« Ko soto gari : pousser puis tirer son adversaire et l’obliger à faire un pas, mais à peine son pied avant repose-t-il sur le sol qu’il est crocheté par un petit balayage extérieur », selon les moteurs de recherche.
L’éclatement d’une guerre n’a jamais été « un éclair dans un ciel serein » ou la lubie d’un fou ; c’est un long et lent processus. Les historiens de la Grande Guerre nous enseignent que le premier conflit mondial était imminent dès 1912 avec la guerre dans les Balkans… et même avant avec les « crises marocaines » de 1905 et de 1911 entre la France et l’Allemagne.
Dit autrement, la Russie est-elle tombée la tête la première dans une provocation finement montée par les Occidentaux ? L’hypothèse n’est pas impossible et nous la développerons dans cet article… Nous avons d’ailleurs quelques arguments pour soutenir cette opinion. Car, visiblement, la guerre d’Ukraine ne sera pas une courte promenade de santé pour l’armée russe. Contrairement à 2014-2015 où l’armée ukrainienne encore organisée à la mode soviétique n’avait pas fait le poids, aujourd’hui les commandos légers équipés de missiles antichars et anti-aéronefs causent des pertes importantes aux lourdes colonnes blindées de Poutine.
Les moyens militaires à l’œuvre
Depuis, les choses ont changé : une réorganisation complète sous l’égide des instructeurs américains est à l’œuvre depuis des années. Ne pouvant pas faire front dans une bataille de chars « en ligne », la forme de combat défensif, léger et souple, a été privilégiée. Sachant que Poutine, qui proclame « l’unité russe et orthodoxe » avec les Ukrainiens, tout en massacrant les civils en grand nombre, ne pouvait pas comme pendant la Seconde Guerre mondiale déclencher des bombardements d’artillerie ou aériens massifs en rasant complètement les villes. Priorité est donnée aux missiles de croisière, utilisés en nombre, mais dont l’efficacité est limitée à partir du moment où l’ennemi déconcentre son commandement opérationnel… lorsque les missiles en question atteignent leurs cibles et ne tombent pas sur des zones résidentielles en tuant des dizaines d’habitants. Mais pendant ce temps, les colonnes de chars de Moscou sont embourbées.
En plein raspoutitsa (dégel du mois de mars), les blindés russes restent sur les routes carrossables les uns derrière les autres, et sont attaqués sur leurs flancs par des commandos agiles. Ceux-ci sont équipés de missiles antichars Javelin fournis par l’Estonie, la Finlande et le Danemark, ainsi que de lance-roquettes Panzerfaust livrés par l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et l’Espagne. Pour compléter, précisons que le Royaume-Uni a livré la dernière génération de vecteurs antichars, le missile NLAW et la Suède des AT4. Pour la France, il s’agit d’une livraison du Milan, missile « historique » de l’armée française. Au total 17000 armes antichars ont été fournies aux Ukrainiens !
Notons aussi que l’appui aérien des colonnes russes est fort limité par les Stingers maniés par les Ukrainiens, particulièrement efficaces contre les hélicoptères et les avions subsoniques. En fait, il s’agit de la première guérilla high tech de l’histoire moderne. Cette guérilla du XXIe siècle est formée par des commandos légers, équipés de drones miniatures, de missiles de haute précision avec des équipements de vision nocturne, disposant d’un accès permanent GSM pour « pointer les cibles », etc. Cette guérilla high tech est renforcée par des volontaires étrangers. Remarquons également l’utilisation des drones pour le renseignement, mais aussi, semble-t-il, pour l’attaque au sol. L’écrasement en Croatie d’un drone bombardier est révélateur de cette pratique.
Bien formés depuis plusieurs années, équipés d’un matériel de pointe à base de missiles, fort bien renseignés par l’OTAN qui leur fournit les informations des satellites-espions occidentaux, ainsi que les écoutes électroniques, de l’Internet et des réseaux sociaux contrôlés par les GAFAM (les réseaux sociaux étant aujourd’hui la « meilleure agence de renseignement » !), les Ukrainiens donnent du fil à retordre à une armée lourde et contrainte de réfréner en partie sa force de destruction massive.
