Nous vous proposons une série d’articles sur la falsification de l’Histoire et de l’Archéologie, ses motivations, ses conséquences et les enjeux de la lutte nécessaire à la dénoncer. Nous commencerons dans ce premier article par définir les sciences historiques. Les articles suivants vous proposeront de décrire quels profils versent dans cette dérive et leurs motivations, pour ensuite présenter celles et ceux qui ont décidé de lutter : des historiens et des archéologues souvent bénévoles.
Qu’est-ce que l’Histoire ? Qu’est-ce qu’elle n’est pas ?
Vous pensez que l’Histoire est une discipline qui a pour objet de décrire les événements du passé ? Souvent dans l’ordre chronologique de leur survenance ? Si oui, vous commettez une erreur, car c’est justement ce qu’elle n’est pas : une démarche qui se voudrait uniquement narrative.
Il y a donc l’Histoire, l’Histoire de l’Art et l’Archéologie, trois sciences historiques. Ce sont des sciences : elles ont donc pour but d’objectiver les faits et de créer des relations vérifiables sur leur objet, les sociétés du passé. Cela veut dire notamment rechercher des causes, des conséquences, des interprétations, c’est aller plus loin que cela par la mise en perspective. Les sciences historiques ont donc pour objet, à partir de l’observation et de l’analyse des sources, de comprendre les sociétés du passé dans toutes leurs dimensions humaines.
Il a existé une histoire narrative qui rencontrait le mythe — mais cette époque est révolue comme nous allons vous l’exposer. Et l’Histoire n’est pas non plus le scénario d’un film.
Le cinéma a largement brodé autour de l’image de l’archéologue-aventurier « pourvoyeur d’antiquités rares ». C’est sous la caution morale de l’antinazisme que le Dr Jones est censé mener des « études » alors qu’en fait, il ne fait que piller les cultures locales, ce qu’ont fait les explorateurs du XIXe siècle.
Cette image montre une pratique romantique de l’archéologie, qui ressemble en partie à la pratique des archéologues jusqu’à la Première Guerre mondiale. Et si quelques archéologues pratiquent ce pillage, il est fermement et pénalement condamné aujourd’hui.
Mais il importe de chasser de notre esprit cette icône du Dr Jones. Certes il offre cette parole réconfortante dans Les Aventuriers de l’arche perdue en rationalisant son point de vue entre la vérité et les faits, mais il traduit aussi cette pensée des années 1930 — l’époque où se déroule le film de Steven Spielberg — en affirmant qu’un artefact a sa place « dans un musée » dont il oublie de préciser la ville : un musée américain et non pas un musée du pays qu’il pille.
L’archéologie est la recherche de faits… pas de vérité. Si c’est la vérité que vous recherchez, le cours de philosophie du Dr Tyree est juste au bout du couloir.
Dr Henry Jones dans Indiana Jones et la Dernière Croisade, Steven Spielberg, 1989.
L’Histoire a pour source les textes. Elle peut donc étudier les sociétés qui se servent de l’écrit, dont les plus anciennes remontent à l’invention de l’écriture environ 3300 ans avant l’ère commune. L’Archéologie s’appuie sur les sources matérielles : elle exploite les artefacts et les écofacts, permettant d’étudier des sociétés ne servant pas de l’écrit et donc peut remonter au-delà de 3300 avant notre ère. L’Histoire de l’Art quant à elle analyse les œuvres d’art, les systèmes de représentation et les ressources afférentes.
Mais fondamentalement, les sciences historiques relèvent de la même démarche scientifique et de compétences équivalentes chez ceux qui la pratiquent. Et cette démarche commence par l’analyse scientifique des sources dans le contexte de leur découverte, techniques dont les fondements ont été jetés par Leopold von Ranke au début du XIXe siècle. Dans sa première publication de 1824, Geschichte der romanischen und germanischen Völker 1494-1535 (Histoire des peuples romains et allemands 1495-1535), il donne une définition reprise en français dans l’encyclopédie Universalis : l’historiographie doit dire ce qui s’est réellement passé, le rôle de l’historien n’étant ni de juger le passé ni d’en tirer des enseignements au profit du monde futur[1].
