J’ai regardé le film Pierre Laval, diffusé sur FR3 le 2 novembre, dont les dialogues ont été écrits par Jacques Kirsner. Je dois dire qu’il m’a d’abord laissé un sentiment de malaise : ma famille a beaucoup souffert de l’oppression fasciste. Mon oncle est tombé dès les premiers mois d’existence de la résistance, mon père, responsable de réseau dans la région de Besançon a été déporté résistant, marqué Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard). Il a gardé jusqu’à la fin de sa vie des séquelles psychologiques et de santé physique. Il n’a pu commencer à parler de la déportation que 20 ans après.
Jacques Kirsner écrit :
« Nous sommes ici devant une très rare configuration : le personnage principal de ce film a été l’homme le plus haï des Français. Mais, même si son action gouvernementale a eu d’effroyables conséquences, il n’est pas antipathique, il essaie de rouler son monde et y parvient, car il est sans approche idéologique. La mise en scène doit montrer ce trait de personnalité, sans pardonner ses roueries. »
Le film a effectivement cette qualité, non seulement il ne rend pas le personnage de Laval antipathique, mais en plus il pourrait finir par inspirer de la compassion pour cet homme qui ne bénéficie pas comme tout accusé d’une instruction régulière et qui meurt en criant « vive la France » face au peloton d’exécution. De plus la qualité des dialogues sont servis par une interprétation magistrale de Patrick Chesnais qui déclarait à France Info :
« Je n’essaie pas ni de le réhabiliter, ni de l’enfoncer, j’essaie de mettre en scène ce personnage avec ses contradictions, ses ambiguïtés, ses erreurs… »
Ce malaise peut être l’impression première, lorsqu’on se sent profondément marqué par une histoire familiale. L’air du temps est à la réhabilitation de la collaboration. Un président Macron qui salue Pétain « ce grand soldat ». La marionnette Zemmour, intellectuel juif d’extrême droite pour diviser l’extrême droite et assurer un fauteuil présidentiel à Macron, afin qu’il puisse poursuivre ses « réformes » contre le salariat et la jeunesse, contre ces acquis, contenus dans le programme du CNR, et qui étaient le produit de la montée prolétarienne de l’après 1945. Alors entrons dans la complexité des problèmes que pose ce film, car ils nous concernent aujourd’hui. Quelques pistes de réflexion.
Le pacifisme entre les deux guerres
Le film souligne l’état d’esprit d’une époque qui ne veut pas entendre parler d’une nouvelle guerre : qui n’a pas dans sa famille un père, un fils, un oncle tué ou supportant les conséquences de blessures à vie ? Toute la vie politique est marquée par le carnage de 1914-1918. L’état d’esprit pacifiste traverse tous les partis. Laval vient de l’extrême gauche, il milite un temps dans l’héritage d’Edouard Vaillant, le communard, et du blanquisme ; après de brillantes études de droit il deviendra « l’avocat des pauvres », pour le compte de la CGT, puis il est élu maire d’Aubervilliers et parlementaire de la Seine, ensuite du Puy de Dôme. Il sera membre de la SFIO durant 20 ans, pacifiste, à une époque où ce courant traverse tous les courants de la social-démocratie. On se souvient de ces instituteurs syndicalistes revenant du feu, Marceau Pivert en est le prototype, défendant déjà les nouvelles pédagogies éloignées du dogmatisme de l’enseignement à la Jules Ferry et qui marqueront à la fois le profil du syndicalisme enseignants et les partis ouvriers. Au congrès de Paris de la SFIO en juillet 1933, alors qu’Hitler vient d’être appelé au pouvoir le 30 janvier, Léon Blum découvre « épouvanté » qu’une composante importante de la maison socialiste – menée par le brillant Marcel Déat – car il l’était – n’est-il pas pressenti pour être son dauphin ? – s’oriente vers le fascisme. La gauche du parti autour de Jean Zyromski et Marceau Pivert fait campagne contre les « néo-socialistes ». Ils sont chassés du parti. Jacques Doriot, maire de Saint Denis et membre de la direction du PCF, avait après le 6 février 1934 combattu contre la ligne sectaire de la IIIe Internationale, pour l’unité antifasciste. Il sera le constructeur du PPF (Parti Populaire Français), combattant acharné contre le judéo-bolchevisme, il part avec la Légion de Volontaires Français sur le front est et il sera tué sous l’uniforme allemand.
