Construire une gauche de gauche pour une bifurcation politico-stratégique

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Partout dans le monde, la stratégie de l’union des droites progresse. Y compris en France. Dans notre pays, les droites en sont à la bataille du leadership pour y parvenir. Tout se joue entre d’une part l’extrême centre macroniste soutenu par Nicolas Sarkozy et le Medef(1)Sur la notion d’extrême centre, lire le récent article de B. Teper https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-idees/respublica-lu-et-a-lire/lextreme-centre-ou-le-poison-francais-1789-2019-de-pierre-serna/7432195, et d’autre part par le Rassemblement national. Pour l’instant, Les Républicains tentent de résister. La mère des batailles sera celle des retraites pour fixer un cap à cette lutte interne à la droite. Alors que le Conseil d’orientation (des retraites (COR) a bien spécifié que le système de retraites n’était pas en danger, l’extrême centre macroniste a repris les mesures souhaitées par LR pour les pousser à l’alliance avec l’aide du Medef et de Nicolas Sarkozy. Pour LR, mener la lutte des classes, c’est faire des économies sur la Sécurité sociale (le budget des retraites étant son premier budget) pour financer ce qui est nécessaire ailleurs, tout en maintenant un niveau de dividendes rarement atteint dans l’histoire du capitalisme.

Pour cela, il faut faire le ménage en son sein pour pouvoir fédérer le peuple, pour rivaliser dans la lutte des classes avec l’oligarchie capitaliste et ses alliés. D’abord, marginaliser la gauche néolibérale ainsi que la gauche identitaire et essentialiste pour retrouver la République sociale.

Est-il possible de préparer une bifurcation qui nous mette à distance de cet enfer ? Oui, mais cela demande à la gauche de devenir enfin une gauche de gauche. Et pour cela, il faut faire le ménage en son sein pour pouvoir fédérer le peuple, pour rivaliser dans la lutte des classes avec l’oligarchie capitaliste et ses alliés. D’abord, marginaliser la gauche néolibérale ainsi que la gauche identitaire et essentialiste pour retrouver la République sociale et ses ruptures : démocratique, laïque, sociale et écologique, et ses conditions nécessaires : liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, démocratie, souveraineté populaire, sûreté et sécurité, universalité concrète, développement écologique et social.

Il faut encore se préparer à engager, dès l’exercice du pouvoir, la sortie du marché de la sphère de constitution des libertés (école, Sécurité sociale et services publics) et donc la réintroduction de la démocratie dans cette sphère, la refondation démocratique de l’Union européenne qui ne pourra sans doute avoir lieu que lors d’une crise paroxystique, la véritable égalité hommes-femmes à commencer par les salaires et les retraites, la refondation des lois d’immigration, mais aussi de la nationalité (en réintroduisant la mesure de la grande Révolution française à savoir le jus domicili ou droit par le domicile). Non moins nécessaires, la réindustrialisation par filières complètes, sous transition écologique, et enfin la socialisation des entreprises avec maintien de la propriété d’usage, suppression progressive de la propriété lucrative et surtout l’abolition progressive du salariat et son remplacement par les travailleurs associés (2)Voir le livre Penser la République sociale pour le XXIe siècle dans la librairie militante du site ReSPUBLICA..

Être au clair sur les rôles respectifs
des partis et des syndicats

D’abord, la multiplication exponentielle du nombre de partis et de syndicats de gauche est l’une des nuisances phénoménales de la séquence. Cette archipellisation maladive cache mal son instrumentalisation par les forces du capital pour qui diviser pour régner est un leitmotiv. Si tout syndicat ou tout parti qui a une stratégie fortement différente de son voisin est légitime à exister, aujourd’hui il y a, au sein de chaque syndicat ou de chaque parti, des oppositions bien supérieures à celles qui peuvent exister entre les différentes entités politiques et syndicales. Restructuration et recomposition sont donc nécessaires.

Il faut en finir avec la subordination du parti à un syndicat ou son inverse, la subordination du syndicat au parti. Ces deux systèmes ont été utilisés et ont échoué.

