Le cache-cache économique du Rassemblement National

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Le Rassemblement National (RN) a publié le 14 septembre son « programme économique » en vue des élections à venir. Une partie du patronat avait estimé le programme du RN pour les législatives irréaliste et inapplicable. Aussi, ce dernier s’est évertué à rassurer le patronat en présentant un programme « pro-business » accentuant l’exploitation des salariés, souvent camouflé par un vocabulaire imprécis et trompeur. Ce programme, élaboré fin 2023 début 2024, a été soigneusement dissimulé au public durant la période électorale des législatives de juin/juillet 2024. A noter par ailleurs que la presse en a fait peu état. Parmi les quelques articles publiés, il y en a eu très peu pour produire une analyse critique. C’est comme s’il ne fallait pas contredire les affirmations mensongères du RN qui lui permettent de capter une partie de l’électorat populaire.

Démagogie

La lecture du « livret » du RN fait apparaître une très forte démagogie avec des mesures qui ne seront jamais appliquées, une poursuite des politiques d’aides aux grandes entreprises sans réels engagements, une accentuation des politiques économiques néolibérales souvent cachée derrière un vocabulaire abscons et un fouillis dans l’organisation du « livret ». Ce livret a surtout pour but d’envoyer un message politique au patronat en vue d’une éventuelle accession au pouvoir du RN.

Après une critique acerbe et classique de la politique économique de Macron, le RN aborde ses propositions. Pour ne pas ennuyer le lecteur, nous nous limiterons essentiellement à deux de ces politiques, l’éducation nationale et l’économie dans ses diverses approches par le RN.

L’éducation nationale

Le RN estime que sa déstructuration est une des causes essentielles du déclin de la France. Il propose de :

  • « Reprendre en main le contenu et les modalités des enseignements, et valoriser l’enseignement professionnel…, » « le diplôme national du brevet deviendra donc un examen d’orientation post-3e : en fonction des résultats de l’élève, celui-ci sera orienté vers l’enseignement général, technologique ou professionnel, ou vers l’insertion professionnelle par l’apprentissage » ;
  • « Soutenir les jeunes et les entreprises faisant le choix de l’apprentissage ou de l’alternance ; adapter l’offre de formation initiale et continue aux besoins réels des branches professionnelles » ;
  • « Soutenir financièrement les étudiants qui travaillent en parallèle de leurs études… par un complément de revenu de 200 € maximum et 300 € maximum pour les boursiers ».

En clair, il ne s’agit pas de former des citoyens capables de s’insérer dans le travail et de participer à la vie de la cité, mais de fournir au patronat une main-d’œuvre adaptée, après une sélection encore accentuée dès la fin de la troisième. A ce stade, la sélection s’effectuera donc sur des critères sociaux, la bourgeoisie doit conserver ses privilèges. C’est une conception exclusivement utilitariste de l’éducation et de l’instruction publiques. On est loin de l’idée républicaine selon laquelle il ne faut pas conformer les futurs citoyens à des dogmes religieux, idéologiques ou politiques, mais développer leur autonomie de jugement. En cela, cette conception rejoint les précédents ministres de l’Education nationale dans leur réforme visant à caporaliser la fonction enseignante. Une école authentiquement républicaine doit marcher sur ses deux pieds : former des citoyens et des producteurs.

L’économie

Tropisme pro riche

Commençons par lister les mesures qui ont disparu du programme afin de ne pas fâcher le patronat. Les propositions liées au pouvoir d’achat des ménages ont disparu. Elles s’avèrent coûteuses pour les finances publiques et pas du tout pour le patronat. Elles visent à convaincre la population du caractère sociale de son programme : la réduction de la TVA sur les énergies, la TVA à 0 % sur les produits de première nécessité. Mais, paraît-il, le RN en a « parlé deux cents fois » : elles resteraient donc au programme. En revanche, des mesures coûteuses pour les patrons ont bien disparu corps et âmes : la taxe sur les rachats d’actions, la taxe sur les dividendes dits « excessifs », la « flat tax » plafonnée, instaurée par E. Macron pour soulager la « ponction » sur les revenus du capital. La disparition de ces trois taxes vise à un « rééquilibrage fiscal vers les plus fortunés » d’après le député RN de la Somme qui a élaboré ce programme. Nous avions tous remarqué que Macron avait massacré d’impôts les plus riches et qu’ils s’étaient considérablement appauvris sous ses quinquennats !

Bref, « on ne prête qu’aux riches » comme le dit l’adage.

Incohérence économique

Venons-en aux propositions qui forment un assemblage hétéroclite, sans cohérence économique, mais qui toutes visent à permettre aux milieux patronaux d’avoir les mains libres. La puissance publique et les finances publiques doivent se mettre à leur disposition.

