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Les Champs-Élysées un certain 11 novembre 1940…

Source : http://www.ideesaisies.org/champs-elysees-1…mbre-1940-par-ls/

« Depuis 1934, aucune manifestation autre que festive n’a eu lieu sur les Champs-Élysées» a déclaré M. Castaner, ministre de l’Intérieur, samedi 24 novembre 2018, jour de la manifestation des « Gilets jaunes » sur les Champs-Élysées, en réponse à une question d’un journaliste…

Trou de mémoire regrettable ?

Notre zélé Ministre de l’Intérieur, trop enclin à vouloir s’affranchir de la vérité (soit par sa mémoire sélective, soit pour les besoins de son office) – qui est pourtant celle de notre histoire nationale  -, gomme ainsi la manifestation du 11 novembre 1940 sur les Champs-Élysées qui n’avait rien de festif.

Sans être exhaustif ici, rappelons-en au moins deux, mais penchons-nous plus longuement sur l’une d’elles, très significative car se rattachant à la défense de notre liberté.

Encore assez proche de nous, l’on pourrait déjà faire état de la manifestation politique du 30 mai 1968 – bien trop connue pour qu’on s’y attarde ici – organisée par les gaullistes à la suite des avènements du printemps de 1968 (mai 1968). De retour de Baden-Baden, De Gaulle appela ses soutiens à se manifester publiquement, en organisant « partout et tout de suite » pour aider le gouvernement et les préfets, « l’action civique » [1]. Loin d’être improvisée, la manifestation des gaullistes fut préparée à partir du 26 mai par Jacques Foccart en accord avec le chef de l’État. C’est dire que cette « manifestation » était plutôt assez atypique puisque, contrairement aux manifestations habituelles, elle n’était pas dirigée contre le pouvoir en place car elle était, au contraire, organisée et conçue par les gouvernants eux-mêmes en place qui en appelaient au soutien des Français [2].

En effet, selon le Dictionnaire Maxipoche Larousse de 2019, et dans le sens et selon la pratique modernes que nous lui donnons, une manifestation est un « rassemblement collectif, défilé de personnes organisé sur la voie publique pour exprimer une opinion politique, une revendication : Participer à une manifestation contre la guerre. » (cf. p. 848, 4).

Manifester, c’est donc habituellement, aux 20e et 21e siècles, s’opposer à des mesures ou des orientations politiques prises par le Pouvoir politique en place en mettant en avant des insatisfactions, des revendications, des demandes sociales, comme le font les « Gilets jaunes » aujourd’hui. Mais la contestation peut parfois prendre aussi une ampleur plus radicale visant la légitimité de l’ordre politique et social établi. La manifestation gaulliste du 30 mai 1968 était, au contraire, une manifestation d’adhésion au régime gaulliste et un acte d’allégeance à son chef prestigieux. Elle se traduisit par le rassemblement de plusieurs centaines de milliers de Français remontant l’avenue des Champs-Élysées, de la place de la Concorde à l’Arc de Triomphe.

Tout autre fut la manifestation, bien antérieure, du 11 novembre 1940 sur les Champs-Élysées qui fut une manifestation de lycéens (surtout) et d’étudiants, patriotes et extraordinairement contestataires (déjà, bien avant 1968!). Et cette manifestation eut bien lieu aux Champs-Élysées, devant l’Arc de Triomphe de l’Étoile, pour commémorer l’armistice du 11 novembre 1918 dont ni le régime de Vichy ni l’occupant nazi ne voulaient entendre parler.

En effet, à la suite de l’annulation du jour férié traditionnel du 11 novembre, il avait même été annoncé que pour les étudiants et lycéens ce serait un jour travaillé comme un autre. La lecture d’une circulaire interdisant les manifestations et commémorations devait même être faite par les recteurs d’université aux étudiants et les proviseurs aux lycéens, les prévenant ainsi du caractère sensible du sujet…

Mais, loin d’être intimidée, la jeunesse française, qui n’était pas « moutonne », fit circuler un tract apolitique et rassembleur – depuis le début du mois de novembre 1940 – appelant le 11 novembre 1940 au soir à une manifestation devant la tombe du Soldat Inconnu. Transmis de la main à la main et manuscrit, l’un de ces tracts – qui fut trouvé dans le hall de la faculté de médecine de Paris et conservé à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC) – était rédigé ainsi :

« Étudiant de France !
Le 11 novembre est resté pour toi jour de Fête nationale
Malgré l’ordre des autorités opprimantes, il sera Jour de recueillement.
Tu n’assisteras à aucun cours.
Tu iras honorer le Soldat Inconnu, 17 h 30.
Le 11 novembre 1918 fut le jour d’une grande victoire.
Le 11 novembre 1940 sera le signal d’une plus grande encore.
Tous les étudiants sont solidaires pour que
Vive la France !
Recopie ces lignes et diffuse-les. »

Vers 17 h, la manifestation rassembla, selon les estimations habituellement admises, près de 3 000 jeunes, lycéens, étudiants ou jeunes actifs, présents sur la place de l’Étoile et devant la tombe du Soldat inconnu.

Une note de police a rapporté qu’on y chanta La Marseillaise et qu’on y cria « Vive la France », « Vive De Gaulle »…

Ce fut le premier acte de résistance collective contre l’occupant nazi et le régime vichyste, et, signe d’espoir, il venait de la jeunesse française nourrie, depuis les bancs de l’école primaire, de l’amour de la liberté.

Il semble que la plupart des étudiants et lycéens qui participèrent à cette manifestation étaient relativement apolitiques et que ceux d’entre eux qui étaient politisés provenaient des deux bords de l’échiquier politique : droite nationaliste et gauche communiste.

A la suite de cette manifestation, plus de 200 arrestations furent effectuées, par la police française ou directement par les Allemands. Les étudiants et lycéens qui furent arrêtés furent conduits dans les prisons de la Santé, du Cherche-Midi et de Fresnes. Une semaine plus tard, il restait encore plus de 140 personnes incarcérées.

Des rumeurs parlèrent même d’étudiants fusillés, ou déportés. Radio-Londres évoqua le chiffre de 11 tués et de 500 déportés le 28 novembre.

Veillons tous au respect de notre mémoire nationale, c’est au moins ce que nous devons à tous les combattants de la liberté qui nous ont précédés et auxquels nous devons être reconnaissants et fidèles!

NOTES

[1] Dans son allocution du 30 mai 1968 prononcée à 16h30 à la radio et à la télévision, de Gaulle s’exprima ainsi : « En tous cas, partout et tout de suite, il faut que s’organise l’action civile. Cela doit se faire pour aider le gouvernement, d’abord, puis localement, les préfets devenus ou redevenus commissaires de la République, dans leur tâche qui consiste à assurer, autant que possible, l’existence de la population, et à empêcher la subversion à tout moment et en tout lieu. La France, en effet, est menacée de dictature. On veut la contraindre à se résigner à un pouvoir qui s’imposerait dans le désespoir national, lequel pouvoir serait alors évidemment et essentiellement celui du vainqueur, c’est-à-dire celui du communisme totalitaire. »

[2] Voir à cet effet l’article de Frank Georgi : « Le pouvoir est dans la rue. 30 Mai 1968 la ’’manifestation gaulliste’’ des Champs-Élysées » qui analyse la genèse, le déroulement et la signification de cette manifestation dans la Revue Vingtième Siècle – Revue d’Histoire, Année 1995, N° 48, pp. 46-60.

 

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