Préparation et positionnement stratégique
Un constat s’impose : l’armée et le gouvernement Zelensky ne se sont pas effondrés en quelques jours, car ils étaient tout simplement préparés à la guerre. Celle-ci était prévisible de longue date, en tous les cas pour les services secrets américains et britanniques. Le chef d’état-major de l’armée française, le général Burkhard semble confirmer cette hypothèse. Il affirmait tout début mars au journal Le Monde : « La possibilité d’une attaque russe était déjà envisagée à l’été 2021, les informations internes estimant que « les Russes attendraient des conditions favorables, c’est-à-dire qu’il fasse froid », avant de lancer l’offensive. …Le déclenchement de l’attaque n’a donc pas été une surprise », conclut le général.
Ainsi, la guerre était prévisible, elle couvait à petit feu à la ligne de front entre l’Ukraine et les républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. Périodiquement, sur ces champs de bataille, se succédaient cessez-le-feu et bombardements meurtriers. Bref, les hostilités pouvaient être réactivées à tout moment, au bon moment. Au total, l’on dénombre plus de 14 000 morts en 7 ans. Malgré les accords de Minsk I et Minsk II et les observateurs de l’OSCE, rien n’a été fait sur le plan international pour suturer cette plaie ouverte
avant que la situation ne s’envenime pour de bon. Au contraire, les Américains ont encouragé le gouvernement Zelensky à se montrer intraitable, en considérant les accords Minsk comme « n’étant plus d’actualité ». Clairement les Occidentaux ont poussé Zelensky, qui semblait souvent ouvert à la négociation, à adopter une attitude radicale.
Il était également prévisible que Poutine n’en « resterait pas là ». En fait, il regrettait son positionnement stratégique politique et militaire de 2014-2015. De son point de vue, n’a-t-il pas trop attendu il y a 8 ans ? En effet, au moment de l’épisode insurrectionnel de la place Maïdan à Kiev, la Russie aurait certainement pu compter sur le soutien, voire au pire pour elle sur la neutralité de l’Ukraine russophone de l’est et du sud (région d’Odessa). Les actions des néonazis et des fanatiques de Bandera (chef ukrainien, collaborateur des Allemands en 1941-43) effrayaient en effet à cette époque une bonne moitié de la population ukrainienne. Or, Poutine n’avait pas vraiment engagé le fer. Mieux, il a laissé filer plusieurs divisions de l’armée de Kiev pourtant prises dans une nasse dans la région de Donetsk. En fait, il a certainement regretté sa modération. Ce joueur d’échecs a peut-être raté à ce moment-là le « grand roque ».
Sans sombrer dans le psychologisme, il est à noter que lors de son discours du 25 février qui annonçait l’entrée en guerre, Poutine a insisté lourdement sur « l’erreur de Staline » qui avait eu le tort, d’après lui, de vouloir temporiser en 1941 et de n’avoir pas adopté une position offensive contre la Wehrmacht. Il est possible que Poutine fasse une sorte de « transfert » assez commun finalement chez les dirigeants. Car, en 2014-2015, le « temporisateur à la mode Staline », c’était lui ! Ce « coup de retard » va l’amener à une guerre… à contretemps.
S’agit-il d’un piège longuement préparé de la part de l’OTAN ? Rien n’est certain bien sûr, mais c’est possible. Adoptons quelques instants un « raisonnement dyslexique ». Dans les médias occidentaux, il est courant d’écrire que Poutine a profité du retrait en catastrophe de l’US Army d’Afghanistan, et secondairement de la France du Mali. Et si c’était tout simplement le contraire ? Si, comme le dit le chef d’état-major de l’armée française, la guerre était prévisible depuis au moins le milieu de l’année dernière. Dans ce cas, il est évident que l’OTAN a certainement cherché à se détacher au plus vite des conflits « secondaires » … quitte à adopter des procédures d’urgence et des sorties de crise précipitées et assez piteuses. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Limiter les conflits secondaires pour se concentrer sur le conflit principal est une tactique de guerre en vigueur depuis quelques milliers d’années !
L’état des forces occidentales
Abordons maintenant la structuration et l’organisation politique occidentale en situation de guerre. C’est, semble-t-il, le résultat d’un effort de longue haleine, parfaitement planifié sur le moyen terme. Car les forces occidentales disposent d’une « chaîne politique » stable et bien coordonnée. Une chaîne constituée de quatre maillons forts : le premier est le gouvernement ukrainien autour de Zelensky.