Par ailleurs, il faut en finir avec la subordination du parti à un syndicat ou son inverse, la subordination du syndicat au parti. Ces deux systèmes ont été utilisés et ont échoué. Le travaillisme britannique comme le syndicat courroie de transmission du parti (allant jusqu’à la proposition de militarisation des syndicats prônés par Léon Davidovitch Bronstein, alias Trotski) ont abouti à l’impuissance ou à des caricatures de démocratie. Vouloir qu’un parti soit le débouché politique des luttes syndicales (ou l’inverse) relève aujourd’hui d’une lubie porteuse de désillusions. Désillusion que nous avons vécue grandeur nature avec les 50 000 manifestants de la marche Nupes du 16 octobre et les 150 000 manifestants des syndicats du 18 octobre. Qui a sablé le champagne ? L’extrême centre macroniste et le Medef puisqu’il n’y a pas eu co-construction comme cela s’est passé le 16 janvier 1994 (un million de manifestants à Paris pour l’école publique !) qui a fait plier le gouvernement et le ministre Bayrou.

Voilà pourquoi il est temps d’en revenir à la proposition d’une part de la charte d’Amiens de la CGT (1906) et d’autre part de Jean Jaurès : ces deux types d’organisations (syndicats et partis) indispensables au bloc historique populaire à constituer doivent pratiquer la « double besogne », à savoir articuler les revendications immédiates et le projet social et politique que doit produire chaque organisation politique ou syndicale favorable à une bifurcation politico-stratégique.

Mais voyez-vous, dans ce cas, il faut insuffler beaucoup plus de démocratie aux organisations qui ont vu progressivement reculer la démocratie interne au profit d’une néobureaucratisation invalidante.(3)Voir https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-combat-social/luttes-sociales-et-strategie-syndicale/7432169 De moins en moins de formation et d’éducation populaire dans les organisations, ce qui va de pair avec de moins en moins de débats sur le projet. Comme si les diplômes actuels de l’école capitaliste étaient susceptibles d’ouvrir à une satisfaisante compréhension du monde ! D’autant plus que nous sommes manipulés et rendus aliénés, via les réseaux sociaux et les médias dominants, par des influenceurs qui sont majoritairement liés à telle ou telle oligarchie impérialiste par le financement voire les nominations !

Prenons un exemple avec la CGT. Cela fait plus de 20 ans que la CGT a présenté ses deux slogans de Sécurité sociale professionnelle et de Nouveau statut du travailleur salarié. Belle anticipation. Mais toujours pas de contenu précis pouvant alimenter un projet de République sociale. C’est dommageable, car une bifurcation digne de ce nom ne sera obtenue que par la perspective d’une souveraineté sur le travail. Il faudra bien arrêter de croire à l’efficacité de slogans du type « prendre l’argent où il est », « taxer les riches », créer un pôle public financier (sans savoir ce que cela recouvre !), « refaisons le coup des nationalisations par le haut », « faire une politique de relance keynésienne dans un monde ouvert »… Ce sont des billevesées pour faire semblant de changer sans que rien ne change.

Le véritable changement : les travailleurs associés
plutôt que la pérennité du salariat

Le changement opérera quand les rapports sociaux de production seront changés par une nouvelle souveraineté sur le travail. Pas une souveraineté de type « salaire à vie » qui renforce le salariat et organise une nouvelle bureaucratisation au sein d’une « caisse économique » (structure qui dans le projet de salaire à vie distribue les qualifications qui permettent d’avoir un salaire, pouvant varier selon la qualification de 1 à 4) qui aura le même débouché que le parti communiste d’Union soviétique avec la domination d’un clan sur la caisse économique puis d’un homme sur le clan et la caisse tout entière. Sans compter l’hyperinflation consécutive à une très forte création monétaire (plusieurs centaines de milliards d’euros) et la question anthropologique « Qui ramassera les ordures ? » si le salaire à vie est déconnecté du travail…

La nouvelle souveraineté sur le travail devra rompre avec le fordisme, le taylorisme et le « nouveau management » par l’entrée du débat démocratique argumenté dans les lieux de travail sur le travail lui-même pour lui redonner un sens désirable.

La nouvelle souveraineté sur le travail (sans usine à gaz bureaucratisée) sera trouvée d’abord grâce aux luttes sociales, mais aussi en prolongeant les thèses de Karl Marx, Friedrich Engels, Rosa Luxembourg, Jean Jaurès, Antonio Gramsci, les conseils ouvriers italiens, Bruno Trentin, Alain Supiot, etc. Cette souveraineté La nouvelle souveraineté sur le travail devra rompre avec le fordisme, le taylorisme et le « nouveau management » par l’entrée du débat démocratique argumenté dans les lieux de travail sur le travail lui-même pour lui redonner un sens désirable. Renouer avec une démocratie ascendante et non jupitérienne comme dans toutes les organisations de gauche. À partir de là, mais à partir de là seulement, l’idée d’une planification démocratique prend un sens clair plutôt que d’être le cache-sexe d’une nouvelle bureaucratisation !

