La tragi-comédie de toutes les droites doit être dénoncée

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Cet article propose une voie pour la gauche de transformation par une stratégie de constitution d’une union entre les ouvriers, employés, travailleurs des usines, des campagnes et des services et les classes moyennes. Comme toujours, dans le capitalisme, la lutte des classes s’opère à partir d’une démocratie bourgeoise, puis se constitue en trois blocs (gauche, extrême centre et extrême droite) pour finir par l’affrontement de la gauche contre l’union de toutes les droites, extrême droite comprise. La palinodie de l’exclusion d’office du NFP cache mal le reproche, en fait, d’une politique qui remet en cause, même à la marge, la doxa de la Commission européenne.

 

Par ailleurs, comme la conjoncture impose de se réunir pour avoir un débat sur la situation politique et discuter des éventuelles actions à mener. ReSPUBLICA organise à Paris une première réunion le vendredi 20 septembre prochain à 18 h au Maltais rouge...

Les années 1970-1983

Reprenons depuis le début de la séquence. La victoire de la gauche en 1981 ouvre une perspective de transformation sociale et politique grâce à une excellente stratégie de prise de pouvoir (discours contre-hégémonique, gauche rassemblée, volonté keynésienne liée à des modifications structurelles, etc.). La cause principale réside dans le fait qu’une majorité de la classe populaire ouvrière et employée a voté à gauche au second tour, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Ainsi, au premier tour du 26 avril 1981, les ouvriers ont voté à 33 % pour Mitterrand et à 30 % pour Marchais. Et au second tour, le 10 mai, 72 % des ouvriers ont voté Mitterrand. 

Capitulation de la gauche en 1983

Malheureusement, devant une résistance des forces du capital, le président Mitterrand capitulera en 1983 pour prendre le parti du capitalisme néolibéral et de l’orthodoxie ordolibérale européenne et engagera de fait les conditions de la croissance du FN, qui deviendra ensuite le RN. Puis la gauche regagne les élections de 1997, mais pour devenir le gouvernement qui privatise le plus de trésors, de patrimoine public français, qui fait passer dans le droit national la directive européenne « Solvabilité 2 »(1)Solvabilité II, surnom de la Directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, est une réforme réglementaire européenne du monde de l’assurance. qui va permettre de faire des mutuelles et des instituts de prévoyance des alliées des assurances privées du Medef, contre la Sécurité sociale, premier budget humain (641 milliards en 2024).

Puis intervient la proposition pour la gauche du club Terra Nova en 2011(2)Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? | Terra Nova (tnova.fr). d’abandonner les intérêts de la classe populaire ouvrière et employée et celle des territoires des « bourgs » ruraux et périphériques pour une stratégie économiquement bourgeoise (donc antisociale), mais qui s’allie avec ceux qui développent des revendications identitaires, communautaristes et sociétales dans les métropoles et leurs banlieues. Le corollaire est le développement du mépris de classe et dans certains cas du racisme de classe. On aurait voulu créer les conditions de la montée du RN vers le pouvoir, on n’aurait pas mieux fait. Hollande, élu « pour être l’ennemi de la finance », adopte in fine la stratégie de Terra Nova et crée donc toutes les conditions d’un nouvel épanouissement de l’extrême droite. Puis, toute la gauche dans son ensemble devient « terranoviste » jusqu’à la direction de LFI.

Le vote en faveur du Nouveau Front Populaire (NFP) d’un peu plus de 21 % (des votes exprimés) des ouvriers correspond à environ 14 % des ouvriers inscrits sur les listes électorales, alors que le théorème de la gauche de la fin des années 1970, qui a permis la victoire de 1981, est que sans la grande majorité de la classe populaire ouvrière et employée, on ne peut pas avoir la majorité absolue aux élections nationales. La ligne stratégique perdante de la gauche actuelle permet au Rassemblement national une progression fulgurante à l’élection européenne du 9 juin et du premier tour des élections législatives du 30 juin. Le peuple de gauche réagit pour éviter que le RN prenne le pouvoir et qu’il puisse truffer l’appareil d’État de nombreux hauts fonctionnaires d’extrême droite. Ce barrage réussit, mais empêche la déroute totale de l’extrême centre macroniste, grâce au vote de la gauche.

