Les racines théologico-politiques de l’extrême droite américaine du XXIe siècle

You are currently viewing Les racines théologico-politiques de l’extrême droite américaine du XXIe siècle

Cet article a pour vocation de présenter les racines théologico-politiques de l’extrême droite américaine du XXIe siècle, il n’est donc pas un article sur la campagne présidentielle en cours, au sujet de laquelle il y a beaucoup à dire. Un autre article sera publié courant octobre pour parler de la campagne aux États-Unis et des protagonistes, Kamala Harris et Donald Trump.

Combien de commentateurs disent et redisent qu’il y a une poussée mondiale des extrêmes droites ? Suffit-il de les croire pour s’y opposer sérieusement ? Sûrement pas. Car si le constat est juste, se tromper sur les causes et refuser de les combattre efficacement suffisent à ces extrêmes droites pour prospérer et induire dans tous les pays où elles sont au pouvoir l’union de toutes les droites sous l’hégémonie d’une nouvelle extrême droite. L’existence d’une gauche qui se dit contre l’extrême droite ne suffit pas, encore faut-il que cette gauche réponde aux conditions structurelles d’une victoire possible contre l’extrême droite dans la séquence considérée. Ce n’est malheureusement pas le cas et les occasions d’un débat stratégique sérieusement argumenté à gauche ne sont pas fréquentes ! Tout au plus s’est développée l’écoute des vidéos des « élites politiques », comme si tout procédait du « génie » d’hommes ou de femmes exceptionnels qu’il suffisait de suivre sans débattre des causes qui produisent des effets que nous constatons, sans théoriser les enseignements de l’histoire, de l’économie, de la lutte des classes, des différentes hégémonies culturelles, du rapport des hommes à son écosystème du vivant, qui s’imposent à nous.

Ainsi prolifère à gauche depuis 1983 l’esprit de déception d’avoir suivi tel ou tel dirigeant qui a « trahi » sans jamais se remettre en question sur les causes de cette « trahison ». Ainsi, à force de jouir des causes qui produisent les effets qui sont condamnés par les mêmes… on ne lutte pas contre le système, mais on attend le dernier moment pour faire un barrage à… l’extrême droite ! Et quand l’extrême droite progresse en nombre de députés de près de 64 % en deux ans (entre 2022 et 2024) pour devenir le premier parti de l’Assemblée nationale en France et que l’extrême centre, une des causes principales de la montée de l’extrême droite, garde le pouvoir sur l’État grâce aux voix de gauche, il y a encore des gens qui appellent cela une victoire de la gauche en oubliant que cette dernière ne représente que 30 % des inscrits, soit 20 % du corps électoral au maximum… en attendant le prochain barrage des « castors ».

Quelle nouvelle progression de l’extrême droite et d’austérité répressive de l’extrême centre sur la classe populaire ouvrière et employée et sur la partie des couches moyennes précarisées faudra-t-il pour que les directions actuelles des organisations politiques de gauche, la bourgeoisie intellectuelle des métropoles et de leurs banlieues, comprennent qu’ils font fausse route en n’ayant comme action concrète que le barrage dit « républicain » dans les dernières semaines d’une élection en attendant la prochaine ? Il suffirait pourtant de lire l’excellent article de l’historien Johann Chapoutot paru en août 2024 dans le Monde diplomatique intitulé « Anatomie d’une décomposition politique : Hitler, les dessous d’une prise de pouvoir » pour voir une analogie avec la séquence actuelle. Il faut donc pour éviter cette spirale dévastatrice changer la ligne stratégique de la gauche actuelle.

Comprendre la poussée de l’extrême droite aux États-Unis

Dans notre campagne « ReSPUBLICAine » pour une nouvelle hégémonie culturelle, nous allons vous présenter la pensée hégémonique qui a supplanté la vielle idéologie du vieux parti républicain aux États-Unis dans le Parti républicain américain d’aujourd’hui et qui place Donald Trump comme possible vainqueur pour la Maison-Blanche. Vous y verrez de nombreuses analogies avec ce qui s’est passé dans de nombreux pays européens et qui est en cours dans plusieurs autres. Vous comprendrez pourquoi nous disons que la gauche actuelle en France doit changer de ligne stratégique, devenir une gauche de gauche pour pouvoir s’opposer efficacement aux trumpistes français !

