Les Jeux olympiques et paralympiques : parenthèse enchantée pour des lendemains désenchantés ?

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D’un avis presque unanime, l’organisation des JO de Paris 2024 a été une réussite saluée en France et par une grande partie des médias internationaux. Ne boudons pas notre plaisir : les athlètes français nous ont fait vibrer et cette réussite nous permet, momentanément, d’être fiers du regard extérieur sur nous. Comme exemple de fierté, citons cette athlète étasunienne qui s’est enthousiasmée de la gratuité des soins. Précisons que contrairement à la doxa, cette gratuité n’est pas un cadeau d’un État « providence », mais le résultat de conquêtes sociales obtenues par les luttes qui ont édifié un État de droit social. C’est un bel hommage à notre République qui se veut sociale, qui l’est de moins en moins, hommage qui ne doit pas faire oublier l’état de délabrement programmé et progressif de nos hôpitaux en particulier et ne pas faire oublier que l’égalité d’accès à des soins de qualité quelle que soit notre situation de fortune est remise en cause.

Le retour du réel après

Après cette réussite globale des JO, le réel frappe à la porte. Les questions sociales comme le recul de l’âge de départ à la retraite, la baisse du pouvoir d’achat, l’expression politique, qui à 70 % a exprimé la volonté de tourner la page du macronisme, autant de réalités invisibilisées le temps des JO, reviennent sur le devant de la scène. Il faudra bien tirer les conséquences de décennies de politiques de désindustrialisation, de dégradation des services publics, de désertification dans ce qu’il est convenu de nommer la diagonale du vide qui s’élargit, de soumission aux règles incompréhensibles décidées en comité restreint à Bruxelles, d’une dette colossale détenue par les marchés financiers étrangers, de la diminution du nombre d’exploitations agricoles avec un modèle en crise, de la destruction de milliers d’emplois dans le BTP, des PME, TPE et micro-entreprises en grandes difficultés avec 63 025 en dépôt de bilan voire en faillite et d’une productivité en panne…

Les JO, une tribune politique

En voici quelques exemples(1)Sources : Ça m’intéresse Histoire n° 85, article de Gabin Morin. :

1928, Spartakiades en Union soviétique : L’Union soviétique organise une compétition mondiale pour tous les sportifs proches de l’idéologie communiste, du moins telle que la conçoit le pouvoir stalinien. C’est une référence à Spartacus, qui a voulu le respect de l’humanité pour tous les êtres humains et notamment les esclaves dans l’Antiquité romaine.

1932, Les Maccabiades : C’est une organisation sportive, de fait non universelle contrairement aux objectifs de mouvement olympique, réservée aux athlètes de confession juive.

1936, Berlin : C’est le triomphe de la propagande nazie pour assurer la « respectabilité » du régime totalitaire. Pour ce faire, les affiches antisémites sont enlevées. C’est à l’occasion de ces Jeux que Hitler, voulant présenter une filiation avec la Grèce antique, fait pour la première fois transporter la flamme de l’Olympe vers le pays organisateur.

1936, Barcelone, Olympiades populaires annulées : En protestation des JO de Berlin, une compétition olympique fondée sur le l’antifascisme et le pacifisme devait être organisée. La Guerre d’Espagne, prélude à la Seconde Guerre mondiale, provoquera son annulation.

1968, Mexico : Au moment de l’hymne américain, les champions étasuniens Tommie Smith et John Carlos baissent la tête et lèvent le poing ganté pour montrer leur soutien au mouvement antiségrégationniste de lutte pour les droits civiques. Avery Brundage, président américain du CIO et connu pour son racisme, obtient l’interdiction définitive de toute inscription de ces deux athlètes aux JO à venir.

1972, Munich : Dans le contexte du conflit israélo-palestinien, le groupe terroriste palestinien « Septembre noir » tue deux athlètes israéliens, prend en otages neuf personnes parmi la délégation et finit par les abattre.

1980, 1984, Guerre froide : Lors des JO de Moscou en 1980, sur fond d’intervention soviétique en Afghanistan, les États-Unis organisent le boycott limitant à 80 le nombre de pays participants. C’est là que Georges Marchais, secrétaire général du PCF, tournant le dos à la ligne d’ouverture des années 1970 vers un « socialisme à visage humain », proclame, contre les faits, « le bilan globalement positif » du socialisme soviétique. Voulant rendre la monnaie de la pièce, les Soviétiques appellent au boycott des Jeux de Los Angeles en 1984.

2024, Paris : Zakia Khudadadi a fait partie de la délégation des réfugiés à Paris 2024. N’ayant pu obtenir la nationalité française à temps, elle n’a pu participer sous les couleurs de la République française. Elle n’a pas hésité à défendre la cause des Afghanes réprimées et opprimées par le pouvoir islamique des Talibans en brandissant un drapeau sur lequel s’affichait « Libérez les femmes afghanes. »

L’Olympisme et le féminisme

Il est de notoriété publique que Pierre de Coubertin, malgré des proclamations humanistes(2)Sources CIO : « Il n’appartient ni à une race ni à une époque de s’en [L’Olympisme] le monopole exclusif » ; le sport « est pour tout homme une source de perfectionnement interne éventuel non conditionnée par le métier »., demeura fermement opposé à la participation des femmes à des compétitions de haut niveau. Il dut, malgré tout, accepter, sous sa présidence, la participation des femmes aux compétitions olympiques. Cette réticence à l’égard de la participation des femmes conduisit à l’organisation des « Jeux mondiaux féminins » en 1922, à Paris, leur ouvrant de multiples autres disciplines sportives que dans les JO.

De quelques controverses souvent injustifiées

La Cène de Léonard de Vinci ou un tableau de Dionysos ?