De fait, le funeste extrême centre macroniste tente de garder le pouvoir (malgré la sanglante répression contre les gilets jaunes, celle de la retraite à 64 ans pour les uns, mais à 67 ans ou 70 ans pour les autres, celle de la politique la plus antisociale de ces dernières décennies, etc.) en oubliant que la moitié des élus de l’extrême centre macroniste doivent leurs postes à la gauche. Il gagne la présidence de l’Assemblée nationale soutenue par LR canal historique. Il demeure à la tête du nouveau gouvernement « démissionnaire » avec l’intégration « voilée » de la droite dite à tort « républicaine ». C’est l’avant-dernière phase avant l’union de toutes les droites, RN compris. L’avenir nous dira si un accord anti-censure sera pris avec le RN. La probabilité d’un nouveau Premier ministre pilotant non pas une coalition, mais un ensemble de groupes de droite fluctuant, est probable. Mais tiendra-t-il la distance ? Oui, s’il y a un accord en sous-main avec le RN ou un accord peu probable avec LR canal historique et une partie substantielle de la gauche. Sinon, la démission du Président de la République serait le meilleur service à rendre à la France ! Mais qu’en pensent ses mandants du grand capital ?

« Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre. » Léon Gambetta

Les directions des organisations politiques de gauche devraient comprendre que le barrage, tout légitime qu’il soit, n’était pas une victoire, mais un répit. Et ce sera sans doute le dernier barrage dit républicain, tellement l’extrême centre macroniste a oublié dès la fin de la séquence électorale qu’elle a évité la déroute grâce aux voix de gauche. La gauche devrait comprendre qu’il faut alors changer de ligne stratégique pour ne plus être dans cette situation en juin 2025 s’il y a une nouvelle dissolution ou en 2027 dans le cas contraire. Et quand nous disons la gauche, cela vise toutes les directions des organisations du NFP. La gauche aurait dû comprendre, alors, que pour prendre le pouvoir, il va falloir avoir plus de 50 % des suffrages exprimés et non 30 % comme en juin 2024. D’autant que le vrai pouvoir est partagé entre la majorité (la vraie, l’absolue !) de l’Assemblée nationale, la technostructure de l’État, le pouvoir économique du grand patronat et, selon ses capacités de mobilisation, du mouvement syndical.

La gauche aurait dû comprendre, en lisant la constitution de la Ve République, que rien n’oblige le président de la République à placer au gouvernement le groupe arrivé en tête. La gauche aurait dû comprendre qu’il ne sert à rien de se plaindre — même si la stratégie politique est audible —, qu’on ne lui donne pas le pouvoir avec 30 % des voix exprimées (soit environ 20 % des inscrits), tout simplement parce que seul le rapport des forces avec plus de 50 % des suffrages exprimés peut le permettre. La gauche aurait dû comprendre qu’avec 30 % des suffrages exprimés et avec près de 100 députés manquants pour faire une majorité de 289 députés, le slogan « nous appliquerons tout notre programme » contre l’extrême centre et l’extrême droite était une ânerie d’enfant de classe maternelle. D’autant que les mesures phares du NFP peuvent être prises par décret, ce qui explique pourquoi le président de la République veut à tout prix ne pas avoir un Premier ministre issu du NFP. La volonté exprimée d’entamer une procédure de destitution du président de la République qui n’a que peu de chance d’aboutir signifie en filigrane qu’un président ne peut pas tout se permettre.

Quelle stratégie pour les forces de transformation sociale ? Que faire ?

Mais pour cela, il est nécessaire que la gauche redécouvre le primat de la question sociale, comprenne qu’il faut répondre à la lutte des classes engagée par le grand capital et, donc, qu’elle doit abandonner définitivement la stratégie bourgeoise de Terra Nova pour devenir le représentant largement majoritaire de la classe populaire ouvrière et employée et des couches moyennes intermédiaires.

Il serait également nécessaire que la gauche redécouvre le principe de laïcité comme ciment central de la classe populaire ouvrière et employée (dont la division par des assignations identitaires et communautaristes est mortifère pour la gauche) et du bloc historique populaire, seul à même d’être majoritaire face à la grande bourgeoisie et ses alliés. Le corollaire est que la gauche comprenne que les politiques bourgeoises, qu’elles soient identitaires, communautaristes, wokistes, subjectivistes voire solipsistes(3)Le solipsisme est une philosophie qui fait de la conscience propre l’unique réalité, ou une attitude qui privilégie la subjectivité. sont des maladies infantiles, ou pire, des cancers pour la gauche.  