  • « Encourager l’investissement en créant un fonds souverain par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts, en y affectant les autoroutes, les infrastructures pour le sécuriser, pour encourager les Français à investir ». Cette proposition est incohérente et n’a aucun sens économique. En effet, si les autoroutes à péage construites avec l’argent public sont ultra-rentables pour les sociétés privées qui les exploitent aujourd’hui, ce n’est pas le cas des infrastructures en général, qui demandent toutes des fonds publics pour leur construction, comme pour leur exploitation (le rail, les routes, les bibliothèques, les écoles, etc.).
  • « Simplifier l’environnement réglementaire et lancer une simplification législative et réglementaire, en liaison avec l’ensemble des acteurs (État, entreprises, syndicats) » et pour cela « supprimer les seuils sociaux » qui est une vieille revendication du patronat. Comme toujours, ce type de dispositions cache le laisser-faire pour le capital et les multinationales. Macron a déjà fait beaucoup dans ce sens avec une série de lois telle la loi 3DS qui permet aux préfets de déroger selon leur bon vouloir à quasiment toutes les lois et normes dans les domaines de l’environnemental, de l’urbanisme, de la construction, de l’aménagement du territoire, etc. Il s’agit donc d’accentuer cette politique, l’État devenant la chose des multinationales, afin de permettre, à leur discrétion, de faire leur « business » et de réaliser leurs profits. C’est une politique libertarienne d’extrême droite du style de Javier Milei en Argentine.
  • « Pérenniser et simplifier le crédit d’impôt recherche et le crédit « impôt innovation », soit pérenniser les cadeaux et les subventions publiques sans contrepartie aux grandes entreprises qui reçoivent l’essentiel de ces crédits et les utilisent le plus souvent pour fermer leurs centres de recherche et distribuer des dividendes aux actionnaires.
  • « Exonérer d’impôts sur les sociétés pendant cinq ans les entreprises créées par un jeune de moins de trente ans », mesure sans doute anticonstitutionnelle et qui ressemble plus à du « marketing » électoral qu’à une mesure économique.
  • « Enrayer la fuite des talents et des capitaux, exonérer d’impôt sur le revenu les moins de trente ans et transformer l’IFI en IFF (impôt sur la fortune financière) pour taxer la spéculation, mais en excluant la résidence principale, les biens professionnels (soit les entreprises et leurs capitaux) et les œuvres d’art » (soit une grande partie des richesses des riches). Ici, le RN se moque du monde, ces propositions démontrent son peu de sérieux. Comment imposer les fortunes financières cachées dans les paradis fiscaux dans ces conditions ? C’est pure démagogie.
  • « Développer la priorité nationale économique… flécher prioritairement les efforts fiscaux et sociaux de l’État ainsi que la commande publique vers les acteurs français, entreprises et ménages », « compléter la priorité nationale « sociétale » par la priorité nationale économique ». Nous retrouvons ici l’obsession raciste de la priorité nationale du RN. « Réformer le code des marchés publics pour y intégrer la priorité nationale et favoriser les TPE/PME/ETI ».
  • « Valoriser les secteurs économiques de la « Marque France ». Garantir la pérennité des secteurs d’excellence française en particulier liés au patrimoine et au luxe en soutenant une économie touristique de qualité ». Cela revient à soutenir une économie de la rente, ce qui implique une politique de bas salaire et de désindustrialisation accentuée, soit une accentuation de la politique macroniste.

Revaloriser les revenus du travail

  • « Permettre aux entreprises d’augmenter les salaires de 10 % en les exonérant de l’augmentation des cotisations sociales pendant trois à cinq ans ». Il s’agit encore d’une entourloupe vis-à-vis des salariés, qui dans ce schéma se payent la propre augmentation de leur salaire net en diminuant leur salaire brut qui est leur véritable salaire, le paiement de leur force de travail. C’est oublier que les cotisations sociales constituent un salaire différé que les salariés retrouvent au travers des services publics (santé publique, école publique, transports publics…). C’est une mesure qui ne coûte rien au patronat, mais que les salariés payent deux fois : une fois avec la diminution de leur salaire brut et une fois partiellement par leur impôt, qui alors va suppléer les cotisations sociales tout en dégradant le système de protection sociale du pays.
  • « Mettre fin aux trappes à bas salaire en supprimant les salaires de branche inférieurs au SMIC et en lissant la progression des charges sociales ». C’est de la pure démagogie également, car c’est théoriquement interdit, ce qui n’empêche pas le patronat de le pratiquer.
  • « Une conférence sociale devra, sous un an, proposer un nouveau modèle d’équilibre des cotisations sociales afin d’éviter les effets de seuil », soit en fait supprimer les seuils ou les augmenter de telle sorte qu’ils n’aient plus d’effets concrets conformément aux exigences du MEDEF.