La déclaration faite à France Bleu RCM, de Mgr François-Xavier, Cardinal Bustillo, évêque de Corse sur la Cérémonie d’ouverture des JO est édifiante pour confirmer que c’est un mauvais procès fait aux organisateurs : « Je comprends tout à fait que certains chrétiens aient pu se sentir offensés, Quand on touche au religieux, on touche à l’intime. J’ai écouté l’auteur de la scène. Il ne pensait pas à la Cène de Léonard de Vinci, mais à une scène mythologique, celle de Dionysos. Il faut partir de la source. C’était la fête païenne, la fête du vin, l’Olympe, les dieux. Après, chacun peut faire son interprétation. Il n’est pas sain de vivre et de s’installer dans des polémiques incessantes. » Les JO ayant pour référence la Grèce antique, il n’est pas incongru de s’appuyer sur la mythologie. Ce qui est incongru est de manipuler l’opinion pour engager une vaine polémique qui n’avait pas lieu d’être.

Marie-Antoinette tenant sa tête dans les mains

L’effet provocateur et osé est certain. Il n’est pas question de s’apitoyer, par pur anachronisme, sur le sort réservé à la reine de France qui fut le symbole de l’absolutisme, peut-être plus que Louis XVI, du refus du changement. En revanche, si la volonté était d’évoquer l’origine révolutionnaire de la République française, d’autres événements marquants et fondateurs auraient été mieux venus comme le Serment du Jeu de Paume qui institue le tiers État en tant que peuple, la Nuit du 4 août avec l’abolition des privilèges, l’abrogation de l’esclavage par la Convention, le tableau de Delacroix avec La Liberté guidant le Peuple… Mettre en avant Marie-Antoinette, n’est-ce pas un désir de réduire la Révolution aux seuls aspects violents en occultant tous les aspects positifs bien plus prégnants ?

Le rappeur JUL, un des porteurs de la flamme olympique, complaisance coupable ?

Il est notoire que la presse fasse preuve de complaisance à l’égard du rap français dans ses propos misogynes, homophobes, antiflics… Demander au rappeur Jul de porter la flamme olympique à Marseille, alors qu’en 2014 il osait chanter « Te déshabille pas, j’vais te violer » était singulièrement inopportun (euphémisme). Le rapport avec les valeurs universalistes du mouvement olympique est difficile à établir.

De l’inclusivité et de la laïcité

Visiblement, l’accent était mis sur l’inclusivité, la mise en lumière des différents modes de vie. Cela peut choquer certains. Pourtant, en dehors des dérives intersectionnelles, wokistes, féministes non universalistes, cela correspond à l’un des principes d’une République laïque qui se refuse à définir ce que serait « la vie bonne ». C’est à chacun de la choisir dans les limites de l’ordre public.

Les Jeux paralympiques relèvent également d’une logique d’inclusivité bienvenue. Nous pouvons nous interroger sur le décalage entre les JO et les Jeux paralympiques. Ne serait-il pas envisageable d’organiser une ouverture et une clôture communes aux deux événements ? Ce que demandent les athlètes handicapés n’est pas d’être considérés comme des super héros, mais des êtres humains sans compassions inutiles. Ces Jeux paralympiques révèlent une faille majeure qui entrave l’autonomie des personnes handicapées : la difficulté d’accès comme le métropolitain bien mal équipé.

De l’esprit « gagneur » et son pendant le « perdant »

Il serait sain de méditer sur cette réflexion prononcée par Albert Jacquard sur France culture en 2007 :

J’aimerais lutter contre cette idée qu’il faut être un Gagnant. Qu’est-ce qu’un Gagnant ? C’est un fabricant de perdants. Et je n’ai pas le droit de fabriquer des perdants. Par conséquent il faut, dans toutes les structures et en particulier à l’École, dire aux enfants : « J’espère que tu ne seras ni un gagnant, ni un perdant. J’espère que tu vas dépasser cette idée d’un palmarès qui n’existe pas. ». Un palmarès, c’est absurde. En tant que biologiste, et même mathématicien, je sais que vouloir rétablir un palmarès, c’est aller contre la logique. Je ne suis pas meilleur que vous. Je peux être plus grand, plus petit, plus rapide… mais pas meilleur que vous, globalement. Je suis différent et par conséquent, il faut dire aux enfants : « Ne sois jamais premier. N’accepte pas une Société raisonnant comme ça, car elle serait stupide. » C’est d’ailleurs pour ça que je lutte contre la Formule 1. C’est magnifique que Renault ait gagné. Mais réfléchissez, c’est ridicule… Pourquoi faut-il dépenser tant d’argent pour tourner en rond le plus vite possible ? 

Une telle pensée, évidemment, va à l’encontre de la doxa du capitalisme financier, individualiste, libéral-libertaire et oligarchique pour laquelle seule compte la concurrence qui, surtout, ne doit pas être limitée par des conquêtes sociales inscrites dans le Code du travail et par des enjeux d’intérêt général que devraient représenter, promouvoir et défendre un État.

Malgré ces réserves, félicitations à tous athlètes, hommes, femmes, handicapés pour leurs résultats obtenus grâce à des années d’abnégation, de sacrifices. C’est leur choix légitime, mais ne tombons pas dans le travers présidentiel qui en profite pour justifier tous les sacrifices, toutes les remises en cause des conquis sociaux.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Sources : Ça m’intéresse Histoire n° 85, article de Gabin Morin.
2 Sources CIO : « Il n’appartient ni à une race ni à une époque de s’en [L’Olympisme] le monopole exclusif » ; le sport « est pour tout homme une source de perfectionnement interne éventuel non conditionnée par le métier ».