Il faudrait que la gauche comprenne que le cœur du bloc historique populaire doit être le prolétariat (classe populaire ouvrière et employée alliée aux couches moyennes intermédiaires et non le lumpenprolétariat(4)Le lumpenprolétariat est, dans le marxisme, la partie du prolétariat la plus déclassée et la moins organisée. Il est décrit par Marx, Engels et Trotski comme un produit de la paupérisation sociale., même si une partie du lumpenprolétariat a sa place dans le bloc historique populaire) et la bourgeoisie intellectuelle des métropoles, cette dernière étant majoritairement plus réceptive à l’aliénation bourgeoise.

En ce mois de septembre 2024, on peut dire que le barrage anti-RN du début juillet 2024 n’est qu’un répit, une stratégie de « retraite » réussie. La position de la France restera précaire dans les neuf mois qui nous séparent d’une nouvelle possibilité de dissolution dans le cas probable d’un accroissement de l’austérité sociale, et donc, d’un plus grand mécontentement populaire. Mais l’agenda peut raccourcir les délais, car le 20 septembre approche qui doit voir la France proposer un programme de stabilité à l’Union européenne et début octobre devraient être votés le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Dans cette perspective, le nouveau gouvernement devra essayer d’éviter la censure d’une majorité de députés.

Si le Nouveau Front Populaire garde la même stratégie populiste (qui divise de façon violente le prolétariat et la classe populaire, par un antagonisme identitaire) que lors des élections de juin 2024, ce sera du nouveau carburant pour l’extrême droite, qui accroîtra sa pression pour tenter de créer in fine l’union de toutes les droites, RN compris. Ou dit autrement, une italianisation de la vie politique française.

Pourquoi la probabilité est forte de voir l’accroissement de l’austérité sociale et donc du mécontentement populaire ?

C’est parce que le capitalisme n’est plus capable de fournir de grands dividendes aux grands actionnaires sans un ruissellement du bas de l’échelle vers le haut, vers les plus riches : aides des entreprises sans contrepartie, diminution des cotisations sociales qui assurent une grande partie de la nécessaire redistribution sociale, augmentation différentielle de la part des impôts payés par les catégories les plus défavorisées via, par exemple, la TVA, perte de pouvoir d’achat, etc. 

Double besogne : amélioration des conditions de vie et transformation sociale

Voilà pourquoi la « double besogne »(5)Liaison des revendications immédiates avec le modèle politique souhaité. promue en son temps par Jean Jaurès d’une part et par la Charte d’Amiens de la CGT en 1906 d’autre part est indispensable. Il s’agit de répondre aux revendications légitimes immédiates des travailleurs et de leurs familles, mais également de les inscrire dans un projet holistique d’avenir selon la stratégie de l’évolution révolutionnaire (Marx 1850, Jaurès 1902).

Tout cela est bien différent des stratégies uniquement basées sur des programmes, sans préciser les modes de fonctionnement et d’articulation de tous les acteurs. Il est facile et illusoire pour une « secte » gauchiste sans lien avec les masses populaires de construire un programme sans projet d’ensemble qui n’a donc aucune chance d’être appliqué. Concevoir un projet d’ensemble est d’une tout autre envergure qu’élaborer un simple programme, aussi avant-gardiste soit-il. 1936 avait un programme minimal (dissolution des ligues factieuses principalement) et c’est le mouvement social de grève avec en tête un projet d’ensemble qui entraîna les grandes réformes de 1936, idem en 1968.

Hégémonie culturelle

Mais pour qu’un projet d’ensemble soit repris par la classe populaire ouvrière et employée et son bloc historique populaire, encore faut-il combattre l’aliénation qui touche tout individu sans exception et donc mener le combat pour une nouvelle hégémonie culturelle, sans laquelle toute transformation sociale et politique est impossible, deviennent donc centrales la formation politique des militants et l’éducation populaire refondée pour toutes et tous. L’abandon de ces deux piliers par la plupart des organisations politiques et syndicales de gauche est dramatique. Cela aboutit à une gauche qui vacille sur ses principes, qui n’arrive plus à empêcher les droites et le patronat de supprimer des conquis théoriques et pratiques, jusqu’à ne plus être une gauche de transformation.

Par exemple, vouloir une bifurcation politique et sociale qui améliore l’homme et la société, qui assure le perfectionnement intellectuel et social de l’humanité,

  • et ne pas être capable de citer les cinq branches de la Sécurité sociale et les caractéristiques révolutionnaires de sa création (premier budget humain aujourd’hui de 641 milliards d’euros), ce joyau populaire naguère, aujourd’hui mis mal en point par le capitalisme néolibéral,
  • et ne pas être capable de faire la différence entre des services publics authentiques et les ersatz « canada dry » promus sous contrainte par l’ordolibéralisme européen (ses SIEG, SSIG et tout son carcan antisocial de « concurrence libre et non faussée »),
  • et ne pas être capable de contester une école qui n’assure plus la mobilité sociale, qui n’assure plus la formation du futur citoyen, qui est redevenue uniquement un lieu de reproduction sociale et de relégation pour la classe populaire ouvrière et employée et pour toutes les catégories défavorisées et précarisées,

Cette incapacité dégage la route pour la montée de l’extrême droite. L’école, les services publics et la Sécurité sociale correspondent à la sphère de constitution des libertés indispensable pour tout partisan d’une République sociale.