Dans l’entretien radiophonique, Jacques Kirsner souligne que Georges Mandel fut le seul homme politique sur l’échiquier parlementaire de la droite à la gauche, qui annonça dès la parution de Mein Kampf, « les pires catastrophes pour le monde, l’Europe et les juifs ». Il faut ajouter que même les opposants sur le terrain du mouvement ouvrier révolutionnaire à la ligne du pacte germano-soviétique, le PSOP de Marceau Pivert, les trotskystes perdront la boussole. Après l’assassinat de Trotsky une majorité dans les sections de la IVe Internationale, surtout le SWP américain, reprendra la ligne du défaitisme révolutionnaire, faisant un copier/coller des positions de Lénine dans la première guerre mondiale. Trotsky dans ses derniers textes avait expliqué à ses jeunes camarades que le prolétariat, dans une période de militarisation de la société, allait devoir combattre le fascisme militairement avec ses propres méthodes, avec des officiers issus du mouvement ouvrier et des syndicats : la politique militaire prolétarienne…
« Je souhaite la victoire de l’Allemagne… »
Le président du tribunal, qui était magistrat sous le gouvernement de Vichy, donc sous les ordres du garde des sceaux des deux gouvernements Laval, accuse Laval en citant la phrase célèbre prononcée le 22 juin 1942 : « Je souhaite la victoire de l’Allemagne… ». Je ne sais pas si le dialogue écrit par Jacques Kirsner recoupe exactement les minutes du procès. On peut imaginer que le redoutable polémiste qu’était Laval aurait pu le mettre en demeure de citer la phrase dans sa totalité : sans la victoire militaire de l’Allemagne nazie, c’est Europe entière qui passera sous la coupe du bolchévisme. Le fond de la politique de Laval c’est l’anticommunisme, l’antisémitisme pour lui n’est qu’un dégât collatéral. Il n’hésitera pas d’ailleurs à déporter les enfants juifs. La question de l’antisémitisme pour lui est secondaire : on le voit dans le film écarter un vieux débris pétainiste qui lui dit en substance : il faut virer les juifs et les métèques. Ou encore face à Pétain qui réclame de révoquer les enseignants d’origine juive pendant un conseil des ministres, Laval répond : il faut du temps pour former des maîtres. Si la machine de guerre nazie ne remporte pas la victoire, c’est la révolution prolétarienne qui vaincra à l’échelle de l’Europe. Voilà le fond de sa politique.
« Il y a deux politiques possibles »
La discussion imaginée avec Adrien Marquet lors d’un déplacement en voiture à Vichy est une scène centrale du film. Marquet est maire de Bordeaux, fondateur en 1933 du courant néo-socialiste dans la SFIO avec Marcel Déat et Gilbert Montagnier. Il s’insurge contre De Gaulle, le traître, condamné à mort par coutumace et Laval lui rétorque : « il n’y a que deux politiques celle de De Gaulle et la mienne, si j’échoue je serai fusillé. » Autrement dit dans les deux cas il s’agit de sauver l’Etat bourgeois mais en partant d’un point de vue différent. Laval fait le pari de la victoire militaire de l’Allemagne nazie et dans l’Europe brune des dictatures fascistes, l’Etat bourgeois français doit gagner sa place et sauver son empire colonial. Le film rappelle le pacte franco-soviétique de 1935 signé après les négociations Laval-Staline : en un nuit le PCF qui avait alors une politique antimilitariste dans la tradition du mouvement ouvrier, tourne à 180°. L’Humanité titre : Staline a raison ! et la ligne éditoriale met en demeure d’appliquer la ligne. Les militants communistes sont laissés à leur désespérance. Plus tard les communistes grecs, poussés par le mouvement partisan contre les nazis, oseront poser la question d’une Constituante et du socialisme. Staline les abandonnera à la répression de l’impérialisme britannique… Churchill va s’enorgueillir d’avoir écrasé grâce à Staline un « trotskysme nu et triomphant » à Athènes.
