Ce livre propose une promenade dans le monde étrange, déconcertant parfois et toujours foisonnant, de nos contemporains qui croient en l’existence de la nature occulte du nazisme. Pourtant, il est indéniable que certains responsables du parti nazi furent des adeptes des théories ésotériques, comme l’ont mis en lumière certains travaux scientifiques d’universitaires anglo-saxons ou allemands, mais le sujet a jusqu’ici été délaissé par les universitaires. À l’exception notable de quelques grands historiens, ils ont fui le sujet, à juste raison d’ailleurs, car il est ouvertement piégé. De ce fait, l’étude des thèmes « occultistes » a été monopolisée par une foule de « chercheurs » indépendants, de farfelus, d’amateurs d’étrange et de fantastique, à commencer par Le Matin des magiciens de Berger et Pauwels, ou de militants politiques d’extrême-droite. Cette question des rapports entre l’occultisme et le nazisme est devenue au fil des ans un mythe agglutinant, agrégeant au fur et à mesure différents éléments. Elle est devenue tant un objet de fantasmes conspirationnistes qu’un vecteur pour une certaine idéologie néonazie.
L’auteur propose au lecteur de faire le point des connaissances, d’analyser leur récupération à la fois par la droite radicale et par la culture populaire, et enfin de comprendre les raisons de la création d’un fantasme contemporain, sorte de catharsis cherchant à comprendre l’inacceptable et finalement à le banaliser puis l’accepter. Stéphane François historien des idées traque la source du mythe et du fatras ésotérique censé expliquer les origines du nazisme. Il est politologue lorsqu’il met en lumière les stratégies d’utilisation de ce mythe. Il conclue son livre sur le retour de la « nazimania » des années 2000 qui mêle l’occultisme aux mythes politiques des extrême-droites, phénomène en plein extension sur l’Internet. « Notre époque foncièrement anxiogène a besoin de nouvelles certitudes, et la croyance dans l’occultisme nazi en fait notamment partie. Elle revêt alors une fonction sécurisante vis-à-vis de la réalité et de l’évolution des sociétés occidentales, qui se manifeste au travers de trois points : un refus du « système » ; une élaboration alternative de l’histoire et du monde ; un hypercriticisme. »
L’ouvrage sort à quelques jours de la commémoration des soixante-dix ans de la libération d’Auschwitz. Ce camp d’extermination représente finalement le paroxysme du délire nazi dont les sources bien réelles que Stéphane François rappelle en conclusion n’ont « rien de magique ou d’occulte ». Or le passage dans la culture populaire (littérature fantasmagorique, bande-dessinée fantastique, cinéma ou pornographie « naziploitation » etc.) d’une culture marginale bâtie sur des « bricolages » selon l’explication de Claude Lévi-Strauss peut être utilisée de manière stratégique comme moyen de subversion. Il est donc légitime, à l’heure où les témoignages des rescapés de l’horreur se font de plus en plus rares et que, comme le rappelait ReSPUBLICA, les conditions sont réunies pour que le spectre des années 30 hante de nouveau les pays européens, de s’inquiéter de cette subversion rendue possible par une relative banalisation culturelle du nazisme.
D’où l’intérêt du travail de décorticage de Stéphane François pour expulser toutes les scories de la nazimania de la culture de masse et gagner les batailles culturelles nécessaires pour réenchanter le monde.
Les Mystères du nazisme. Aux sources d’un fantasme contemporain, Presses Universitaires de France, 2015, 200 p., 19 euros.