A ceux qui sous-estimaient les problèmes posés par la mémoire étatique en France, la loi du 23 février 2005 a sonné l’heure du rappel à l’ordre. Dans le bilan sur l’Algérie et sur la politique qui y a été menée depuis 1830, s’exprime une conception du temps politique qui est celle d’un révisionnisme suivant lequel le changement ne pourrait s’exprimer que dans la continuité. A cet égard, le discours des idéologues du sarkozysme sur la question coloniale recèle une auto-estimation de la politique de la France dont le ton et le contenu procèdent de l’esprit missionnaire et d’une réhabilitation du fait colonial. La suppression de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 à l’initiative du président Chirac ne vaut pas pour eux.
Avec Patrick Buisson, «conseiller écouté» du président Nicolas Sarkozy et ancien directeur du journal d’extrême-droite Minute, et Michel Déon, membre de l’Académie française, le nationalisme chauvin incarné par Maurice Barrès (1862-1928) et Charles Maurras (1858-1952), revêt des habits neufs. Ressurgissent alors dans le débat ses thèmes de prédilection : protéger la France des étrangers qui menacent ses valeurs propres, défendre l’armée, hier dans l’affaire du capitaine Dreyfus, aujourd’hui dans la défense de la répression militaire, policière et psychologique du peuple algérien en lutte pour son indépendance. On peut le vérifier en parcourant l’ouvrage de Patrick Buisson, La guerre d’Algérie qui donne au lecteur français une vision apologétique de l’Algérie coloniale et de l’action des militaires. Les générations nouvelles y retrouvent, sorties du congélateur, les images puisées dans les archives des services psychologiques de l’armée. Pour un ouvrage insouciant de la dimension historique de la colonisation produit avec légèreté et sans honte, c’en est un.
L’évocation des drames que l’Algérie a vécus après 1962 n’excuse pas l’ordre colonial de ses pratiques – extorsion de biens par la violence de la loi du conquérant fondée sur la logique capitaliste, racisme, contraintes physiques qui relèvent de crimes contre l’Humanité, sans compter une politique obscurantiste, et j’en passe. Buisson devrait, avant de parler de l’Algérie, balayer devant sa porte, repenser l’histoire de France et réviser les mythes fondateurs de l’empire colonial au lieu de les cautionner dans l’enthousiasme avec la chaîne Histoire qu’il dirige, en collaboration avec deux institutions d’État, la Direction du patrimoine et des archives du Ministère de la Défense et l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense et avec la chaude recommandation du Secrétariat d’État aux Anciens combattants. L’ouvrage de Buisson relève de l’imposture. C’est une provocation dans laquelle il serait dommageable de tomber.
Les relations franco-algériennes ne sont pas seulement des relations d’État à État, ni une affaire de capitalistes à la recherche de marchés juteux. C’est aussi un mélange de réseaux d’échanges et d’amitiés, de liens personnels entre deux sociétés et deux peuples, entre une Algérie ouverte sur l’avenir et une France métissée, faite de diversités culturelles et ethniques, et rebelle à la xénophobie. Nous le constatons tous les jours quand des enseignants de lycées nous invitent à dialoguer avec leurs élèves, quand des associations se penchent sur notre guerre de libération en prenant leurs distances avec les interprétations officielles, quand des Anciens combattants reversent leur retraite de soldats au profit de projets dans les zones où ils ont combattu. C’est en allant à la rencontre de ce mouvement que seront neutralisés les attardés du parti colonial, dont se réactive l’antigaullisme et la haine de l’Algérie à la veille de chaque échéance électorale. Qu’on ne s’y méprenne pas, les «haines rentrées» alimentent la discorde entre les peuples toujours à leur détriment.