De l’étranger, la facette la plus fascinante des protestations massives qui, depuis six mois, ne cessent d’ébranler l’ordre établi en Iran, réside dans leur caractère pacifique. Le silence des centaines de milliers de personnes qui ont marché dans les rues de la capitale pour contester les fraudes électorales, criait leur désir ardent de citoyenneté, entièrement bafouée par le système du « Velayat Fagih » (règne du guide religieux suprême).
Rien que de voir marcher côte à côte des femmes et des hommes qui ne prêtaient aucune attention aux habituelles frontières sexuées imposées par les tenants de l’ordre, nous renseignait déjà sur l’ampleur du défi auquel allait être confronté le régime iranien. Les slogans « A bas la dictature » n’ont effectivement pas tardé à retentir dans les rues des grandes villes iraniennes et, en dépit de la répression, le mouvement s’est étendu jusqu’aux petites villes où la facilité du contrôle policier rend les manifestations publiques plus difficiles.
En l’absence totale de droits politiques et de libertés fondamentales, et en présence d’une répression permanente, le caractère pacifique de ce mouvement était la condition sine qua non de son existence. Comme l’ont démontré les événements qui ont suivi, les aspects originaux de ce mouvement, à savoir son caractère horizontal et l’absence de tout centre de décision, sont devenus ses points forts en rendant inefficace la stratégie de répression engagée par le pouvoir. Les arrestations, les aveux médiatisés des prétendus repentis et les menaces n’ont pu arrêter le cours du mouvement de contestation qui a su utiliser chaque occasion pour se déployer.
Tous les moyens utilisés pour instaurer la terreur n’ont pu, pour le moment, empêcher les contestations. Mais, le silence pacifique a été brisé très tôt par une violence à de multiples visages : la police officielle, déjà plurielle : armée traditionnelle, pasdarans et bassidjis, a été renforcée par les « lebas shakhsi » (agents en civil), munis d’armes blanches et d’armes à feu ; les prisons officielles se sont étendues à des centres d’arrestation où la pratique des tortures, les viols et autres actes barbares nous est rapportée par des prisonniers. La pendaison du jeune militant kurde, Ehsan Fatahian, le 11 novembre dernier, annonçait déjà la volonté des gouvernants de procéder à des mises à mort pour étouffer les mécontentements.
Face à cela, la désobéissance civile a trouvé mille canaux pour mobiliser les jeunes et les moins jeunes. Chaque contestataire est devenu un correspondant de combat. La censure a été contournée par des médias invisibles et terriblement efficaces : téléphones portables et internet. La présence de centaines de milliers d’exilé(e)s iranien(ne)s qui soutiennent ce mouvement, l’a aussi indéniablement renforcé. Si une nouvelle vague d’exil s’enclenchait à cause de la répression, loin d’être un facteur de relâchement du mouvement en Iran, elle viendra grossir l’opposition à l’extérieur du pays. En effet, le pouls des contestations iraniennes bat dans le monde entier. C’est pourquoi les instances policières du régime multiplient leurs menaces envers les opposants à l’étranger.
Les tenants de l’ordre qui comptaient sur l’épuisement du mouvement, se confrontent, au contraire, chaque jour à de nouvelles vagues de contestation. Celles-ci amènent à une radicalisation des slogans qui visent de plus en plus clairement la plus haute autorité : le guide suprême.
Pour réprimer ce mouvement, les autorités iraniennes usent encore et encore de la violence. Ainsi, le caractère religieux de la cérémonie de l’Ashoura n’a pas empêché une répression sanglante des manifestants. Le nombre de personnes tuées est estimé de 9 à 38 personnes. Depuis, les arrestations se multiplient (près de 2 000 personnes arrêtées). Outre les personnalités politiques et les militants proches de Moussavi et Karoubi, les membres actifs des mouvements de la société civile, notamment les étudiants et les féministes, sont sur les listes noires du régime. Parmi les nouvelles arrestations, nous comptons des personnes telles que : Mansoureh Shujahi, traductrice et membre fondatrice de la campagne « 1 million de signatures pour l’abrogation des lois discriminatoires envers les femmes », Zoreh Tonékaboni, membre des mères pour la paix, Emadedin Baghi, journaliste connu et membre actif en faveur des droits des prisonniers, Ardavan Tarekamé, étudiant…
Dans ce contexte, une grande poussée de violence menace la société iranienne. La répression sanglante des manifestations non-violentes est un appel à d’autres violences. Il est urgent d’arrêter ce processus. Les défenseurs de la liberté et de la démocratie ne peuvent fermer les yeux sur la dégradation de la situation en Iran. La fin des violences nécessite une réponse immédiate et pacifique aux revendications légitimes du peuple iranien pour la reconnaissance de leurs droits citoyens élémentaires.
(Re-So, 2 janvier 2010)