Le vote des législatives de 2024 n’ouvre pas la voie au changement, car elle ne donne pas la majorité absolue à la gauche

Le gouvernement réel continue sur sa lancée. Prenons un exemple simple : la première circulaire « MIGAC-DAF-PSY-SMR, etc. » est signée le 13 juin 2024 pour les crédits du financement des hôpitaux via les Agences régionales de santé. L’austérité est renforcée au moment où les hôpitaux doivent rémunérer les remplaçants et les renforts d’été. Prenons un second exemple : fin août 2024, les dépenses prévues en 2025 au ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités seraient, d’après le journal Le Monde, « ramenées à 53,2 milliards soit 2,9 milliards de moins que dans la loi de finances initiale de 2024. En matière d’autorisations d’engagement, qui incluent des dépenses susceptibles de s’échelonner sur plusieurs exercices, la baisse atteindrait 3,2 milliards d’euros. Soit, dans les deux cas, une diminution comprise entre 5 % et 6 %. » Pour les investissements du Ségur de la santé, c’est une diminution « de 1 milliard d’euros. Enfin, pour les dépenses concernant le travail et l’emploi, le coup de rabot envisagé se révèle assez puissant, avec une baisse de 11 %. »

Autant dire que la dynamique austéritaire du bloc bourgeois continue le serrage de vis pour la majorité de la population et continue de restreindre l’État de droit social. L’agenda de l’intégration et de la fédéralisation ordolibérale de l’Union européenne ne change pas. Cela nous rappelle que seule une gauche de transformation qui tient compte des réalités du XXIe siècle(6)Sursaut écologique, nécessité de prioriser le combat contre l’exploitation du capital, combat de toutes les politiques identitaires qui se propagent dans l’ensemble de l’arc politique, développement des principes de la République sociale qui tous ont été supprimés ou amoindris par le néolibéralisme et l’ordolibéralisme européens : liberté, égalité, fraternité, démocratie, laïcité, souveraineté populaire, universalité concrète, sûreté et sécurité, solidarité, développement écologique et social. peut réussir à former un bloc historique populaire autonome majoritaire sans lequel aucune bifurcation politique n’est possible. Toute velléité de permettre un élargissement de l’extrême centre bourgeois à une gauche d’accompagnement se heurterait à la dynamique du capital, dynamique qu’un bloc bourgeois ne peut pas enrayer. Mais le fait que le NFP ne soit qu’un cartel électoral montre bien les limites de la configuration actuelle de la gauche. Il a suffi que LFI demande l’application de l’article 68 de la Constitution posant le processus de destitution du président de la République (si ce dernier ne nomme pas Lucie Castets comme Première ministre) pour enregistrer les désaccords stratégiques au sein du NFP. Se mettre d’accord sur un programme sans définir la ligne stratégique à suivre pour l’appliquer est un manque évident pour vaincre à terme.

En attendant, réservez le 1er octobre pour participer à la grande journée de grève et de manifestation syndicale !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Solvabilité II, surnom de la Directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, est une réforme réglementaire européenne du monde de l’assurance.
2 Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? | Terra Nova (tnova.fr).
3 Le solipsisme est une philosophie qui fait de la conscience propre l’unique réalité, ou une attitude qui privilégie la subjectivité.
4 Le lumpenprolétariat est, dans le marxisme, la partie du prolétariat la plus déclassée et la moins organisée. Il est décrit par Marx, Engels et Trotski comme un produit de la paupérisation sociale.
5 Liaison des revendications immédiates avec le modèle politique souhaité.
6 Sursaut écologique, nécessité de prioriser le combat contre l’exploitation du capital, combat de toutes les politiques identitaires qui se propagent dans l’ensemble de l’arc politique, développement des principes de la République sociale qui tous ont été supprimés ou amoindris par le néolibéralisme et l’ordolibéralisme européens : liberté, égalité, fraternité, démocratie, laïcité, souveraineté populaire, universalité concrète, sûreté et sécurité, solidarité, développement écologique et social.