« Comparaison n’est pas raison » et les analogies historiques sont parfois trompeuses. La gauche unie est partie à la bataille de ces législatives anticipées sous le vocable « Nouveau Front Populaire ». À l’expérience, cette bannière fut mobilisatrice, bravo ! Mais l’épisode politique que nous venons de vivre s’apparente davantage au 6 février 1934 qu’aux événements de mai et juin 1936. En ces journées de juin et début juillet 2024, l’extrême-droite a eu sa chance. Elle l’a laissée filer de peu, car au vu des résultats du premier tour, elle pouvait conquérir l’État avec seulement un tiers de suffrages exprimés. Il s’en est fallu d’un rien pour que le « putsch légal » ne réussisse !
« Putsch légal » ? Cette expression est-elle exagérée ? Absolument pas si l’on déroule le film des événements que nous venons de vivre depuis le dimanche 9 juin, date du scrutin des élections européennes et de l’annonce par le président de la République de la dissolution de l’Assemblée nationale.
Le « coup de force » du 9 juin
Ce soir-là, le résultat des élections européennes donne l’extrême-droite à pratiquement 38 % des suffrages exprimés, 37,77 % plus exactement en additionnant les voix des listes Bardella, Zemmour et Philippot. La liste macroniste s’effondre et la gauche est plus divisée que jamais. C’est dans cette conjoncture que, moins d’une heure après la fermeture des bureaux de vote, Macron annonce la dissolution du parlement.
Quelles sont les motivations obscures de ce coup de théâtre ? Pour le moment, il n’y a aucune explication rationnelle. C’est la décision d’un homme seul, d’un homme faible. L’épouvantable constitution de la Vème République lui en donne, hélas, le droit. Immédiatement, on peut lire un total désarroi sur le visage du Premier ministre, Gabriel Attal : le président vient de tuer la majorité présidentielle. Un enfant de CM2 le comprendrait : l’extrême centre macroniste n’a pas la moindre chance de préserver le score de 250 députés qu’elle a enregistré aux élections législatives de 2022. Cette dissolution est un suicide politique ! Pourquoi un tel geste ? Nul ne le sait vraiment. On sait uniquement aujourd’hui qu’un groupe de conseillers élyséens était à la manœuvre depuis plusieurs semaines pour pousser à la dissolution. À qui obéissent-ils ? Mystère. Toutefois, l’on peut affirmer que ce lobby est en contact avec une fraction du patronat réunie autour des milliardaires Vincent Bolloré et Pierre-Edouard Stérin… La décision de dissoudre est restée secrète, seul le lobby des conseillers factieux en question et trois personnalités politiques étaient dans la confidence. La surprise a été totale ! Le coup de force politique a pu commencer.
Dès le lundi 10 juin, la manœuvre politique se déploie.
Le « putsch légal » est en marche
Première étape : l’extrême droite ne forme plus qu’un bloc compact. Le mouvement Reconquête de Zemmour éclate soudainement. Marion Maréchal Le Pen, élue en tête de liste aux Européennes, rallie le RN et rentre au bercail. Elle est suivie par tout l’appareil du parti constitué de militants identitaires et néo-fascistes. Le « fixeur » Zemmour a fait son office, il est jeté aux poubelles de l’histoire après avoir rempli sa mission. Propulsé par une énorme campagne médiatique à la présidentielle de 2022, Zemmour a « rabattu » la frange la plus réactionnaire de l’électorat des « Républicains » vers le vote RN… maintenant il peut disparaître !
Deuxième étape : le président de LR, Eric Ciotti, se rallie au RN dès lundi aux aurores. Après un petit déjeuner avec Bolloré et ses conseillers, il court-circuite les instances de direction du parti de la droite et impose son choix. Les « barons » post gaullistes tenteront bien d’envahir le siège de l’organisation, mais en vain. Ciotti sait fort bien, certainement par la réalisation d’audits juridiques, qu’il est « indéboulonnable » de son poste de président. La justice lui donnera d’ailleurs raison quelques jours plus tard et à plusieurs reprises.
Troisième étape : l’offensive médiatique commence : en fer de lance, le groupe Bolloré autour de Canal +, l’armurier Dassault le suit de près avec le groupe Le Figaro. Le journal de la droite française ne condamne pas Ciotti. Plus fort, le rédacteur en chef fait deux éditos clairement pro-Bardella ! Le groupe média du milliardaire Kretinsky reste dans l’expectative, ce qui favorise le désarroi et la confusion dans la population.
Ultra raccourcie volontairement par Macron, la campagne électorale est réduite à trois semaines. Or, à moins de vingt jours du scrutin, l’extrême-droite semble réunir tous les atouts pour l’emporter au débotté. En effet, elle pèse 38 %. sur le papier. Avec Ciotti et son aréopage, elle dépasserait peut-être les 40 %. L’extrême-droite peut même espérer une « dynamique de victoire » en jouant sur un effet de souffle. Certains politologues parlent de course vers les 45 %. À quinze jours du premier tour, leur victoire est à portée de main !