Nicolas Offenstadt, maître de conférences à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et auteur du Que sais-je sur l’historiographie, déclare dans l’introduction[2], qu’il n’est plus possible de définir l’Histoire comme un discours comme le faisaient ses prédécesseurs trente ans plus tôt, car « la pratique de l’histoire est bouleversée depuis 1960 ».
Les sciences historiques ne sont pas là pour établir une vérité, un « conte officiel des événements ». Et c’est alors un total non-sens d’utiliser une expression comme « l’Histoire officielle dit que… ». L’historien comme l’archéologue n’est pas là pour officialiser une image immuable, mais seulement apporter des réponses aux problématiques posées, réponses qui peuvent être remises en cause par d’autres ou par de nouvelles découvertes.
L’Histoire est donc une science humaine qui ne saurait être une photographie du passé gravée dans le marbre. Et qui affirme le contraire ne sait donc pas ce qu’est ce champ d’études ni à quelles contraintes ce travail rigoureux est soumis d’un point de vue pratique.
Enfin, l’on ne saurait définir l’Histoire sans oublier que ceux qui l’étudient sont eux-mêmes marqués par leur propre époque, leur société, et qu’ils portent alors un regard qui ne peut être ni neutre, ni absolu, mais relatif à leur propre vécu, leur propre culture, donc sous une influence plus ou moins consciente de laquelle il leur est impossible de s’extraire.
Aussi, critiquer l’hypothèse d’un historien ou d’un archéologue — pourvu qu’on soit soi-même dans la démarche scientifique (avec ou sans diplôme) — n’est pas une falsification, mais la seule façon possible de travailler collectivement, justifiant par là les publications dans une presse scientifique spécialisée à des fins de créer des hypothèses à contredire. Tout le monde peut (doit ?) se tromper !
Comment définir la pseudo-histoire ?
Par définition, critiquer est une démarche intégrée à la méthode scientifique : il est normal que des chercheurs ne soient pas d’accord dans leurs hypothèses, car c’est à partir de la confrontation et de l’échange que l’on peut établir des connaissances et réduire les incertitudes. Par essence la démarche scientifique est donc contradictoire : elle ne décrète rien qui ne soit définitif. Et les sciences historiques n’échappent donc pas à cette règle.
Et c’est d’ailleurs le principe fondamental de la science : être critiquable et réfutable par de nouvelles découvertes. Les sciences historiques s’appuyant sur des sources, et ces dernières pouvant être lacunaires, il reste des périodes ou des sujets qui sont inconnus ou mal connus et des problématiques non résolues. En revanche, la pseudo-histoire veut apporter une « vérité ». Elle ne se soumet ni à l’obligation de s’appuyer sur des sources, ni à celle de contextualiser les données, ni à celle de se confronter au regard critique des pairs. Elle décrète une vérité, là où les historiens objectivent des connaissances pour comprendre les sociétés du passé. Elle entend apporter une réponse globale et définitive, là où les sciences historiques cherchent à expliquer chacun des phénomènes humains.
Depuis la fin du XIXe et plus fortement depuis la fin du XXe siècle avec Internet se manifestent des auteurs se réclamant de la recherche historique, mais sans en adopter les méthodes de travail. Bien au contraire.
Leur position est clairement observable : ils rejettent ce qu’ils appellent « l’histoire officielle » écrite par « des élites à la solde du pouvoir », désignant chercheurs, enseignants ou passionnés qui s’appuient sur les méthodes scientifiques, comme des falsificateurs. Ces pseudo-historiens promeuvent une histoire secrète, une histoire cachée qu’ils sont capables de révéler.
On trouve les premières traces de cette pseudo-histoire au sein des mouvements occultistes de la fin du XIXe siècle, notamment chez Helena Blavatsky et ses successeurs. Dans le cours des années 1960, ses sujets se sont étoffés dans une littérature particulière, notamment la collection L’aventure mystérieuse aux éditions J’ai lu à la célèbre couverture rouge et qui voit l’avènement d’auteurs comme Robert Charroux[3], Erich Von Danikën[4] ou encore Serge Hutin, Jean Sendy, Gérard de Sède, Denis Saurat, Guy Tarade… et tant d’autres.
