Au début du mois de mai dernier, les audiences de la chaîne d’information CNews ont pour la première fois dépassé celles de leur concurrente, BMF-TV. Ce cap symbolique est le résultat d’une nouvelle ligne éditoriale entamée en 2016, portée par la mise avant d’éditorialistes et de chroniqueurs comme Eric Zemmour classés à droite ou à l’extrême-droite. Avec son émission vedette « L’Heure des pros », la chaîne s’est spécialisée dans les débats d’opinion et les clash (ce qui lui vaut d’être régulièrement l’objet de signalements auprès du CSA) délaissant la production d’informations. Surtout, la chaîne, considérée comme la Fox News française, contribue à la droitisation des idées dans notre pays et on en finit plus de relever les sorties toujours plus choquantes des chroniqueurs qui dans cette surenchère banalisent les opinions les plus droitières.
Europe 1 est en train d’être reprise en main par Vincent Bolloré
Le même sort que CNews (ex i-Télé) menace désormais Europe 1 dont les salariés se sont mis en grève durant cinq jours à partir du vendredi 18 juin, pour la première fois de l’histoire de la chaîne. Rappelons que Vincent Bolloré est le propriétaire de CNews via la groupe Canal +, en plus d’avoir impulsé un virage droitier à la chaîne d’information, il a également totalement enterré l’âme de Canal +, en mettant notamment fin aux Guignols de l’info. La chaîne de radio Europe 1 était historiquement détenue par le groupe Lagardère, mais comme Vincent Bolloré détient également 27 % du capital de ce groupe, il peut désormais étendre son influence dans l’univers radiophonique. C’est la mise à pied du journalise Victor Dhollande qui a déclenché le mouvement de grève, suivie largement par les salariés d’Europe 1. Ces derniers réclamaient la mise en place d’une clause de conscience leur permettant de quitter le média avec une indemnité. Plus généralement, les salariés sont inquiets de la tournure de la chaîne qui va prochainement coproduire des contenus avec CNews. La nomination en septembre dernier de Louis de Raguenel qui a fait ses armes à Valeurs actuelles à la tête du service politique avait déjà suscité la défiance de la rédaction. Les salariés de la radio ont finalement repris le travail mercredi après une rencontre avec Constance Benqué (la présidente de Lagardère News) qui a semblé ouvrir la voie à « une disposition pour que les journalistes qui le souhaiteraient puissent partir dans des conditions financières à définir. » Mais sur le fond, les discussions confirment le changement de ligne éditoriale et les salariés se préparent à des actions communes pour protester contre la fin de l’indépendance de la chaîne.
À Hong-Kong, Apple Daily a sorti sa dernière édition
Le combat pour l’indépendance des médias, vis-à-vis des grandes puissances financières, tout comme du pouvoir, a connu une lourde défaite cette semaine avec la fermeture du journal hong-kongais Apple Daily, acculé par le régime chinois.
Depuis l’entrée en vigueur de la « loi sur la sécurité nationale » imposée par le régime chinois à Hong-Kong il y a un an, toutes les formes de résistance ont été durement réprimées, mettant fin à l’exception démocratique qui régnait sur l’île et au principe d’« un pays, deux systèmes » censé duré jusqu’en 2047. Jimmy Lai, figure de proue du mouvement prodémocratie et l’une des rare voix critique envers le régime de Pékin, subit depuis un acharnement de la part des autorités chinoise. Arrêté en décembre 2020, le magnat de la presse, propriétaire du quotidien Apple Daily via son groupe Next Digital Limited, a été condamné en avril dernier à douze et huit mois de prison pour son rôle dans l’organisation en 2019 de deux manifestations en faveur de la démocratie. Puis en mai, ses avoirs personnels (qui servaient régulièrement à renflouer les caisses du quotidien) ont été gelés. Les autorités ont ensuite visé directement le journal en arrêtant le 17 juin, avec le concours de 500 policiers, ses cinq principaux dirigeants dont le directeur général du groupe de presse Next Digital et le rédacteur en chef d’Apple Daily, toujours dans le cadre de la loi sur la sécurité nationale (ils sont « soupçonnés d’avoir conspiré en vue de complot avec des forces étrangères » du fait de l’écriture d’articles antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi). Les jours du journal, fondé en 1995 et qui avait soutenu le mouvement des parapluies en 2014 et les mouvements d’opposition en 2019, étaient comptés. L’arrestation de ses dirigeants et surtout le gel des actifs du journal a contraint la rédaction à annoncer sa disparition. La dernière édition est parue jeudi 24 juin, tirée à nombre record d’un million d’exemplaires. Une nouvelle et dernière fois, les Hongkongais ont marqué leur attachement au journal en allant déposer des fleurs devant le siège du journal et en faisant la queue toute la nuit pour acheter le dernier numéro. Apple Daily avec un tirage habituel modeste (80 000 exemplaires) était le dernier journal critique du régime de Pékin. Les autorités ont d’ailleurs commencé à censurer les collections du journal des bibliothèques de Hong-Kong, ainsi que les ouvrages de Jimmy Lai.
Ces deux récents événements montrent que la liberté de la presse est un combat ô combien d’actualité. Avec la prochaine élection présidentielle qui s’annonce, les grandes puissances et le capital s’organisent pour promouvoir leurs idées et leurs candidats. Face à cela, il faut que la résistance s’organise ! L’indépendance des médias est bien abîmée dans notre pays, comme le montre très bien l’infographie réalisée par le Monde diplomatique et Acrimed qui fait le point notre paysage médiatique. Dans ce contexte, nous vous invitons encore une fois à soutenir la démarche et le projet de ReSPUBLICA qui visent à faire exister une autre ligne politique pour œuvrer à la mise en place de la République sociale ! Nous préparons par exemple de nouveaux articles sur le sujet de la démocratie pour la rentrée prochaine. En attendant, vous pouvez toujours participer à notre collecte sur KissKissBankBank qui s’achèvera dans deux semaines.