De Gaulle choisit la voie de la résistance à Hitler, ce qui pour Laval « ne manque pas de panache », et ce général, maurrassien de formation, va donc aller chercher des alliés sur sa gauche. Le fond de sa politique c’est aussi l’anticommunisme et la défense de l’empire colonial sur lequel l’impérialisme anglo-américain veut mettre la main. Le coup de poker de génie c’est la constitution du CNR (Conseil National de la Résistance) en mars 1944, sous l’autorité contestée du préfet Jean Moulin. En choisissant comme chef de la résistance intérieure un ancien préfet du Front Populaire, De Gaulle se situe dans la continuité même du bonapartisme. La continuité de l’Etat c’est le corps préfectoral. L’opération CNR vise à accrocher au char du gaullisme le PCF, la CGT, le Front National d’obédience PCF, les réseau FTP paramilitaires. En décembre 1944 il rencontre Staline, il va chercher l’accord du PCF. Lorsque le nouveau tzar du Kremlin renvoie Thorez en France, il lui souffle dans l’oreille : « pas de sottises, il faut soutenir De Gaulle » (Cité par Pierre Juquin dans sa biographie de Louis Aragon).
Laval jugé par des hauts magistrats pétainistes !
Laval est jugé par des magistrats qui ont appliqué la politique des deux gouvernements que lui a présidé, qui ont fait dresser des bois de justice, comme on le dit en termes judiciaires à propos de la guillotine, et fait exécuter des résistants ou qui les ont livrés à la police nazie. Les otages de Chateaubriant ont été gardé par des gendarmes tout ce qu’il y a de plus français n’est-ce pas ! Laval s’adresse à ceux-là qui ont été ses subordonnés, c’est insoutenable ! le président du tribunal tape du maillet et ajourne les débats ! Dans l’interview Jacques Kirsner ajoute :
« Certains osent dire que Pétain a défendu les juifs français, mais le président du tribunal qui a jugé Pétain et Laval a participé à une commission de dénaturalisation. 6 000 juifs français vont être dénaturalisés, donc devenir étrangers. Le pétainisme c’est la lutte contre les juifs quelle que soit leur nationalité. »
De Gaulle a concentré ses coups sur quelques têtes : il fallait faire quelques exemples significatifs et ensuite passer à l’ordre du jour. Le fait que le procès de Laval n’a pu être instruit jusqu’au bout était déterminé par le souci de s’appuyer sur les hauts fonctionnaires et l’appareil judiciaire pour reconstruire l’Etat bourgeois, avec le lieutenant Thorez qui tiendra les ouvriers.
L’Eglise catholique soutient Vichy
Dans la séquence historique que nous sommes en train de vivre, on voit Macron et son régime, son haut fonctionnaire Sauvé, oser proposer un financement public pour les crimes de pédophilie que la hiérarchie de l’église a couvert dans l’histoire récente. A-t-on oublié aussi que celle-ci a soutenu le régime de Pétain ? Le cardinal Gerlier, primat des Gaules, déclarait le 19 novembre 1940 : « Car Pétain, c’est la France et la France, aujourd’hui, c’est Pétain ! » L’Eglise soutient l’école d’Uriage, lieu de formation des futurs cadres de la révolution nationale, elle contribue même à la fonder sur la ligne du corporatisme chrétien. Quelques-uns de ses intellectuels, comme le philosophe Emmanuel Mounier, y participeront puis s’en écarteront face aux mesures antisémites prises par le régime. Lorsque Laval crée la milice du sinistre Darnand qui sera beaucoup plus efficace que la Gestapo car ses hommes connaissaient le terrain et les réseaux, la hiérarchie nomme des aumôniers à la milice. Elle refusera jusqu’au bout de nommer des aumôniers aux maquis : les prêtres qui choisiront la désobéissance le feront en conscience et des curés de paroisse baptiseront les enfants juifs pour les sauver. Je ne l’oublie pas non plus !
En conclusion, un film qui ouvre bien des pistes de réflexion…
A la question que lui pose le journaliste de RJC : n’avez-vous pas peur que ce film, à travers l’image qu’il donne de Pierre Laval, soit utilisé pour réhabiliter la collaboration, Jacques Kirsner répond :
« c’est la publicité accordée à un petit juif néo-pétainiste, qui permet d’aborder ces questions de manière extrêmement tendancieuse, bref révisionniste. Vous savez c’est Emmanuel Berl qui le premier a écrit les discours du maréchal Pétain, vous m’entendez Emmanuel Berl était un écrivain juif , extrêmement talentueux. La petite chose sans talent que j’évoque [Zemmour] se permet de réviser la réalité… »
« …C’est parce qu’on regarde la réalité, qu’on est mieux armé pour la combattre »