En fait, Donald Trump est un « passeur » de témoin pour la jeune génération de l’extrême droite américaine moderne du XXIe siècle. Âgé de 78 ans, il prend un colistier, J.D. Vance, qui a la moitié de son âge. Mais il ne prend au dépourvu que ceux qui savourent les médias dominants du bloc bourgeois français. Car pour les autres, il suffit d’écouter ou de lire Josh Hawley, 44 ans, ancien élu comme procureur général du Missouri puis sénateur du même État, par exemple, à la 4e édition de la National Conservatism Conference, créée par l’Institut Edmund Burke, qui s’est tenue du 8 au 10 juillet 2024. Ce rassemblement regroupe la nouvelle génération des néonationalistes américains, celle qui renouvelle la pensée de l’extrême droite américaine. Josh Hawley développe un discours structuré avec des formules chocs autour du nationalisme chrétien américain comme défenseur des électeurs pauvres, tout en fustigeant le parti démocrate américain comme regroupant les gagnants de la mondialisation des villes métropoles.

Sa devise messianique : « Travail, Famille, Dieu » n’aurait pas été refusée par Charles Maurras. Cela rappelle le triptyque de Georgia Meloni au pouvoir en Italie, « Dieu, Famille, Patrie ». Il dresse une sorte de fresque historique, partant de la chute de Rome en l’an 410 face aux « barbares » wisigoths, et cite alors comme première référence Augustin (354-430), évêque d’Hippone, pour décrire l’avenir de l’époque. Augustin au sujet duquel J.D. Vance, candidat à la vice-présidence, déclare qu’il s’est converti au catholicisme à la lecture de ses écrits, saint qu’il a d’ailleurs choisi comme patron de sa confirmation. Comme Augustin qui défendait les chrétiens qu’on accusait d’avoir provoqué la chute de Rome, Josh Hawley promeut un augustinisme politique comme d’autres promeuvent un islam politique(1)Lire à ce sujet « L’augustinisme de Josh Hawley: aux racines théologico-politiques du trumpisme | Le Grand Continent ». !.

Josh Hawley déclare : « Une nation n’est en fait rien d’autre, pour citer Augustin, « qu’une multitude de créatures rationnelles associées par un commun accord quant aux choses qu’elles aiment« . Or le problème de Rome est qu’elle aimait de mauvaises choses. Et au fur et à mesure que ses affections se corrompaient, la République romaine tombait en ruine. Rome a commencé par aimer la gloire et pratiquer le sacrifice de soi. Elle a fini par aimer le plaisir et pratiquer toutes les formes de complaisance. C’est ainsi que Rome a pourri en son cœur. Mais au milieu des ruines de Rome, Augustin envisagea une nouvelle civilisation animée par de meilleurs affects. Non pas les vieux désirs romains de gloire et d’honneur, mais les amours plus forts de la Bible : l’amour de la femme et des enfants, l’amour du travail, du prochain et du foyer, l’amour de Dieu. »

Puis, il dresse un parallèle entre le fondement de la vie politique américaine et les 20 000 augustiniens pratiquants qui arrivèrent en Nouvelle-Angleterre lors de la Grande migration (1621-1642). Ainsi, il lie les augustiniens catholiques et les augustiniens protestants de cette migration pour être le « nouveau peuple élu » qui ont permis la création des États-Unis indépendants. Au passage, il fustige le stalinisme et le nazisme comme venus d’ailleurs contre l’universalisme chrétien.

Le nationalisme chrétien n’est pas une menace pour la démocratie américaine. Il a fondé la démocratie américaine, c’est-à-dire la meilleure forme de démocratie jamais conçue par l’homme : la plus juste, la plus libre, la plus humaine et la plus louable. C’est maintenant que nous devons retrouver les principes de notre tradition politique chrétienne — pour le bien de notre futur. Cela est vrai que vous soyez chrétien ou non, que vous soyez d’une autre confession ou que vous n’en ayez aucune. La tradition politique chrétienne est notre tradition, c’est la tradition américaine, c’est la plus grande source d’énergie et d’idées de notre politique, et il en a toujours été ainsi. Cette tradition a inspiré les conservateurs et les libéraux, les réformateurs et les activistes, les moralistes et les syndicalistes tout au long de notre histoire. Aujourd’hui, nous avons à nouveau besoin de cette grande tradition. 

Dans ce paragraphe, Josh Hawley dessine les lignes d’une allégeance identitaire au christianisme comme tradition politique propre aux États-Unis ; il précise qu’une telle allégeance n’a pas besoin d’une adhésion personnelle à une confession chrétienne, qui reste une affaire privée garantie par la liberté de conscience, mais que l’on ne peut se dire américain sans reconnaître l’inscription des États-Unis dans la tradition chrétienne. Cette idée n’est pas sans analogie avec le rôle que Charles Maurras prêtait au catholicisme dans l’histoire de France.

