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Un épisode odieux et absurde de la colonisation française

Công Binh, la longue nuit indochinoise, de Lam Lê, est un film sorti récemment dans le réseau Art et essai que j’ai eu l’occasion de voir en présence du réalisateur. Sur les traces de Pierre Daum qui a écrit en 2009 l’ouvrage Immigrés de force aux éditions Actes Sud, (1)L’auteur vient d’ouvrir le site www.immigresdeforce.com qui donne un utile agenda des manifestations liées au livre comme au film, dont une exposition. il fait resurgir l’histoire occultée des « ouvriers-soldats » (công binh) recrutés de force en Indochine à la demande de George Mandel en prévision de la guerre (20 000 jeunes non destinés à combattre, en sus d’un contingent de tirailleurs). Après la défaite de la France en 1940, voilà bloquée en métropole pour des années, ballottée des Baumettes à divers camps ou baraquements, mal traitée et rongée de tuberculose cette MOI (main d’œuvre immigrée – à ne pas confondre avec l’autre ! – qui dépend du ministère du travail et dont on ne sait trop que faire). De fait elle va être d’abord employée en zone libre à des travaux ruraux (le riz en Camargue, notamment), puis à partir de 1943 dans des usines sous contrôle allemand ou pour le compte directement de l’occupant. En 1945, ils se retrouvent sous la tutelle du ministère des colonies et se voient proposer diverses occupations et parfois des formations professionnelles, le régime disciplinaire s’adoucit.
Le réalisateur Lam Lê n’a pas voulu faire
œuvre d’historien, bien qu’il ait été primé au Festival international du film d’histoire 2012 à Pessac, ni de documentariste, bien qu’il utilise nombre de documents anciens. Il s’est attaché à interroger les derniers survivants, pour partie restés en France, pour partie retournés au Viet Nam.
Ces témoignages font remonter un passé enfoui que ces vieux messieurs livrent tantôt avec résignation, tantôt avec colère. Ils témoignent aussi des divisions idéologiques qui les ont traversés bien que le film ne les explicite guère : pour la plupart illettrés au départ, ils s’attachèrent à s’instruire, ils découvrirent les syndicats ; ils furent témoins des vifs débats qui opposèrent staliniens et trotzkystes, malgré lesquels, au congrès d’Avignon de décembre 1944, fut constituée la Délégation Générale des Indochinois qui réunissait aussi étudiants, intellectuels et tirailleurs. En juin 1946, c’est la visite de Hô Chi Minh en France. Le ralliement des
công binh au Viet Minh fut la source de troubles et les rendit indésirables pour les autorités françaises. Mais il faut savoir que les derniers rapatriements ont eu lieu en 1952 seulement, et que ceux qui revenaient après tant d’années d’éloignement furent souvent considérés comme des traîtres et n’ont jamais été indemnisés.
Œuvre assumée comme subjective, le film emprunte à des formes artistiques originales : musique vietnamienne, création originale du Théâtre national de marionnettes sur l’eau de Hanoi exprimant le point de vue populaire (pour autant, Công Binh n’est pas diffusé au Viet Nam). Qualifiant cette odyssée de « tragédie », Lam Lê évite pourtant la dénonciation véhémente. Tout est en demi-teintes et il déclare lui-même que « la mentalité vietnamienne, avide de modernité, a tendance à gommer le passé ». Même si les témoignages les plus durs sont énoncés avec le sourire, on lui sait gré d’avoir fait remonter ce passé peu glorieux à la surface et son film est une incitation à se documenter sur cet épisode colonial singulier.

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Notes de bas de page
1 L’auteur vient d’ouvrir le site www.immigresdeforce.com qui donne un utile agenda des manifestations liées au livre comme au film, dont une exposition.
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