C’est un pari très osé qu’ont tenté deux journalistes, Annabelle Perrin et François de Monès : lancer un nouveau média papier au cours de l’année 2021 autour d’une idée, celle de la disparition, avec dans un coin de la tête la référence à Georges Perec. Animés par le « désir d’inventorier », leur manifeste proclame : « Des milliers d’espèces vivantes qui disparaissent. Les usines françaises qui disparaissent. Nos libertés fondamentales qui disparaissent. La liste de ces disparitions s’allonge de jour en jour. C’est comme ça qu’est né notre média. De l’envie de chroniquer, de raconter et d’inventorier ces disparitions. Sans vision nostalgique aucune, très loin du « c’était mieux avant » réactionnaire, mais pour dresser le bilan d’un monde qui est en train de disparaître pour laisser place à un autre. »
S’appuyer sur la matérialité du papier
Mais quelle forme donner à un média qui veut évoquer les disparitions ? Un mode de communication lui-même en voie de raréfaction : la lettre. Cette merveilleuse trouvaille est sans doute la plus grande qualité de La Disparition : il s’agit d’un média épistolaire dans lequel un journaliste, un auteur ou une autrice s’adresse à nous directement pour nous raconter une disparition. La lettre bimensuelle est accompagnée d’une carte postale qui illustre le contenu de la lettre, ainsi que d’un strip de BD qui fait écho au sujet de la disparition évoquée, une carte de visite qui présente l’auteur, un nota bene des fondateurs et enfin, une grille de mots croisés.
S’inscrivant dans la veine du journalisme narratif qu’on peut par exemple lire chez XXI, les sujets à la Disparition sont traités notamment sous la forme d’enquêtes de terrain, ce qui permet aux lecteurs et lectrices d’approcher de manière plus sensible les problématiques abordées. Du côté des thèmes, on retrouve bien évidemment des disparitions liées à la dégradation de l’environnement et des écosystèmes (en l’occurrence celle de l’arbre Dragon sur l’île de Socotra), des disparitions liées au développement du capitalisme (celle annoncée de chauffeurs routiers aux États-Unis, qui seront peut-être remplacés par des camions autonomes), mais aussi des disparitions conceptuelles, comme celle de l’idée de l’intégration. Par ailleurs, les disparitions racontées peuvent être réelles ou fictionnelles. Concernant les auteurs, les lettres alternent entre journalistes (dont Julien Brygo, journaliste pour Le Monde diplomatique(1)Et auteur du livre Boulots de merde ! évoqué dans un précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica/de-la-multiplication-des-jobs-a-la-con/7402934, qui signe pour La Disparition une lettre remarquable sur la disparition de la grève à Dunkerque après la réforme de 1992 qui a mis fin au statut conquis par les dockers) et des autrices déjà distinguées comme Corinne Morel-Darleux ou Lucie Taïeb.
La démarche du média se double d’une volonté de recréer du lien. En plus de s’abonner (https://ladisparition.fr/boutique/), il est possible d’adhérer au club des disparus volontaires, pour entreprendre une correspondance avec un autre disparu ou participer à des randonnées organisées par le média, basé à Marseille. Précisons enfin que ce média est sans publicité et indépendant, financé par ses lecteurs et lectrices.
Alors, si recevoir des lettres vous manque et que vous avez envie que l’on vous raconte la marche actuelle du monde sous une forme nouvelle, n’hésitez pas à vous abonner à La Disparition !
Notes de bas de page
↑1 | Et auteur du livre Boulots de merde ! évoqué dans un précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica/de-la-multiplication-des-jobs-a-la-con/7402934 |
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