NDLR – Cet article a fait l’objet de nombreux commentaires et amendements des membres de la Rédaction de ReSpublica, que l’auteur remercie ici.
Plus de 30 ans de politiques néo-libérales, d’intensification des politiques d’austérité, ont induit la croissance sans fin du chômage, de la précarité, de la pauvreté de masse, voire de la misère, la fin de l’espérance que nos enfants aient une meilleure vie que leurs parents, depuis 2012 la baisse de l’espérance de vie en bonne santé et de l’espérance de vie des femmes. Soit un recul sans fin des principes de la République sociale que sont la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la souveraineté populaire, la démocratie, la solidarité, le droit à la sureté, l’extension du champ du droit social grâce à la marche vers l’universalité des droits et des prestations, le développement écologique et social, etc.
Il y a plus de 50 ans déjà, Pierre Mendès-France nous mettait en garde contre le traité de Rome et la construction ordolibérale de ce qui est devenu l’Union européenne ! Et l’oligarchie engrange pour elle toujours plus de surplus malgré les crises. Bien qu’elle soit un « colosse aux pieds d’argile », elle renforce son pouvoir à chaque phase.
Et si on se posait la question de savoir si notre ligne politique, si notre ligne stratégique, sont à la hauteur des enjeux ? Si on se posait la question de savoir si dans la lutte des classes, nationale et internationale, nous avancions avec détermination ?
Nous avons avancé mais pas assez vite pour prendre l’oligarchie de vitesse au moment des crises. D’autant que la périodicité de ces crises s’accélère.
Bien sûr, nous avons digéré l’analyse de la mondialisation néolibérale avant les organisations qui n’avaient que la nation comme horizon (avec néanmoins 20 ans de retard sur l’oligarchie…) Mais le reste ?
Même Jacques Généreux a écrit au sujet de la ligne politique : « …en 2017, je suis convaincu que nous ne passerons pas de 11 % à 22 % en négligeant à nouveau la précision et la crédibilité de notre projet de sortie de crise. Coincé entre une droite qui récupèrera mécaniquement un part de son électorat sur les décombres de la débâcle socialiste et un FN qui exploitera pleinement les sentiments antieuropéen et antipolitique, le Front de gauche ne sera pas sauvé uniquement par l’antifascisme ou par l’écosocialisme, mais par sa capacité à offrir à tous un boulot, un salaire décent et un toit. À défaut, nous aurons tout le temps pour faire des colloques sur nos utopies créatrices puisque nous ne gouvernerons pas… »
Notre lecture de cette appréciation ne dévalorise à nos yeux (ni aux yeux, nous le pensons, de Jacques Généreux !) l’antifascisme et l’écosocialisme mais les rend inopérants si on ne déploie en même temps et en priorité la « …capacité à offrir à tous un boulot, un salaire décent et un toit ». Ce qui suppose une analyse juste de la crise, sans quoi la ligne et la stratégie ne peuvent que conduire dans des impasses.
Qu’en déduire sur la stratégie ?
Nous savons depuis longtemps que l’oligarchie néolibérale marche sur une jambe de droite et une jambe de gauche. N’empêche que lors des municipales de 2014, une partie importante du Front de gauche se trouvera dès le premier tour avec la gauche solférinienne sans contrepartie notoire (postes de permanents, marge de manœuvre politique, compromis sur la ligne, etc.)
Non pas que nous défendions la ligne de l’extrême gauche sectaire qui refuse toute alliance politique pour un rassemblement populaire mais nous voyons bien que la ligne de plus grande pente de la majorité de la « gauche de la gauche » n’est que le partage des postes d’élus ! Cela n’est pas acceptable, nous y reviendrons.
Ceux qui font ce choix soutiennent généralement que les municipales ne sont pas une élection importante et que ce qui compte, c’est de passer devant la gauche solférinienne aux européennes ! Triste analyse quand on sait l’importance de la cohérence politique pour les vote des citoyens !
Nous avons déjà dit, et nous y reviendrons, nos critiques sur les politiques économiques prônées par les directions des grandes associations altermondialistes et la plupart des partis politiques.
Mais si nous faisons nôtre la thèse ci-dessus de Jacques Généreux, il convient d’aller au bout du chemin et de connaître le chemin lui-même. Nous ne prendrons pas les pouvoirs sans les citoyens, sans les travailleurs. De deux choses l’une :
– Soit notre ligne politique et notre ligne stratégique sont bonnes et alors il faut se demander pourquoi les couches populaires ouvriers et employés qui représentent objectivement 53 % de la population n’y adhèrent pas. Pourquoi lors de la présidentielle de 2012, le vote Front de gauche a été choisi en cinquième préférence (après l’abstention, la gauche solférinienne, le FN et l’UMP) ? Si le 11 % de Jean-Luc Mélenchon furent une étape importante (comme l’a été l’apport d’Attac sur l’analyse de la mondialisation néolibérale dans la période 1998-2005), le passage futur de 11 % à 22 % n’aura rien d’automatique et nous considérons que pour cela, il faut modifier les lignes politique et stratégique.
