Gérard Darmanin s’est dit « en guerre contre le trafic de drogue » quelques jours après qu’un « soldat » (selon les termes du ministre de l’intérieur français) a été tué par un dealer dans une rue d’Avignon. Gérald Darmanin s’est ensuite rendu sur les lieux du drame, et a renouvelé sa déclaration de « guerre », avant de s’en prendre aux consommateurs qui « financent et arment les trafiquants ».
À Bogota, ces déclarations surprennent, tant on y mesure ce que sont, en réalité, des années de guerre contre le narcotrafic. La Colombie, premier pays producteur de cocaïne depuis des décennies, a connu les jours terribles d’affrontements entre les cartels de de Cali et de Medellin, d’où Pablo Escobar se fera un nom identifiable dans le monde entier.
Les déclarations du ministre de l’intérieur français rappellent donc les heures sombres d’une Colombie dévastée par cette « guerre » des cartels et la lutte acharnée que la police colombienne menait contre eux à grand renfort de dollars envoyés par les États-Unis pour éradiquer les cultures de coca.
Pourtant la Colombie est toujours le premier producteur de cocaïne au monde (talonnée par le Pérou et la Bolivie), même si les grands cartels sont aujourd’hui mexicains. Et d’ailleurs, au Mexique, la « guerre » fait rage : ceux qui tentent de barrer la route aux trafiquants, élus, ministres, journalistes, policiers ou simples citoyens sont systématiquement exécutés.
Lorsqu’on déclare la « guerre » au narcotrafic, il faut avoir conscience du danger que l’on fait courir aux forces de d’ordre mais également aux citoyens. Les enjeux financiers sont énormes et ceux qui se livrent à ce trafic quels que soient les continents où ils exercent et leur niveau hiérarchique dans la société, sont des criminels sans foi ni loi.
En France, les drames de Grigny en 2016 et celui d’Avignon en 6 mai dernier ont mis en lumière la volonté de tuer et la détermination des trafiquants, même s’ils résident dans un même quartier depuis des années.
Or, l’argument pointant du doigt les consommateurs qui financeraient les achats d’armement des dealers parait bien simpliste. Et malheureusement, à l’exception du discours guerrier du ministre français, il manque à la lutte annoncée en France tout le reste : des moyens, un commandement et surtout, une stratégie.
Pourquoi le ministre français ne songe-t-il à « partir en guerre » (puisqu’il a l’air d’aimer cela) contre les pays producteurs, de cocaïne ou de cannabis, en brandissant des sanctions économiques, si rapidement invoquées en d’autres circonstances ?
En Colombie, la production ne diminue pas, le robinet reste ouvert, et des tonnes et des tonnes de cocaïne continuent de partir vers les États-Unis et vers l’Europe, c’est-à-dire vers des pays qui entretiennent tous les meilleures relations avec la Colombie. La menace de sanctions financières n’aurait-elle donc aucun effet ?
Et en France, peut-être serait-il temps de dépasser le stade des incantations pour mettre en place un véritable plan global, avec une vraie stratégie, des moyens accordés en ce sens aux forces de l’ordre, des formations adéquates, un commandement adapté. Un projet – un budget : voilà ce que devrait proposer un ministre au lieu de répéter à tort et à travers : « on est en guerre, un soldat est tombé ».
Or si des correctifs ne sont pas apportés rapidement, il est à craindre que tant la police que la population ne pâtissent ensemble des déclarations avant tout électoralistes.