D’autant que nous avons vécu pendant une vingtaine d’années de 1946 à 1967 avec une Sécurité sociale gérée par les travailleurs eux-mêmes via les élections pour la Sécurité sociale dans toutes les caisses locales, et nationale ! Rendez-vous compte qu’aujourd’hui le budget de l’État est de 455 milliards d’euros pour un budget de la Sécurité sociale de 570 milliards d’euros. Jamais la santé au sens de sa définition de l’Organisation mondiale de la santé de 1946 (la santé n’est pas une absence de maladie, mais un état de bien-être physique, psychique et social) n’a connu un tel développement durant cette vingtaine d’années de l’après-guerre mondiale. Mais aujourd’hui, nous découvrons l’augmentation révoltante de la mortalité infantile en France ! Encore faudrait-il que les actuels militants connaissent cet épisode historique que même les bacs + 35 de l’école capitaliste d’aujourd’hui ne connaissent pas ! Qui peut dire que les travailleurs ne savent pas gérer avec ce qu’ils ont fait entre 1946 et 1967 !

Tout cela pour dire que le slogan populiste « sortons les sortants » ne peut pas être suffisant, car prendre le pouvoir ne suffit pas pour exercer le pouvoir, fut-il celui du peuple ! Autant que la prise de pouvoir, c’est le mode de fonctionnement démocratique pour redonner toute sa place au peuple qui importe. La Commune de Paris en 1871 et l’analyse critique due à Karl Marx en firent la démonstration. Dès 1848, Marx insistait sur les nouvelles finalités sociales de l’État que le prolétariat aurait conquis. Il s’agissait pour les révolutionnaires, selon la formulation de 1848, de s’emparer de l’État et de l’utiliser à d’autres fins. Vingt-trois ans après, à la lumière de la Commune de Paris, il affirma que c’était insuffisant et qu’il fallait briser la machine d’État pour la remplacer par d’autres modalités de régulation. Dans La Guerre civile en France, il précisait qu’il ne peut y avoir isomorphisme entre un État populaire souverain et un État bourgeois, car le bien commun ou l’intérêt général incluent un certain fonctionnement démocratique qui permet l’implication directe du peuple. « Entre le pouvoir populaire et l’État bourgeois, il n’y a pas identité d’instrument et simple différence de finalité. C’est sur ce point précis que les communards français ont fait œuvre nouvelle et exemplaire dans le peu de temps dont ils ont disposé. »

Marginaliser la gauche néolibérale
pour créer une gauche de gauche

La gauche de gauche fait face à deux cancers, la gauche néolibérale et la gauche identitaire et essentialiste. Quant au premier, la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle doit porter sur le fait que le travailleur est le seul producteur de valeur et a donc droit à une existence digne. L’ensemble des travailleurs d’un secteur (et pas l’État) doit avoir la propriété d’usage des moyens de production et donc participer à la décision dans l’entreprise. Car l’ensemble des travailleurs doit avoir droit aux trois démocraties : politique, sociale via la Sécu, et dans l’entreprise par la socialisation progressive de celle-ci. Puis, la souveraineté populaire doit pouvoir s’exercer progressivement à la place de l’État (selon la stratégie de l’évolution révolutionnaire souhaitée par Karl Marx et Jean Jaurès) sur tous les rouages de la production (qualification personnelle, création monétaire, etc.). Ainsi, le dépérissement de l’Etat omnipotent et omniscient aurait lieu. 

Pour mesurer l’étendue de la bataille culturelle, voici une déclaration de Jean Peyrelevade, ancien conseiller du premier ministre Pierre Mauroy en 1981 qui a poussé aux politiques d’austérité au tournant de la rigueur des années 1982-1983, ancien patron banquier, aujourd’hui d’extrême centre :

La moitié des prélèvements sociaux, soit 15 % du PIB, sont faits sous forme de cotisations sociales, l’autre moitié relevant de l’impôt depuis l’invention de la CSG par le gouvernement de Michel Rocard. De la première moitié, les entreprises fournissent plus des deux tiers, soit 11 % du PIB, ce qui est à nouveau un record mondial. Nulle part les entreprises ne paient autant au nom de la protection sociale… 

Les Échos, 25/10/2022

Alors que l’ensemble des cotisations sociales ne sont que du salaire socialisé du travailleur et non pas des dépenses de l’entreprise et pas plus du salaire « différé » ! La bataille culturelle sera longue !

Fédérer par la liaison des combats laïques et sociaux
contre la gauche identitaire et essentialiste

Les néolibéraux tentent avec leurs alliés identitaires et essentialistes de diviser les travailleurs en essayant, au moyen d’identités supposées, de les éloigner du primat de la lutte des classes qui seule peut les fédérer.

