Les services sont réduits au minimum et la grosse majorité des fonctionnaires métropolitains renvoyés en France. Cette mesure drastique diminue considérablement l’endettement de l’archipel. La situation peut laisser un goût amer pour l’avenir d’autant que son statut est modifié. Les îles deviennent une « circonscription autonome » par décret le 3 janvier 1936, promulgué par arrêté dans l’archipel le 12 février. Un statut qui ressemble étrangement à un semi-abandon.

A la suite de la victoire du Front Populaire aux législatives de mai 1936, le 4 juin, Léon Blum annonce la formation de son gouvernement et le même jour, publie un décret sur la réorganisation administrative des Îles Saint-Pierre-et-Miquelon. Ce décret servira de base pendant de nombreuses années aux réformes successives qui prendront place dans l’archipel. Pour l’heure, le Conseil de douze membres est supprimé ainsi que le statut autonome de l’archipel qui devient un Territoire. Le Conseil d’Administration est rétabli et est élargi. Son rôle est consultatif et délibératif.

On y dénombre quatre fonctionnaires en charge des différents services, dont un administrateur qui remplace le gouverneur, et on rajoute sept élus au suffrage universel avec quatre suppléants. Le Conseil d’Administration est composé de l’administrateur, d’un fonctionnaire de Justice, du comptable du Budget de l’État et du Budget Local, du Chef de Service de l’Inscription Maritime et de cinq élus pour Saint-Pierre, d’un élu pour Miquelon-Langlade et d’un élu pour l’Île aux Marins plus les quatre suppléants. Un Conseil de Contentieux Administratif accompagne cette nouvelle structure avec quatre membres, l’administrateur, un fonctionnaire de Justice et deux autres choisis par l’administrateur. Les budgets des communes sont regroupés dans le budget local. Leurs biens et ressources sont versés à la Caisse de Réserve du Territoire.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Un doris est une embarcation à fond plat, aux extrémités élancées, utilisée pour la pêche à la morue, du temps de la marine à voile.
2 Type d’embarcation.