Antonio Gramsci définit le journalisme intégral comme « le type de journalisme qui non seulement entend satisfaire tous les besoins (d’une certaine catégorie) de son public, mais qui entend créer et développer ces besoins et donc susciter, dans un certain sens, son public et d’en étendre progressivement le terrain. »
Dès la préface, Fabien Trémeau montre que les journaux bourgeois de l’époque de Gramsci « jouent le rôle de parti dans le sens où ils organisent et hiérarchisent les intérêts des différentes fractions de la classe dominante ». Par exemple, le Corriere della Sera représente la classe bourgeoise industrielle du Nord.
La conception de Gramsci : s’appuyer sur tous les faits
Fabien Trémeau caractérise la pratique journalistique de Gramsci comme une opposition « au pur journalisme de propagande », car « il veut donner des arguments et des données et entend convaincre ses lecteurs non par des mots d’ordre mais par la force du raisonnement ». Il dénonce la propagande bourgeoise : « Et ne parlons pas de tous les faits que le journal bourgeois tait, soit déforme, soit falsifie, afin de tromper, de leurrer et de maintenir dans l’ignorance le public des travailleurs ». Le journalisme selon Gramsci, « doit être un journalisme de la démystification, un journal fondé sur la vérité, non pas une vérité imposée par un parti mais une vérité imposée par le déchirement du voile des mensonges de la propagande bourgeoise ». Permettre l’« évaluation exacte de la vérité » doit être le rôle et l’objectif du journalisme.
Antonio Gramsci dans le texte
L’ouvrage est une compilation de différents textes et publications d’Antonio Gramsci.
Après la préface, suit une présentation de l’Ordine Nuovo. Cela permet à Gramsci de rappeler que pour lui, les conseils d’usine doivent être « les organismes du pouvoir prolétarien et qui devront se substituer au capitaliste dans toutes les fonctions utiles de direction et d’administration ». Il montre la différence entre les journalistes « intellectuels organiques » liés à la classe montante et les intellectuels traditionnels attachés aux anciennes sociétés et donc aux idéologies féodales et capitalistes.
Suit un texte intitulé « les journaux et les ouvriers » publié par Avanti ! le 22 décembre 1916 dans lequel Gramsci montre une critique de l’aliénation des travailleurs soumis aux journaux bourgeois. Il en appelle au boycott de ces médias par les travailleurs.
Suit un texte intitulé « Qu’est-ce qu’un journal bourgeois ?» paru dans Avanti ! le 23 décembre 1916 dans lequel il montre pourquoi le journal bourgeois ne peut pas être un journal formateur de vérité.
Suit un texte intitulé « Le journal bourgeois » paru dans Avanti ! du 27 décembre 1918 dans lequel il décortique le fonctionnement du journal bourgeois, le jeu de la concurrence. Il écrit que l’achat d’un média bourgeois ne résulte pas d’un choix, car « on choisit qu’entre deux choses semblables, différentes par les degrés de perfection, entre deux chevaux, entre deux maisons, entre deux bâtons, entre deux journaux bourgeois ». Il n’y a rien de semblable à ses yeux entre un média bourgeois et un média autonome à la bourgeoisie.
Suit un texte intitulé « Le travail de propagande » publié par l’Ordine Nuovo du 12 juillet 1919 dans lequel Gramsci déclare que « de l’Evangile, nous devons passer à la critique et à la reconstruction ».
Suit un texte intitulé « Des écrits difficiles » publié dans l’Ordine Nuovo du 27 décembre 1919 qu’il termine par cette règle « Voulez-vous que celui qui a été jusqu’à hier esclave devienne un homme ? Commencez à le traiter, toujours, comme un homme, et le plus grand pas en avant sera déjà fait ».
Suit un texte intitulé « Le programme de l’Ordine Nuovo » dont la 1re partie est publiée le 14 août 1920 et la deuxième partie le 28 août 1920. Ce texte brillant montre comment on peut se départir de froides constructions intellectuelles par le débat dialectique « avec les meilleurs ouvriers » ce qui nous permettait, disait-il, de devenir libres, de devenir nous-mêmes. Il montre la différence, contrairement à Tasca, entre le conseil d’usine avec tous les ouvriers et la participation « volontaire » aux organisations partisanes et syndicales. Pour lui, le conseil d’usine est une institution de caractère « public » alors que le syndicat et le parti sont de caractère « privé ». Il rappelle que Marx a stipulé dans un ouvrage sur la commune le caractère industriel de la société communiste des producteurs en remplacement du salariat soumis.
Vers une campagne contre-hégémonique
Suit un article intitulé « Journalisme » publié dans le Cahier 24 en 1934. Il revient alors sur ce qu’il appelle le « journalisme intégral » où il appuie sur le lien dialectique entre les prémisses d’un raisonnement et les fins du raisonnement. Il analyse les différents types de journaux, les différences entre un journal d’information et un journal d’opinion, les conséquences de l’histoire sur l’influence desdits journaux, le type de rédacteurs en fonction du type de journal et du public choisi. Il convient d’expliciter dans le journal les nouveaux concepts qui doivent permettre le discours contre-hégémonique alors que les mots courants ne le peuvent pas. Il développe les différents types de rubriquage. Il montre que la simple énonciation de principes « clairs » est insuffisante.
Le travail requis est complexe et doit être articulé et gradué : il lui faut combiner déduction et induction, logique formelle et dialectique, identification et distinction, démonstration positive et destruction de l’ancien, mais pas dans l’abstrait, mais dans le concret, sur la base de la réalité et de l’expérience effective. Et quand il conteste l’illusion « explosive » qui naît pour lui que d’une absence d’esprit critique, on ne peut penser qu’au bruit et à la fureur d’une certaine « gauche dite radicale » aujourd’hui qui pense que cela est nécessaire pour le processus révolutionnaire. Pour Gramsci, « les transformations culturelles sont lentes et graduelles. […] Car si la passion est impulsive, la culture est le produit d’une élaboration complexe. » Et pour Gramsci, la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle précède la bifurcation économique et politique et permet d’entamer une guerre de position au lieu d’une guerre de mouvement chère à tous les tacticiens des multiples factions néo-trotskistes. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement dans ReSPUBLICA.
Alors qu’en 2024, de nombreux militants se posent des questions sur les stratégies suivies pour aboutir aux échecs politiques patents et démobilisateurs dans le monde européen, voilà un petit livre qui permettrait un débat argumenté et constructif sur une stratégie globale pour le XXIe siècle. Nous invitons les lecteurs de ReSPUBLICA qui seraient intéressés à cette recherche-action collective de le signaler à la rédaction.