Car qui pourrait résister à la déferlante d’extrême-droite ? La première semaine de campagne, la Macronie est aux orties et la gauche en querelle. L’extrême-centre est éclaté, façon puzzle. Un brouhaha incompréhensible règne dans cette tendance politicienne : la Macronie est en passe de s’effondrer tel un soufflé trop cuit. Rappelons qu’il s’agit en plus d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours qui favorise et amplifie le score du bloc politiquement le plus important et le plus homogène. Seul un improbable « front républicain » peut faire barrage au RN.
Du fait de l’implosion du centre, la seule condition préalable d’un sauvetage in extremis est que la gauche arrive à se rassembler pour former, elle aussi, un bloc politique.
Or, cette dernière vient de sortir d’une campagne européenne dévastatrice. Entre la liste Glucksmann du PS, parfois qualifié de « sioniste » et la liste LFI où figure en bonne place l’avocate franco-palestinienne Rima Hassan, rien ne va plus. Le 7 octobre et la guerre de Gaza sont passés par là. Pour les factieux de l’Élysée et du groupe Bolloré, la gauche semble définitivement irréconciliable. Pour Bardella-Bolloré-Stérin, c’est donc le moment ou jamais. Certes, le député Ruffin (soutenu entre autres par ReSPUBLICA) propose bien la constitution d’un nouveau front populaire… Mais, vers le 15 juin, cet appel ressemble plus à un vœu pieux qu’à une perspective crédible de rassemblement de contre-attaque.
La résistance s’organise
Par bonheur, l’incroyable se produit. La Raison l’emporte. La gauche éclatée trouve dans un ultime effort la force de s’unir malgré tout ! La présentation d’un candidat unique « Nouveau Front Populaire » dans chaque circonscription ou presque inverse la logique perdante. La mobilisation citoyenne commence. Elle va casser net la « dynamique de victoire » de l’extrême-droite. Celle-ci ne franchira pas la barre des 40 % escomptés.
Pour briser la déferlante de Bardella-Le Pen, une autre condition était indispensable : une forte mobilisation de l’électorat. C’est ce qui arrive au soir de premier tour avec 67 % de participation. Le peuple français émerge de sa torpeur. Le résultat est là : le RN plafonne à 29 % et son alliance avec Ciotti et consorts ne cumule que 33 %. La masse critique des plus de 40 % n’est pas atteinte. C’est le reflux de la vague brune.
Le plus dur reste à faire : comment éviter les « triangulaires » qui favorisent de fait le RN ? Comment obtenir le désistement des candidats Renaissance en réciprocité de celui des candidats NFP ? Bien sûr, le rassemblement unitaire de la gauche a eu un effet d’entraînement. Toutefois, il n’aurait pas été suffisant. Il fallait que d’autres forces s’en mêlent… et des forces puissantes sur le territoire français.
À y regarder de plus près, l’essentiel des médias influencés par la « gauche américaine », c’est-à-dire sous influence de l’OTAN, a sonné la charge contre le RN. Libération ou Mediapart sont partis en campagne contre Bardella -Le Pen. Et c’est logique, car ce sale coup de Macron contre la République est aussi un coup bas contre l’Ukraine, contre l’OTAN… et du pain béni pour Poutine à Moscou ! Ne faisons pas la fine bouche : dans les circonstances politiques dramatiques actuelles, les ennemis de nos ennemis sont nos amis ! Au moins, ayons conscience de la composition de l’arc de résistance anti-RN !
Bref, un « front républicain de fait » se constitue et a barré la route au second tour hier soir au « putsch légal » de l’extrême-droite.
Tout est bien qui finit bien ?
Pas si sûr ! Nous savons maintenant qu’existe un groupe de factieux ourdissant des complots contre la République. Alerte citoyennes ! Alerte citoyens ! Le ver est dans le fruit, il est au sommet de l’État. Nous connaissons même l’adresse où ils se réunissent : au numéro 55 de la rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris ! Ces nuisibles sont toujours aux postes de commande. Lorsque les circonstances leur paraîtront favorables, par exemple dans un an, si Trump est au pouvoir à Washington, ils récidiveront, c’est sûr ! Le camp populaire, renforcé par la belle victoire du 7 juillet doit impérativement surveiller ces énergumènes qui manipulent un homme seul, un homme faible, Emmanuel Macron !
Aujourd’hui nous sommes forts ! Mais restons sur nos gardes et utilisons le magnifique barrage victorieux de ce beau dimanche 7 juillet face à la vague brune comme tremplin de mobilisation pour l’avenir, comme en février 1934 vers juin 1936… Marchons vers les conquêtes sociales, marchons vers de nouveaux droits démocratiques, marchons vers la République sociale !