L’emploi

« Favoriser l’emploi des Français » et « Appliquer la priorité nationale, à compétence égale, pour l’ensemble des postes à pourvoir en France », « Lutter contre le travail clandestin, facteur de concurrence déloyale pour les travailleurs peu qualifiés ». C’est encore la préférence nationale discriminatoire, voire raciste.

Du syndicalisme

« Recréer les conditions d’une véritable liberté syndicale. Un dialogue social apaisé favorise la productivité des entreprises. Aussi, pour répondre au taux anormalement faible de syndicalisation observé en France, qui reflète la volonté des salariés de disposer d’un choix élargi, la création de nouveaux syndicats sera facilitée et les candidatures libres autorisées. Les syndicats seront également soumis aux règles et aux modalités de contrôle financier qui s’appliquent aujourd’hui aux partis politiques ».Soyons clairs, le RN cherche depuis longtemps à s’implanter dans l’entreprise en créant des syndicats liés au parti et en faisant de l’entrisme dans les syndicats historiques. Cette disposition a uniquement ce but et pas celui de développer le syndicalisme des salariés, surtout lorsque l’on connaît « l’amour » du RN pour les syndicats de salariés, tout particulièrement pour la CGT. C’est la vision d’un syndicalisme maison favorable au patronat.

Des retraites

« Réformer les retraites dans une logique de performance économique et de justice sociale », « Mettre en place un système de retraites progressif pour favoriser l’entrée précoce sur le marché du travail et prendre en compte la pénibilité réelle des emplois faiblement qualifiés ». En bref, c’est une nouvelle proposition vague qui n’est pas l’abrogation de la réforme Macron, simplement un ajustement à la marge. Le RN se donne à peu de frais la posture du défenseur du système des retraites alors qu’il se situe dans l’esprit macroniste.

Mettre l’État au service de la prospérité nationale

  • « Nous rééquilibrerons l’action publique en renforçant les moyens et les agents sur le terrain, au service direct des entreprises ». Au moins pour une fois c’est clair : ce n’est pas l’intérêt général le but de l’action publique, mais l’intérêt des … entreprises, autrement dit du patronat.
  • « Rationaliser la dépense publique après 50 ans de déficits non contrôlés » « Le programme du Rassemblement national prévoit un grand plan de réduction de la dépense publique afin de faire baisser le taux de prélèvements obligatoires de 46 à 40 % du PIB à moyen terme ». De fait, le RN propose la même politique (en pire ?) que celle du gouvernement actuel sur « les déficits publics ».
  • « Réduire la dépense sociale par la mise en place de la priorité nationale », « Étant donné l’état de nos finances publiques et de notre système de protection sociale, nous réduirons drastiquement l’immigration et instaurerons la priorité nationale dans l’accès aux prestations sociales ». C’est la confirmation d’une volonté discriminatoire faisant de l’immigration le bouc émissaire de tous les maux de notre société sans toucher aux vraies causes générées par le système économique ultralibéral.
  • « Réduire les postes « administratifs » au profit des postes « métiers » dans tous les ministères (dont en priorité l’éducation et la santé) ». En clair, ce sera moins de personnels partout. Certes, aujourd’hui avec toutes les réformes de l’État depuis plus de quarante ans, le pays est à la fois sous- administré et sur-bureaucratisé, la décision de passer au tout numérique et le « new-management public » dont le RN ne dit mot, n’y étant pas pour rien. Ce genre de promesse, sur fond d’anti-fonctionnaire primaire, se solde en général par une diminution drastique des personnels réellement au service du public..

Conclusion : un programme antisocial

Le bricolage économique de ce programme, son incohérence a peu d’importance. Il s’agit pour le RN de passer un message politique au patronat qui n’a pas encore viré RN(1)Voir à ce sujet les N° 1110 et 1111 de ReSPUBLICA. : « Laissez-nous prendre le pouvoir politique, votre pouvoir économique en sortira renforcé, vous vous y retrouverez. » Le véritable tour de force du RN est qu’avec un programme économique aussi défavorable aux salariés et aux classes populaires, il arrive à capter une partie importante de ces couches sociales en donnant le change, en s’adressant à elles dans sa propagande tout en se gardant bien de dire la vérité sur ses positions économiques. Le drame par ailleurs est que la gauche — quasiment sans exception — a renoncé à s’adresser aux classes populaires.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir à ce sujet les N° 1110 et 1111 de ReSPUBLICA.