Le gouvernement ukrainien
Bien entouré et ne cédant pas à la panique, cet ancien comédien de cabaret est « l’image de la résistance ukrainienne ». Son accession à la présidence est le résultat d’un processus de pourrissement politique en Ukraine. Car peut-on parler réellement de « démocratie » dans ce pays ? Depuis la fin de l’URSS, deux mots, qui vont d’ailleurs très bien ensemble, caractérisent la situation politique de l’Ukraine : oligarchie et corruption. Résumons les événements depuis Maïdan : le corrompu Viktor Ianoukovitch est renversé par le « pur » Petro Porochenko… qui se révéla aussi corrompu que son prédécesseur.
Soutenu financièrement par une tendance de l’oligarchie (corrompue) et par des donateurs occidentaux, Volodymyr Zelensky a mené campagne pour « en finir avec la corruption ». Le président actuel a été lui-même par la suite sérieusement accroché en 2021 par l’enquête internationale journalistique d’investigation connue sous le nom de « Pandora Papers ». Les documents découverts par les journalistes prouvent l’existence de « tractations commerciales secrètes de l’entourage du président Volodymyr Zelensky, de biens immobiliers de luxe au cœur de la capitale britannique, de sociétés qui dissimulent des affaires en Crimée » …
Bon leader, la voix bien posée et le geste précis, la tenue vestimentaire étudiée, le « comédien juif, devenu chef de guerre » comme le décrit l’hebdomadaire Le Point, fait vraiment meilleur effet que les anciens présidents lourdauds ou les fanatiques d’extrême-droite de Maïdan. Un beau lifting politique finalement. Depuis 2019, Zelensky est pour l’OTAN « la bonne personne au bon endroit ».
L’Union européenne
Cette même année 2019 marque aussi l’arrivée d’une autre « bonne personne au bon endroit ». Décidément, le hasard fait bien les choses ! C’est le deuxième maillon de notre « chaîne politique » : Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. La chose militaire, Leyen la connaît très bien. En effet, elle a été ministre fédérale de la Défense pendant 5 ans et demi… elle était considérée par tous les observateurs comme la plus « pro Alliance atlantique » du gouvernement allemand. C’est certainement la responsable politique de premier plan la plus compétente sur le plan militaire. D’une main de fer, elle dirige la manœuvre sans trop s’encombrer de ce que peuvent penser les autres dirigeants européens de second plan, comme Macron. Nous l’avons constaté sur l’épisode de l’interdiction des chaînes RT et de Sputnik. Mais son atout maître, c’est sa parfaite connaissance et sa maîtrise de la politique d’outre-Rhin. Bref, elle a muselé le Premier ministre social-démocrate Olaf Scholz. Ce dernier, au départ très réticent à s’engager dans le conflit, est aujourd’hui presque « va-t-en-guerre ». La chose est entendue, le « danger pacifiste » allemand n’existe plus pour l’OTAN… et tenir l’Allemagne c’est tenir l’Europe.
L’OTAN
Le troisième maillon de la « chaîne politique » occidentale, c’est la structure OTAN proprement dite et son célèbre Commandement intégré. Certains considèrent le Norvégien Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, comme un personnage falot, qui aurait propulsé cette organisation dans une « mort cérébrale », comme l’avait dit « l’expert » Macron. En fait, il n’en est rien. Ce social-démocrate scandinave a renforcé l’Alliance depuis 2014, surtout dans les quatre dernières années… et sur ses deux flancs, le nord et le sud. Au niveau de la Scandinavie et de la Baltique, il a unifié le bloc anti russe au-delà même des pays membres du traité de l’Atlantique Nord. La traditionnelle « neutralité baltique » n’existe plus en Suède (neutre pendant la Seconde Guerre mondiale) ou en Finlande (« neutralisée » pendant la guerre froide). Pour preuve de l’efficacité politique et diplomatique de Stoltenberg, citons les plus grandes manœuvres militaires jamais faites dans l’histoire de l’Europe du Nord, réunissant plus de 35 000 soldats avec la participation de tous les pays baltiques, y compris la Suède et la Finlande, non membres de l’OTAN. Cet exercice a pour nom « Cold Response 2022 » et a été programmé il y a plus d’un an et demi, bien avant la guerre en Ukraine.
Second succès à l’actif de Stoltenberg, le « rabibochage » avec Erdogan sur le flanc sud. L’ambiance était glaciale depuis la tentative de putsch militaire de 2016 organisée principalement par le mouvement Gullen dont le chef est réfugié aux USA. Le président turc, qui considérait que la CIA avait manigancé ce putsch, avait jusqu’à l’année dernière « un pied dans l’Alliance atlantique et un pied dehors ». L’achat par la Turquie des missiles anti aérien S 400 russes en était la preuve. Or, aujourd’hui la Turquie est à nouveau clairement dans l’OTAN. Ankara a même indiqué qu’elle était prête à fermer les détroits du Bosphore aux navires de Moscou. Ainsi, l’Alliance est globalement en ordre d’Oslo à Ankara, Stoltenberg est bien aussi « la bonne personne au bon endroit ».