Ce genre littéraire a été relancé par Le Matin des magiciens[5], livre de Louis Pauwels et Jacques Bergier, publié en octobre 1960, fer de lance de la pseudo-histoire, de la pseudo-archéologie, mais aussi de la numérologie et la géométrie sacrée, et qui connaît un succès certain auprès du grand public.
La diffusion de cette pseudo-science a conduit certains chercheurs, tel Jean-Pierre Adam, architecte et archéologue français, membre du comité de parrainage scientifique de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) et de sa revue Science et pseudo-sciences, à dénoncer cette dérive au travers d’un ouvrage : L’Archéologie devant l’imposture (en 1975), réédité sous le titre Passé recomposé[6].
Dans sa forme, la pseudo-histoire se reconnaît donc au fait qu’elle raconte sans expliquer : elle ne s’inscrit donc pas du tout dans la définition des sciences historiques décrites par l’historiographie d’où son préfixe « pseudo » puisqu’elle ne cherche qu’à offrir une apparence logique et scientifique via la narration globalisante romanesque et orientée.
Comment reconnaître la pseudo-histoire ?
La pseudo-histoire ne peut jamais s’appuyer sur des sources à moins d’en détourner le sens et/ou les décontextualiser. Elle ne produit pas des hypothèses contradictoires que la méthode scientifique réclame, car elle part du résultat voulu pour remonter artificiellement à des causes fictives et préétablies.
Cependant et paradoxalement, la pseudo-histoire n’est pas autonome : elle doit s’appuyer sur l’Histoire puisqu’elle n’est jamais que sa version falsifiée. Il n’y aurait donc pas de pseudo-histoire s’il n’y avait pas antérieurement une Histoire à déformer. Et ainsi, alors que l’Histoire part des sources, la pseudo-histoire part de l’Histoire elle-même pour lui faire dire autre chose que permettent les hypothèses des historiens et archéologues.
La pseudo-histoire se reconnaît donc au fait qu’elle ne s’appuie pas sur les sources et l’analyse des sources, et pas non plus sur une méthode scientifique. Elle n’est en rien un processus méthodologique. Elle est conduite par des individus dont l’attitude relève davantage de l’obsession et qui restent dans l’impossibilité d’effectuer une remise en question, ou d’avoir du recul par rapport à leur objet.
L’historien et l’archéologue quant à eux ne peuvent que rester hors du débat ou éventuellement s’appuieront sur des canons épistémologiques comme le rasoir de Hitchens en l’absence de preuves matérielles : le dialogue est impossible, le travail collectif aussi.
Ce qui est affirmé sans preuve peut être réfuté sans preuve » ou dit autrement « La charge de la preuve incombe à qui affirme aux yeux de qui la réclame
Énoncé du Rasoir de Hitchens[7].
Mais quelles sont les motivations des pseudo-historiens ? Pourquoi « tombent-ils » dans la pseudo-histoire ? Beaucoup de raisons amènent à cela : ce sera le thème de notre deuxième article.
[1] Cf. https://www.universalis.fr/encyclopedie/leopold-von-ranke/
[2]Nicolas OFFENSTADT, L’historiographie, Presse universitaire de France (PUF), Que sais-je n° 3933, 2017, p. 3-4.
[3] Cf. https://data.bnf.fr/fr/11896237/robert_charroux
[4] Cf. https://data.bnf.fr/14052164/erich_von_daniken
[5] Cf. https://data.bnf.fr/temp-work/b9ba71318202e8e567838b9c624004ad/
[6]Jean-Pierre ADAM, Le passé recomposé – Chroniques de l’archéologie fantasque, Seuil, 1988, 256 p.
[7] Christopher HITCHENS, Dieu n’est pas grand, Belfond, 2009, 324 pages.