Samedi 16 Mai 2009, Docks des Suds, Marseille, concert de rap. Keny Arkana. Deux à trois mille personnes ici réunies, reprennent en chœur les paroles endiablées de la môme. Keny Arkana est une grande chanteuse de rap, engagée, contestataire, elle anime une association : « La rage du peuple ». La rabia del pueblo, à Marseille, ce soir encore, loin des manifs de la Canebière, en appelle à la désobéissance civile, et je me demande pourquoi, comment, ces minots, dont certains ont plus de trente ans, connaissent par cœur les paroles d’Akhenaton, de la Rumeur, de Rocca, et de Keny Arkana. Eux qui ont du mal à apprendre la table de sept, sont capables de chanter pendant deux heures non-stop du rap. Du rap engagé, avec une conscience de classe, une conscience politique, une conscience sociale, une conscience humaine.
Ces jeunes dont beaucoup ne votent pas, ne voteront pas, alors qu’ils sont au centre de la destruction de masse et de classe de l’impérialisme. Le rap réhabilite le terme de ‘camarade’. ‘Ils ont peur de la liberté, camarade !’. ‘Combattant, Résistant, Militant, Indomptable, Insurgé, Insoumis, Rebelle Infatigable, Esprit libre, Vagabond ou Nomade… appelle-moi Camarade !. (1)Keny Arkana et le M.A.P (Ministère des Affaires Populaires)
C’est le retour du signifiant. Seul, il s’énonce, et ne rejoint pas le combat de classe, ni la structure, ni l’organisation. Ici, il y a plus qu’un hiatus, il y a un gouffre. Une névrose, un compromis névrotique entre l’insupportable d’une situation, son énonciation, et le non-détour de sa transformation. Cette jouissance de la plainte et du cri, est pathétique. Dans le même non-geste, elle nous envoie tous dans le mur, les premières victimes en tête, celles qui ne vont pas au bout des révoltes populaires.
La peur domine, voire la terreur, et le manque absolu de courage. Car il faut trancher, et arrêter de tergiverser quant aux réels qui cognent. L’absence d’identité de classe, ouvre la porte à toutes les identifications, ici positive, mais tellement dangereuse car réversible, affective, révoltée et non révolutionnaire. Surtout que rien ne change en vrai ! La plainte et la soumission aux discours des maîtres, d’où qu’ils viennent, font le lit du populisme.
Le Front de Gauche propose une alternative, courageuse, jusqu’au boutiste, il triangule le financier, le social et l’institutionnel, à la limite d’une révolution culturelle sans laquelle rien ne saurait aboutir dans le sens d’une émancipation réelle. Keny Arkana, en appelle à la subversion subjective et collective, ici réside sa force. La force, l’énergie, le courage pour chaque-un à s’énoncer comme sujet de son être en devenir dans un combat de classe acharné (2)Corcuff, Ph ; « Keny Arkana : un combat collectif, personnel et spirituel », Politis, 22 Mars 2007. La démarche du Front de Gauche, va dans le même sens lorsqu’elle propose la permanence de l’intervention citoyenne consciente et révolutionnaire.
Il y a un point où la rencontre échoue, ce point de tangence, de friction, ce qui pourrait faire tenir tous les registres ensemble : le courage engagé à transformer le désordre du monde, par et dans un acte subjectif. Passer de la revendication, de l’action, à la gestion, lier les trois par ce que l’on pourrait appeler une nouvelle subjectivité révolutionnaire.
La névrose des camarades, de tous ces jeunes, qui n’en peuvent plus, sont au bout du rouleau, conscients des dominations, mais non de l’organisation et de la lutte pérenne, cette névrose aux bénéfices secondaires pathétiques, bloque les processus en cours. Le 29 Mai devant l’Assemblée Nationale et le 7 Juin 2009, on peut déplacer le symptôme.
En 1930, Ernst Bloch dévoilait la contradiction de l’émancipation : « La pauvreté serait-elle abolie, on ne sort pas de l’aliénation, il y a toujours hasard, souci, destin et pas de remède contre la mort. Mais pour ce que porte en lui le camarade, c’est bien en lui-même qu’il faut chercher et non dans les (seuls) rapports économiques… Ainsi parla le communiste, il inquiéta l’autre… car l’homme est encore quelque chose qui reste à découvrir. » (3)Bloch, E ; «Traces », Gallimard, Paris, 1968