De nombreux débats, peu de désaccords
Le congrès s’est déroulé pendant trois jours et a rassemblé une centaine de délégués et d’invités de Solidaires et extérieurs. Les thématiques abordées étaient nombreuses et divisées en trois temps. Le premier jour a permis de réaliser l’adoption à l’unanimité du rapport d’activité, de trésorerie et du document d’orientation. Les deux jours suivants étaient eux-mêmes scindés entre trois résolutions (volontairement assez courtes) : « négociations collectives », « réseau juridique », « communication syndicale » et trois ateliers « accidents du travail », « égalité dont H/F » et « quelles productions ? » s’inscrivant davantage dans une démarche de réflexion et de formation.
Les interventions concernant les retraites ou les salaires (principe d’augmentations générales uniformes et non pourcentage par exemple) ont été les plus fortes, tout comme les débats concernant la structuration du secteur juridique pour tenter de construire et renforcer un réseau interne, avec la tentation de s’en remettre aussi à une structure extérieure ou à un prestataire de services. Là encore, le syndicalisme de lutte doit s’interroger sur la préservation de son indépendance, afin que le droit soit envisagé comme au service de l’action syndicale, par et pour les travailleurs. Faire vivre un droit ouvrier nécessite de l’aborder avec le point de vue de la lutte de classes, d’un point de vue théorique, mais aussi pratique à travers l’expérience que les délégués ont du terrain et des instances.
L’atelier interrogeant le type de production était salutaire et a permis de poser les jalons de revendications transitoires, qui manquent parfois cruellement dans le syndicalisme et qui ont été remplacées par certains courants politiques par des vidéos d’agitation sur les réseaux sociaux, entre guerre d’ego et pratiques individuelles, bien loin des positions de massification de l’action syndicale.
Renouvellement symbolique et concret
Si les prises de paroles ont été très nombreuses et fournies dans une assistance majoritairement masculine, l’entrée de deux nouvelles camarades dans le collectif d’animation est à noter, tout comme un renouvellement important (3 nouveaux entrants et 6 départs) et l’élection de deux nouveaux co-secrétaires. Francky Poiriez (âgé de seulement 37 ans) et Jérôme Massin prendront ainsi le relais après plusieurs mandats successifs des anciens secrétaires nationaux qui restent intégrés dans la nouvelle équipe. Les statuts ont d’ailleurs vu l’ajout d’un amendement sur la limitation à trois mandats au poste de secrétaire, afin d’encourager la rotation des mandats dans une organisation dont la croissance et structuration ont été menées à une grande vitesse, mais qui doit s’interroger aujourd’hui sur l’avenir pour passer un nouveau cap dans son développement, notamment en structurant davantage la formation des responsables/animateurs territoriaux.
Dans les secteurs industriels, la différence avec la CGT n’est pas toujours homogène suivant les entreprises, même si l’aspect démocratique, le refus sans condition de la FSM d’un côté et d’une fédération verticale de l’autre, et la recherche de fédéralisme/autonomie des syndicats territoriaux est inscrit dans l’ADN de SUD Industrie. La force de l’union fédérale est aussi parfois sa faiblesse : adopter un cahier revendicatif dans différents secteurs (la structuration uniquement autour de conventions collectives, avec les nouvelles organisations du travail décloisonnées et de nouveaux statuts a heureusement été dépassée) oblige les jeunes équipes à réfléchir à la fois à l’organisation, aux moyens locaux, à la mutualisation sans se reposer sur une structure supra-nationale. D’une entreprise à une autre, il serait sûrement nécessaire, sans renier la liberté des équipes, de renforcer l’identité « politique » commune, comme cela a été fait autour de la communication ou de la formation.
Pour la suite, verra-t-on l’arrivée de nouvelles équipes déçues (ou exclues !) de la CGT comme Stellantis Poissy, l’accroissement des adhérents des bases existantes ou la création de sections de primo-adhérents qui permettra à SUD Industrie d’imposer un syndicalisme alternatif dans des secteurs souvent confrontés aux licenciements économiques et restructurations ? Réponse en 2026 !
Quel avenir pour Solidaires ?
Si SUD Industrie semble avoir réussi à trouver un équilibre (du moins des équilibres dans son fonctionnement interne) tout en se questionnant sur son positionnement, la structure a souvent incarné la ligne contestataire au sein de l’Union syndicale Solidaires, notamment par son coup d’éclat lors du dernier congrès avec un appel au boycott. Si la portée a réussi, les résultats ont été bien moins importants. Les relations sont aujourd’hui plus apaisées sur la forme, mais demeurent sur le fond à l’image des interrogations qui ressemblent à de grands écarts clivants dont la synthèse s’apparente difficile. Mais dans le même temps, l’outil syndical Solidaires, malgré toutes les limites et critiques, reste aujourd’hui le choix privilégié de SUD Industrie comme le meilleur outil syndical interprofessionnel pour des raisons qui sont sûrement rationnelles, mais aussi émotionnelles, liées à l’appartenance historique, processus que l’on retrouve dans une grande partie des équipes du monde syndical.
Si SUD Industrie s’était également illustrée par un positionnement très clair sur les revendications et pratiques syndicales pour une laïcité universaliste et un antifascisme politique et contre tous les intégrismes religieux (du CCIF à Civitas), les équipes se sont interrogées autour de trois points :
- Le positionnement autour du syndicalisme à dominance « sociétale » (Solidaires n’est pas une ONG). Si certaines interventions ont voulu limiter le syndicalisme à l’entreprise en réponse, la grande majorité a rappelé la voix que SUD Industrie souhaiterait incarner : parler de tous les sujets sous l’angle syndical, par et pour les travailleurs, à travers des revendications avant tout professionnelles pour embrasser l’ensemble des thématiques et redonner la priorité aux revendications concrètes du « quotidien. » Nous ne pouvons que saluer cette volonté, mais reste à voir si elle est prise en compte dans Solidaires ;
- Le rôle et la place du secteur privé dans Solidaires, débat un peu redondant, mais qui a trouvé un certain écho du fait des conflits internes dans Solidaires entre la direction nationale, des unions départementales et la fédération SUD Commerces & Services (qui a depuis été « suspendue ») ;
- L’interprofessionnel, qui s’est trouvé cantonné de fait aux apparitions et manifestations, suivant les réalités communes. L’identité Solidaires qui s’oppose souvent à l’identité d’une structure professionnelle, comme s’il fallait choisir, ne semble pas aider à l’apaisement des débats, tout comme l’inégalité de moyens entre privé et public et l’état du développement ; néanmoins cette question a le mérite aussi d’interroger sur le rapport au militantisme, non pas de quelques « habitués », mais bien de la base militante. Et à SUD Industrie, comme à Solidaires, cette faiblesse ne semble pas encore être prise au sérieux pour proposer de vraies solutions. Peut-être qu’il s’agit d’une voix qui profiterait à renforcer les liens entre organisations de Solidaires et permettrait de faire vivre un projet qui se veut de transformation sociale, autogestionnaire et d’émancipation collective. Cette piste aurait le mérite de consolider à la fois SUD Industrie et plus globalement Solidaires, afin de renforcer sa place dans le paysage syndical et ses spécificités à un moment où certains « dirigeants syndicaux » pensent que la fusion/addition des organisations renforcerait théoriquement la classe ouvrière (analyse rejetée d’ailleurs en bloc lors de congrès).
En attendant, place à la pratique !