– Soit nous estimons que les lignes politique du Front de gauche méritent pour le moins une cure de jouvence, et alors il faut dire sur quoi nous devons les faire évoluer. Il convient alors de revisiter les fondamentaux de la gauche de la gauche et de voir ce qui la sépare de la gauche de gauche et pour cela proposer des réponses aux questions que se posent les couches populaires et les couches moyennes intermédiaires.
Partir des aspirations principales et en venir ensuite aux politiques nécessaires pour assurer la cohérence d’ensemble
Les aspirations principales des salariés sont la lutte contre le chômage et la précarité, l’amélioration du pouvoir d’achat, une protection sociale solidaire, une école d’enseignement et d’ascenseur social, des services publics, un logement décent partout et pour tous, etc.
• Ce n’est pas la diminution de la durée hebdomadaire de travail ! Non pas que nous soyons hostiles à cette idée mais cela ne fait pas partie des aspirations principales. D’autant que la gauche solférinienne a déjà diminué les salaires avec les 35 heures, un comble !
• Ce n’est pas la décroissance, dont nous pourrions montrer que ce n’est qu’une revendication principale des couches moyennes supérieures radicalisées ! Cette revendication empêche la réflexion sur un projet anti-productiviste orienté vers un développement écologique et social.
• Ce n’est pas la parité hommes-femmes pour les élections politiques. Ce n’est pas une revendication des couches populaires car il y a bien longtemps, et c’est bien ce que masque la revendication paritaire, que les couches populaires ont été expropriées des postes élus. Depuis quand une femme de la bourgeoisie représenterait-elle les femmes des couches populaires ? Cette mise à l’écart des postes élus de ces femmes, qui sont la majorité, n’est-elle pas la plus scandaleuse ?
Cette revendication empêche toute avancée sur l’égalité entre hommes et femmes (22 % sur les salaires, 38 % sur les retraites, pauvreté grandissante dans les familles monoparentales, arrêt d’une politique massive de construction de crèches collectives et familiales, refus des gardes publiques à domicile, arrêt de création massive de centres IVG et de planning familial, sexisme dans les orientations scolaires, refus d’aller plus loin dans la lutte contre les violences faites aux femmes, etc.)
La priorité des salariés des couches populaires, ce n’est donc pas la prise en compte de la mondialisation néo-libérale, de l’impératif écologique ou des discriminations (même si, bien sûr, ils en sont affectés), comme le souhaiteraient les directions des organisations altermondialistes. Car leur orientation masque la bataille sur les principes de la République sociale que nous avons énoncés au début de ce texte.
La gauche de la gauche doit se refonder en une gauche de gauche
Pour cela, il faut partir de la volonté populaire (et non seulement de la volonté des militants et responsables d’organisations) pour aller vers la volonté générale chère à Condorcet et à Rousseau. Et d’abord donner la priorité à l’éducation populaire. Sous toutes ses formes, pas uniquement celle de conférences (même si c’est nécessaire surtout dans une conception interactive) mais aussi en théâtre-forum, en conférence populaire (sans conférencier!), en ciné -débat, en action cinématographique. Ne pas abuser de la forme meeting de la société du spectacle qui n’attire que les convaincus. Rompre avec les interventions successives et répétitives des partenaires des collectifs qui n’intéressent que les « chefs » des organisations.
Voilà le débat que nous proposons pour sortir des apories (contradictions antagoniques dans une même pensée) et des impasses (lorsque les priorités affichées par un projet ne sont pas celles des couches sociales qui sont censées le promouvoir).
Viendra ensuite la cohérence d’ensemble qui demandera de considérer les fléaux du capitalisme que sont avant tout le chômage et la misère du peuple, c’est-à-dire les inégalités économiques et sociales.
Pour cela, il conviendra de penser comment aller vers les changements nécessaires des rapports de production pour une reprise du développement des forces productives, incluant de nouvelles formes de propriété (dans le prochain numéro du journal, nous préciserons des propositions concernant l’entreprise).
Et donc démasquer ces « illusions réformatrices » qui se résument à prendre aux riches pour donner aux pauvres, à sortir de l’euro à froid, ou à y rester en attendant Godot (voir l’éditorial d’Evariste dans ce numéro)… pour enfin penser la « sanctuarisation » de l’ensemble services publics + école + protection sociale (que nous appelons sphère constitutive des libertés), c’est-à-dire son indépendance totale du marché en termes de financement, mais aussi la transformation du salariat en un ensemble de communautés productives de travailleurs associés, etc.
Et que vive enfin la République sociale!