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« Désmicardiser » la France… Chiche !

« Désmicardiser » la France est devenu un slogan du Premier ministre Gariel Attal. Le 28 mars il a même instauré un « haut Conseil des rémunérations » pour y réfléchir et proposer des mesures. Pour Gabriel Attal (qui n’a jamais été au SMIC) : « On a un système qui fait qu’il n’y a plus beaucoup d’intérêt pour quiconque d’augmenter les salariés qui sont au SMIC. L’employeur ça lui coûte(1)Souligné par nous. très cher, le salarié au SMIC, il va à la fin gagner moins ». Plus de trois millions de salariés, soit plus de 17 % dans le secteur privé non agricole sont payés au SMIC (1398,69 euros nets par mois ou 1766,92 euros bruts pour un temps plein). Dans le secteur agricole c’est encore pire la grande majorité des salariés sont des temporaires, souvent immigrés, souvent payés en dessous du SMIC.

Dans la fonction publique, les agents de catégorie C, dite d’exécution, touchent une rémunération globale autour du SMIC, primes comprises ; les cadres et enseignants commencent leur carrière avec une rémunération à peine plus élevée que le SMIC. La très grande majorité des « smicards » le restent toute leur vie d’actif et se retrouvent à la retraite avec des revenus encore plus bas. Gabriel Attal a raison, la France est bien un pays « smicardisé ».

Pourquoi ?

Le patronat a réussi à imposer son idéologie et son vocabulaire sur les salaires. Pour lui comme pour le gouvernement et la quasi-totalité des économistes, sociologues et universitaires, et hélas aussi pour certains syndicalistes, le salaire est un coût pour l’entreprise. Bien évidemment, c’est une imposture. Sans salariés, pas de travail et sans travail pas de profit, pas de ressources pour le patron. Depuis toujours, c’est le travail et le travail seul qui crée la richesse, ce n’est donc pas un coût, mais exactement l’inverse.

Certes, le patron paie la « force de travail » du salarié qui crée les richesses par son travail, mais il le rémunère sur la plus-value créée par le travail du salarié afin qu’il puisse continuer à fournir ce travail qui créera encore plus de richesses donc plus de plus-value, donc plus de profits. Cette vérité de base, même si elle est aujourd’hui contestée par le patronat comme par la littérature économique mainstream n’est pas nouvelle, Adam Smith (1723-1790) comme par la suite Karl Marx (1818-1883) l’ont très bien explicitée(2)« Travail salarié et capital », conférences de Karl Marx en 1847 devant l’Association des ouvriers allemands de Bruxelles et « Salaire, prix et profit » conférence de Karl Marx devant la direction de la Première Internationale. à leur époque et elle reste toujours d’actualité même si les époques ont changé. Aujourd’hui encore et sans doute pour longtemps, la seule source de création de richesse reste le travail et donc encore le travail salarié. Le salaire, la rémunération du travailleur, n’est donc pas un « coût pour l’entreprise », mais la rémunération plus ou moins juste selon le rapport de force d’un travail effectué pour créer de la richesse que s’approprie le patron parce qu’il est propriétaire de l’entreprise.

De tout temps les patrons ont cherché à diminuer la part revenant aux salariés afin de maximiser leur profit. C’est le principe de base de la smicardisation dans notre pays.

De tout temps les patrons ont cherché à diminuer la part revenant aux salariés afin de maximiser leur profit. C’est le principe de base de la smicardisation dans notre pays. Pour cela ils ont été aidés par les gouvernements, bien entendu ceux sous la présidence d’Emmanuel Macron.

Le salaire est constitué, depuis la création de la sécurité sociale dans notre pays, du salaire net que touche à la fin du mois le salarié et des cotisations sociales payées à la fois directement par le salarié et pour une part par l’employeur. Mais la partie payée par l’employeur fait bien partie du salaire global du salarié. C’est simplement une partie de salaire socialisée pour financer collectivement le système de protection sociale (santé, chômage, accident du travail, allocations familiales…), mais c’est bien une partie du salaire et non une charge comme le crie le patronat, le répètent les économistes ou les médias dans leur quasi-totalité. À nouveau, prétendre que cette partie du salaire est une charge est une imposture, qui malheureusement est aujourd’hui acceptée sans assez de contestation de la part des salariés et de leurs syndicats. Toute diminution de ces cotisations dites à tort patronales est en fait une diminution de salaire.

Depuis plus de quarante ans, sous la pression du patronat, au nom de la compétitivité, de la lutte contre le chômage et parce que le « coût du travail en France est plus élevé que chez nos voisins » (ce qui est très contestable selon les pays), les gouvernements ont tous exonéré les « entreprises » de cotisations sociales pour les salaires au SMIC et jusqu’à 3,5 fois le SMIC pour les cotisations familiales. Aujourd’hui, les exonérations des cotisations patronales sont quasiment totales jusqu’à 1,6 fois le SMIC, partielles jusqu’à 2,5 SMIC pour les cotisations maladie et jusqu’à 3,5 fois le SMIC pour les cotisations familiales. Au total, selon l’URSSAF, l’organisme chargé de leur récolte, elles représentent 73,6 milliards d’euros.

Ces exonérations de cotisations qui devraient alimenter les caisses des diverses branches de la sécurité sociale sont compensées par l’État. Autrement dit, le salarié au SMIC, et jusqu’à 1,6 SMIC, 2,5 ou 3,5 selon les cas, se voit doublement spolier. Une première fois parce que son salaire réel diminue d’autant et une seconde fois parce que les exonérations de cotisations sont compensées par l’État, c’est-à-dire par les impôts majoritairement payés par les salariés.

À cela il faut ajouter d’autres diminutions de contributions du patronat à la solidarité nationale telle la quasi-suppression du 1 % patronal pour le logement social ou la baisse des impôts pour les entreprises. Mais les « cadeaux au patronat » ne s’arrêtent pas à ces diminutions de participation, puisque l’État par ailleurs finance les entreprises et principalement les plus grandes avec une diversité de subventions, crédit d’impôt recherche, etc.

En même temps que le Premier ministre clame vouloir « désmicardiser la France », le gouvernement annonce une nouvelle réforme de l’assurance chômage pour en réduire les prestations et double la franchise sur les boîtes de médicaments. Comme toujours et depuis longtemps la politique réelle mise en œuvre est l’exact inverse des annonces. En clair il faut comprendre la « désmicardisation » de la France annoncée par Gabriel Attal comme une poursuite et une accentuation de sa « smicardisation ».

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Notes de bas de page
1 Souligné par nous.
2 « Travail salarié et capital », conférences de Karl Marx en 1847 devant l’Association des ouvriers allemands de Bruxelles et « Salaire, prix et profit » conférence de Karl Marx devant la direction de la Première Internationale.
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