Pour cela, il faut fédérer les travailleurs. En effet, les néolibéraux tentent avec leurs alliés identitaires et essentialistes de diviser les travailleurs en essayant, au moyen d’identités supposées, de les éloigner du primat de la lutte des classes qui seule peut les fédérer. Il en résulte l’apparition d’un néoféminisme bourgeois en lieu et place d’un féminisme universaliste concret et d’un néoantiracisme bourgeois en lieu et place de l’antiracisme humaniste. Ces cancers essentialisent les genres et les couleurs de peau : les uns sont systématiquement des victimes, les autres sont systématiquement des agresseurs… C’est ainsi que les agresseurs n’ont pas droit au contradictoire, à une défense normale. Les chromosomes définissent le camp des victimes et le camp des agresseurs !

Quelle régression non seulement politique, mais également scientifique ! Contre vents et marées, la résistance est pourtant présente. Ainsi Louise El Yafi, élève avocate et essayiste, qui déclare que « même une femme se prétendant féministe peut être aussi ambitieuse et menteuse qu’un homme » (4)https://www.marianne.net/agora/humeurs/meme-une-femme-se-pretendant-feministe-peut-être-aussi-ambitieuse-et-menteuse-quun-homme. Suivez mon regard…

Mener une stratégie écologique conséquente

Alors que nous sommes abreuvés de discours écologiques contradictoires sur l’énergie, il conviendrait aussi de mener des campagnes d’éducation populaire refondée sur une stratégie sérieuse.

En premier lieu, éliminer les passoires thermiques, ensuite arrêter de subventionner les énergies fossiles. L’OCDE et l’AIE nous apprennent qu’en 2021 les aides aux énergies fossiles ont été doublées par rapport à 2020 dans les 51 pays les plus riches du monde ! Il convient en parallèle de faire le maximum pour développer les énergies renouvelables non émettrices de gaz à effet de serre.

Pour autant, il faut bien avoir conscience que les solutions exclusivement technicistes et/ou magiques qui nous dispenseraient de nous interroger sur notre mode de consommation sont illusoires à elles seules. Ainsi, il apparaît que le bilan carbone des cellules photovoltaïques n’est bon que si et seulement si une filière industrielle de construction de ces cellules est créée en France. Si c’est pour la faire venir de Chine, le bilan carbone sera négatif pendant plus de 10 ans…

Voilà pourquoi, sans se voiler la face quant aux conditions d’extraction indignes et inhumaines de l’uranium dans les pays producteurs dont les habitants sont victimes de radiations, nous avons besoin des centrales nucléaires dans le court et le moyen terme pour le bouclage énergétique.

C’est identique pour l’éolien. Il est à noter cependant qu’un champ éolien a besoin d’une centrale à énergie fossile pour fonctionner et que si l’éolienne fonctionne avec des vents de 15 à 90 km/h, la production d’électricité se déploie comme le cube de la vitesse des pales.

Voilà pourquoi, sans se voiler la face quant aux conditions d’extraction indignes et inhumaines de l’uranium dans les pays producteurs dont les habitants sont victimes de radiations — au point qu’elles subissent en un jour autant que ce qui est autorisé en France sur un an —, nous avons besoin des centrales nucléaires dans le court et le moyen terme pour le bouclage énergétique.

Ne nous voilons pas la face non plus en ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs. Quelle que soit la part du nucléaire et du renouvelable, nous avons également besoin de financer plus de recherche sur les différentes énergies possibles. Le scénario negaWatt pêche par ses hypothèses irréalistes (par exemple celle d’un accroissement du nombre de personnes par logement alors que c’est l’inverse qui se produit à cause de la croissance forte des ruptures familiales !)

Le combat écologique ne peut — comme la laïcité — obtenir le consentement de la majorité que s’il est lié au combat social. Quand il parle de la fin de l’abondance, le président Macron est hors sol : les classes populaires et les gens les plus modestes sont déjà dans une sobriété contrainte qui n’a rien d’heureux. Exiger de se séparer d’une voiture diesel de vingt ou trente ans ou interdire l’accès aux ZFE (zone à faible émission) pour acheter du neuf hors de prix n’est ni écologique ni social ; alors qu’il faudrait développer un réseau des transports en commun publics de qualité et gratuits.

« Fin du monde et fin du mois, même combat », dit le slogan des gilets jaunes. Nous l’incorporons volontiers dans la formule « Combat laïque, combat social, combat écologique, fédérer le peuple ! »