Il est de bon ton de vitupérer contre la tactique des députés insoumis qui pratiqueraient l’obstruction en proposant des milliers d’amendements. Comme en toute chose, il est essentiel de ne pas se contenter de se limiter aux effets, en l’occurrence la tactique insoumise qui s’accompagne d’outrances verbales à la limite de l’injure qui sont non seulement indignes d’un vrai débat, mais plus encore contre-productives. En effet, cela permet aux médias dominants aux mains de quelques milliardaires, ainsi qu’aux médias d’État, de faire tourner en boucle les propos condamnables de tel ou tel député. Par la même occasion, cela permet d’évacuer le nécessaire débat de fond, et ce principalement aux dépens des couches populaires.
Causes premières d’une telle dégradation
En parallèle de la critique de la méthode parlementaire de la NUPES en général et de la LFI en particulier, sans oublier les outrances de la majorité macroniste dont on parle moins dans les médias, il est indispensable de mettre en exergue les causes premières :
- Débat raccourci dans le temps — deux semaines — pour une réforme systémique sociétalement parlant qui exigerait pour un débat sérieux plusieurs mois. Rappelons que d’autres pays, notamment d’Europe du Nord, ont mis 10 ans de négociations pour réformer ;
- Mépris gouvernemental du Parlement qui est réduit à devoir voter pour ou contre les articles d’un texte alors que, même sous la Vème République au tropisme présidentiel très marqué, il devrait être associé à l’écriture de la loi ;
- Une tactique gouvernementale qui pense faire adopter sa réforme par l’usage, constitutionnellement contestable, de l’article 47-1 qui tronque le débat ;
- Mépris du ministre du Travail à l’égard d’un député socialiste demandant des précisions sur le nombre de personnes pouvant bénéficier d’une pension minimum de 1 200 €/mois : « Je n’ai pas à rendre de compte ni sur les canaux, ni sur la manière dont je fais les prévisions. ».
Finalement, ce propos d’un ministre, n’est-il pas plus ou au moins autant injurieux ou « subversif » ?
La méthode gouvernementale n’incite-t-elle pas l’opposition à user des outils que le pouvoir leur laisse, n’incite-t-elle pas à dégrader les débats et échanges au sein de l’Assemblée ? Ne nous laissons pas abuser et ne soyons pas comme ces gens qui déplorent les effets (invectives, outrances verbales voire injures inutiles), mais adorent et soutiennent les causes.
Vème République ou de la nécessité de rééquilibrer les pouvoirs entre exécutif et Parlement
L’une des causes principales est le déséquilibre délétère, mortifère pour la richesse pleine et ardente d’une démocratie à la fois politique et sociale, en attendant d’être également économique, le déséquilibre, donc, en faveur de l’exécutif aux dépens des Chambres parlementaires. Ce déséquilibre est clairement imputable à la constitution de la Vème République que toutes les composantes politiques du « dispositif » ont mentalement intégrée. Les articles « 47-1 » et « 49-3 » sont foncièrement antidémocratiques. À la différence d’un De Gaulle qui n’hésitait pas à mettre sa place en jeu au travers du référendum, ses successeurs non seulement ne l’utilisent pas, mais quand il leur est défavorable, ils s’accrochent au pouvoir. François Mitterrand est un cas d’école, lui qui pourfendait cette constitution, mais s’en est accommodé. Autre cas d’école est celui de Nicolas Sarkozy qui a méprisé l’avis du peuple et n’a pas hésité à s’asseoir sur le résultat négatif lors du referendum de 2005 sur le traité concernant l’Union européenne. L’autre cause est le mépris à l’égard des corps dits « intermédiaires » tels que les syndicats et les associations, le mépris à l’égard du peuple manifestant ou de la partie du peuple soutenant les contestations à la réforme.
Cela ne justifie pas, pour autant, la tactique contre-productive en regard de l’intérêt général et des couches populaires principales victimes de cette réforme antisociale, tactique qui risque de détourner une partie de l’opinion des vrais enjeux sociaux. Cette tactique est d’autant plus incompréhensible que le groupe parlementaire LFI a rédigé un document de fond, cohérent et crédible qui propose une alternative économiquement viable pour maintenir l’âge de départ possible à 62 ans. À leur décharge, le manque de temps de débat perturbe et empêche l’action parlementaire de se dérouler dans la sérénité.