Les États-Unis
Quatrième et dernier élément de cette « chaîne politique » occidentale : l’administration de Washington et Joe Biden en particulier. En fait, l’auteur de la prise de judo « ko soto gari », évoquée au début de cet article, c’est lui ! Les démocrates aux États-Unis sont souvent bellicistes. Par son effacement, « Jo l’endormi » comme l’appelait Trump, a incité Poutine à avancer d’un pas. Cette posture d’effacement est fort intelligente. D’abord, elle ne pousse pas les États-Unis en première ligne. La rivalité USA-Russie, comme du temps de l’URSS, n’a pas bonne presse en Europe. Et puis, il vaut bien mieux que l’Ukraine soit la « guerre des Européens ». De plus, au cours du mois de janvier et février, Biden a proclamé à maintes reprises que les USA ne riposteraient pas directement en cas d’attaque russe. Dernièrement, il a clairement indiqué que « l’exclusion aérienne » n’était pas d’actualité dans l’espace aérien ukrainien. Enfin, il a affirmé que la fourniture d’armes excluait la livraison d’avions Mig 29 que la Pologne se proposait de mettre à disposition de l’US Air force pour Kiev. Bref, depuis le début de l’année, en « surjouant » la faiblesse, Biden a suggéré à Poutine que les Américains « laisseraient faire » … et Poutine a avancé d’un pas le 24 février en envahissant l’Ukraine !
Perspectives
Il est plausible que la guerre en Ukraine se prolonge ou alterne des périodes de cessez-le-feu et de reprises de combat, permettant d’ailleurs aux Ukrainiens de se réarmer pour la guerre classique ou la guérilla high tech. Dans cette situation, Poutine ne dispose ni d’une « chaîne politique » comparable à l’Occident ni d’un début de système d’alliance internationale. Le Venezuela est bien loin ; la Syrie n’a aucun moyen de projeter la moindre force militaire conséquente en dehors de quelques « volontaires » dont la seule évocation terrorise ; l’Iran peut se retourner du jour au lendemain si les Occidentaux signent l’accord sur la question nucléaire et lèvent les sanctions contre Téhéran. Mais surtout le mastodonte chinois semble pour l’instant très réservé sur un soutien direct à Moscou… la guerre en Europe évitant peut-être la guerre en Asie.
Ainsi, sur le long terme, Poutine est dans une impasse, si la guerre ou même la guérilla high tech se prolonge des mois ou des années. C’est ce qui rend la conjoncture militaire extrêmement dangereuse. Car Moscou devrait chercher à en finir coûte que coûte. Mais comment ?… Et avec quels moyens militaires : classiques, nucléaires ?… En visant les transports d’armes en Pologne, en Roumanie ? Nul ne sait. Le danger est bien une fuite en avant par une guerre embrasant tout l’Est européen. Car le principe de l’élargissement des guerres réside souvent dans l’impasse où se trouve l’un des protagonistes, et qui cherche désespérément à sortir de la nasse en élargissant la confrontation. L’échec d’une stratégie militaire conduit la plupart du temps à une escalade de la guerre.
Face à ce danger existentiel pour l’Europe, les conversations bilatérales avec Poutine par Zoom ne servent pas à grand-chose, en dehors du show médiatique. Seule une conférence internationale, sous l’égide de l’OSCE et de l’ONU, peut permettre à Poutine de « digérer » son erreur le conduisant vers un enlisement en Ukraine. Rappeler ses troupes aura forcément des conséquences énormes sur le plan intérieur, le maître du Kremlin le sait pertinemment. Une conférence internationale lui permettrait au moins de ne pas perdre la face complètement, en mettant en avant les « concessions » qu’il aurait obtenues, comme par exemple l’application rigoureuse et stricte de Minsk I et II. La voie est très étroite pour éviter l’escalade de la guerre et c’est maintenant qu’il faut agir sur le plan diplomatique. Mais les Occidentaux veulent-ils vraiment le retour de la paix …ou comme le suggère cet article « la fin de Poutine » ? La question est là.