Suivent dans son discours des classiques de la stratégie du nationalisme chrétien américain mâtiné d’un sionisme chrétien : « nos rues ne sont pas sûres », « les emplois stables de qualité sont trop rares », « les emplois de la classe ouvrière disparaissent », « les salaires s’érodent », « les quartiers se désagrègent », « les membres de la classe supérieure mènent une vie cloîtrée derrière des grilles et des services de sécurité privés et les patrons de l’économie de marché engrangent des millions de dollars de salaire. », « pendant ce temps, la religion est chassée de la place publique. Et des fanatiques s’installent sur les campus pour scander « Mort à Israël » — précisément parce qu’ils méprisent la tradition biblique qui lie la nation d’Israël à notre République américaine ».

Et de ramasser tout cela dans la nécessité du « nationalisme chrétien » de lutter contre l’enfer actuel par l’amour chrétien. Par leur nécessité de lutter contre la gauche et contre la droite (c’est-à-dire « contre la vieille idéologie du parti républicain »). Il fustige l’économicisme, le néolibéralisme, l’utilitarisme. Il combat la gauche qui veut attaquer leur unité spirituelle et les choses qu’aiment les Américains. Pour lui, les « valeurs » sont plus importantes que l’argent, le profit, contrairement à la vieille idéologie néolibérale du parti républicain, selon lui. Ce dernier point doit être compris par une gauche de gauche qui veut combattre la droite néolibérale et cette nouvelle extrême droite en progression.

Pour ces nationalistes chrétiens, appuyés sur un universel chrétien, le but ultime est de donner un travail de qualité à tout être humain valide. Mais pour cela, estime-t-il, il faut changer de politique, ni la gauche ni le règne de l’argent. Dans son discours, il faut moins taxer les familles que le capital ! On reconnaît là les idées proches de La Tour du Pin (1834-1924) qui fut un passeur entre le catholicisme social et le maurrassisme. Josh Hawley appelle le nouveau Parti républicain à se rallier « aux syndicats des travailleurs… qui défendent les travailleurs et leurs familles ». Il rappelle : « J’ai participé aux piquets de grève des Teamsters. J’ai voté pour les aider à se syndiquer chez Amazon. J’ai soutenu la grève des cheminots et la grève des travailleurs de l’automobile. Et j’en suis fier. »

Josh Hawley n’est pas anticapitaliste, mais vise à une plus juste répartition des fruits du capitalisme par un renouveau des syndicats corporatistes. Il estime que la baisse de la natalité est due au fait qu’un travailleur ne peut plus subvenir aux besoins de sa famille. Josh Hawley est pour le renforcement d’une « religion civile » déduite du « nationalisme chrétien » à vocation universelle. Il déclare contre la gauche que :

La campagne qui vise à effacer la religion américaine de la place publique n’est que la continuation de la lutte des classes par d’autres moyens : l’élite contre l’homme de la rue, la classe aisée athée contre les travailleurs américains. Et il ne s’agit d’ailleurs pas à proprement parler d’éliminer la religion, mais de remplacer une religion par une autre… Chaque nation observe une religion civile. Pour chaque nation, il existe une unité spirituelle. La gauche veut une religion : la religion du drapeau des Fiertés. Nous voulons la religion de la Bible… Et c’est ce que signifie le nationalisme chrétien, au sens le plus vrai et le plus profond du terme. Tous les citoyens américains ne sont pas chrétiens, évidemment, et ne le seront jamais. Mais chaque citoyen est l’héritier des libertés, de la justice et de l’objectif commun que nous offre notre tradition biblique et chrétienne.

Par contre, il récuse tout racialisme et toute religion d’État en reprenant la position libérale des pères fondateurs américains qui est : « Dans ce pays, nous défendons la liberté de tous. Dans cette nation, nous pratiquons l’autonomie du peuple. Lorsque nous le ferons, nous sauverons la nation. »

Et on voit bien là que l’on ne s’opposera pas à ce type d’extrême droite pétrie de nationalisme chrétien par une alliance d’une gauche identitaire alliée à un islam politique. Il faudra bien une gauche de gauche sociale, laïque, démocratique, écologique pour permettre l’avènement d’une République sociale.

Notes de bas de page